III- Disciples et continuateurs du linguiste Cheikh Anta Diop Acquis, pistes et défis
Au décès du professeur Diop, son disciple, compagnon et continuateur OBENGA écrivait : “Passer les vexations du destin, et bu le chagrin, nous devons maintenant nous organiser pour faire fructifier avec méthode et prévenance, tout ce que l’énorme talent de cheik Anta nous a ligué”. (Le CHERCHEUR, N°1, février 1990 p.64) Dans cette optique, il est traité ci-après les principes fondateurs du courant et de l’école de continuation du professeur Diop (3.1) et les acquis, pistes et défis de disciples et continuateurs du défunt savant 3.2)
3.1 Les principes fondateurs
Ces principes ont été définis par Cheikh Anta Diop même dans sa monumentale œuvre. Il en a ainsi sélectionné 8. Ils sont à l’œuvre dans la pensée de Cheihk Anta. Ici, ils sont abordés sous l’angle spécifique de la Linguistique
3.1.1 S’inscrire principalement dans la longue durée
Ce principe est fondamental chez Cheikh Anta Diop. Il exprime tout d’abord un malaise : “J’avais reçu une éducation qui faisait de moi un africain instruit mais pas cultivé et j’ai ressenti un vide culturel. Mon désir de connaitre mon histoire, ma culture, mes problèmes personnels, c’est-à-dire mon désirs me réaliser en tant qu’être humain m’a mené à l’histoire” (DIOP, LA VIE AFRICAINE, N° 6, Paris, mars avril 1960, pp. 10-11.
Ce malaise induit un constat et une question chez Cheikh Anta. Le constat est celui de ”La Nuit Noire” découlant du fait qu’en Afrique occidentale, contrairement à l’européen qui peut remonter son histoire jusqu’à l’antiquité gréco-latino, l’africain, lui, est contraint selon les ouvrages occidentaux de s’arrêter seulement à3 siècles avant ou après Jésus Christ. Celui-ci est nonobstant privilégié par rapport à son homologue de l’Afrique australe, à qui l’érudition occidentale ne permet de remonter son histoire que pour quelques siècles Cheikh Anta se demanda alors : “Comment se pose le problème de l’histoire africaine ?”
Il constate que “S’il faut en croire aux ouvrages occidentaux, c’est en vain qu’on chercherait jusqu’au cœur de la forêt tropicale, une seule civilisation qui, en dernière instance, serait l’œuvre de nègre. Les civilisations Ethiopienne et égyptiennes, malgré les témoignages des anciens d’Ilé et du Benin, du bassin du Tchad, celle Ghana, toutes celles dites néo-soudanaise (Mali, Gao etc..), celle du Zambèze (Monomopata), celles du Congo en plein équateur etc… D’après les cénacles de savants occidentaux, ont été créées par des blancs mythiques, qui se sont ensuite évanouis comme en un rêve pour laisser les nègres perpétués les formes, organisations, techniques, etc … qu’ils avaient inventées.” (DIOP, Nations Nègres et Culture…1954, p13)
Le professeur Diop a estimé que ”ces trous” ”cette Nuit Noire’ ‘resteraient inexpliqués tant que le problème de l’histoire de l’Afrique demeura mal posé. Aussi, “S’est-il évertué à chercher à l’intérieur du continent, sur place, la stratification des civilisations successives” (Diop, Nations nègres et culture.. 1954, p28). Il essaya par ailleurs, de retracer autant que les faits connus le permettent, les grandes étapes de l’évolution du monde noir, depuis l’apparition de l’homo sapiens” et consacra ses “efforts à la période du passé africain qui va de la préhistoire jusqu’à la fin du Moyen âge, a l’apparition des Etats modernes” (DIOP, Antériorité des civilisations nègres : Mythe ou vérité historique ? Paris, P.A 1967 p.13).
Il procède de ce que suit précède que Cheikh Anta a opté et ceci pour ma première fois pour la lecture de longue durée de l’histoire africaine.
3.1.2 Prendre l’histoire africaine comme une totalité
L’approche de la longue durée a permis d’aborder l’histoire de l’Afrique dans le temps dans le temps (lecture verticale), dans l’espace (lecture horizontale) et dans la saisie de l’objet (lecture sociale).
Ce faisant, le professeur Théophile OBENGA constate que “Cheikh Anta Diop se place d’emblée à l’échelle du continent noir. Il transcende cette dispersion anarchique des contenus (monographie tribales et sous-tribales, qui manquent le plus souvent d’un arrière-plan culturel négro-africain global). Il embrasse la totalité du passé des hommes noirs d’Afrique” (Présence africaine, N° 74, 2e trim. 1970, p.9).
Pour ce faire, il fallait “Trouver la clé qui ouvre la porte de l’intelligence, de la compréhension de la société africaine” (DIOP, l’Afrique noire précoloniale, Paris, P.A, 1960, p.3), “tenir les bout du fil conducteur pour sortir d labyrinthe” (DIOP, l’Unité culturelle de l’Afrique noire, Paris, P.A, 1959, p.7) ou “Dégager les dénominateur commun de la culture méridionale par opposition à la culture nordique aryenne” (l’Unité culturelle de l’Afrique noire… p.8) pour “Rattacher non de façon hypothétique mais effective , tous ces tronçon du passé, a une antiquité, une origine commune qui rétablit le continuité” (DIOP Nation nègre et culture… p.28).
Il ressort de ce développent qu’on peut faire de l’histoire de l’Afrique une lecture de longue durée et une approche globale, totale et objective, donc, “Sans solution de continuité ” (l’Afrique noire précoloniale… p.5), dès qu’on en saisi le point générale et généralisable, en l’occurrence, l’antiquité égypto-nubiennes pour l’Afrique (DIOP, Civilisation ou barbarie. Anthropologie sans complaisance. Paris, P.A, 1981, p.10).
3.1.3 Rendre pluri et interdisciplinaire la méthodologie de recherche africaine
Hormis la longue durée et la lecture globale, trois facteurs nous paraissent fonder la démarche pluri et interdisciplinaire chez Cheikh Anta, ces disciples et continuateurs.
La nature de l’objet d’étude en est le premier. Dans ce cadre, Cheikh Anta écrivait “… partant de l’idée que l’Egypte ancienne fait partie de l’univers nègre, il fallait la vérifier dans tous les domaines possibles, racial ou anthropologique, linguistique, sociologique philosophique, historique, et l’idée de départ est exacte, l’étude de chacun de de ces domaines doit conduire à la sphère correspondante de l’univers négro-africain” (DIOP, Antériorité des Civilisations nègres… p.275).
Le deuxième facteur légitimant la démarche pluri et interdisciplinaire et la méthodologie adéquate à la recherche entamée. Celle-ci a été conçue par le professeur DIOP : “L’ensemble de ces conclusions ( celles découlant de la vérification exhaustive, aj.p.ns) formera un Faisceau de faits concordants qui éliminent le cas fortuit. C’est en cela que réside la preuve de notre hypothèse de départ. Une méthode différente n’aurait conduit qu’à une vérification partielle qui ne prouverait rein. Il fallait être exhaustif” (Antériorité des Civilisations nègres… p.275).
Le troisième et non le moins important des facteurs est le devoir génération. Pour Cheikh Anta : “notre situation en Afrique noire est analogue à celle de l’Europe de la renaissance. Dans la mesure où la conscience nationale sort à peine de sa torpeur et qu’aucune spécialisation profonde des cadres n’existe encore, les premiers serviteurs du pays serviteurs du pays se doivent d’être polyvalents de manière à ne pas porter des jugements d’ignorance qui pourraient être fatales au pays. Qu’on le veuille ou non les premiers cadres, les premiers responsables africains seront appelés de juger de tout. Cette tâche grandiose qui est aujourd’hui impensable en Europe où l’on se spécialise depuis deux siècles, chez nous devient une exigence de premier ordre… dans un pays où tout est à faire, la polyvalence ne peut être que féconde” (DIOP, La vie africaine, N°6, mars avril 1960, pp.10-11).
Autant donc il est peu sérieux, voire ridicule, de vouloir une formation polyvalente en Europe autant ce type de formation est indispensable en Afrique. C’est pourquoi dans les fondements culturels et économiques d’un Etat fédéral d’Afrique noire p.28, il a soutenu que si sa génération n’agissait pas dans ce cadre, “Elle apparaitra dans l’histoire de l’évolution de notre peuple comme la génération de démarcation qui n’aura pas été capable d’assurer la survie culturelle, nationale du continent africain, elle aura été la génération indigne par excellence, celle qui n’aura pas été à la hauteur des circonstances”.
Sur cette base le professeur DIOP a salué le professeur Théophile OBENGA comme le cadre ”polyvalent” parfait (DIOP, Préface à l’Afrique dans l’antiquité, P.A, 1973, 464p). Au même moment, la communauté scientifique reconnaissait en Cheikh Anta “Le savant multidimensionnel” (Le CHERCHEUR, N°1, décembre 1990, pp.65-68), “Le scientifique sans frontière” (op. cit. pp. 53-57). L’ancien directeur de l’IFAN/CAD le professeur Djibril SAMB, a estimé qu’il “allia la vaste culture d’un esprit encyclopédique et l’érudition impeccable du savant chevronné” (1992 : 132). Le professeur Abdoulaye Bara DIOP, également ancien directeur de l’IFAN/CAD, a écrit que : “aucun domaine majeur du savoir ne lui est totalement étranger”. (Le CHERCHEUR, N° 1, décembre 1990, pp.59-64).
3.1.4 Introduire la dimension diachronique dans les études africaines
L’introduction de la dimension historique dans les études africaines est la conséquence logique de l’option pour la longue durée, la lecteure totale de l’histoire africaine et la nature pluri et interdisciplinaire de la méthodologie de recherche adoptée.
Le professeur DIOP a dès l’entame de son œuvre, renoncé à la lecture parcellaire, fragmentée et uniquement descriptive, au profit de la lecture globale et totale. La reconnaissance internationale de ce choix a été faite par le colloque scientifique du Caire. Dudit colloque Cheikh Anta Diop a retenu “deux conquêtes scientifiques fondamentales”. Le colloque, dira-t-il, a d’abord réconcilié les civilisations négro-africaines avec l’histoire par le truchement de l’Egypte pharaonique. Ensuite, Cheikh Anta Diop affirma que le colloque du Caire “a permis d’introduire la dimension historique dans les études linguistiques africaines… Maintenant seulement, les études diachronique son possibles en linguistique africaine” (“Retour sur la question linguistique” pp.24-26, in, Ecrits politiques, 1996, 63p).
L’importance de l’introduction de la dimension diachronique dans les études linguistiques africaines se saisit sur le plan méthodologique. Elle permet dans ce cas de bâtir un corps des sciences africaines sur des bases autochtones. Au niveau de la dynamique historique, Cheikh Anta Diop soutint que : “le rôle de l’histoire dans l’existence d’un peuple est vital : l’histoire est un de ces facteurs qui assurent cohésion des différents éléments d’une collectivité ; une sorte de ciment social. Sans la conscience historique, les peuples ne peuvent être appelés à des grandes destinées”. (“Un continent à la recherche de son histoire” pp.115-122, in Alerte sous les tropiques. Articles 1946-1960, P.A, 1990, 148p).
Toutefois, Cheikh Anta Diop notait dans Civilisation ou barbarie… p.273 que “ce qui est important pour un peuple donné, ce n’est pas le fait de pouvoir se réclamer d’un passé historique plus ou moins grandiose, mais plutôt d’être seulement habité par ce sentiment de continuité de la conscience historique”.
On le voit, l’introduction de la dimension historique dans les études linguistiques africaines, à une valeur probante sur le plan heuristique et en matière de dynamique historique.
3.1.6 “S’armer de science jusqu’aux dents “
Le contexte d’émergence de la pensée diopienne l’a rendu critique, polémique et (re)fondatrice. En effet, le rétablissement de la vérité historique a été rendu nécessaire par le critique et la rupture d’avec la plus monstrueuse falsification de l’histoire (l’exclusion de l’Afrique de l’histoire).
Cette falsification a conduit le professeur DIOP à l’analyse suivante : “l’impérialisme culturel est la vis de sécurité de l’impérialisme économique ; détruire les bases du premier, c’est donc contribuer à la surpression du second. “(Nations nègres et culture… T.II, p.417). La destruction de l’impérialisme sous toutes ses formes s’impose donc comme une tâche nationale, par ce que “l’impérialisme, tel le chasseur de la préhistoire, tue tout d’abord spirituellement et culturellement l’être, avant chercher à l’éliminer physiquement. La négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel, mental qui a précédé et préparé le génocide ici et là dans le monde” (Civilisation ou barbarie… p.10).
Ainsi, était devenu indispensable le combat du professeur DIOP pour dégeler et defossiliser l’histoire de l’Afrique (préface de l’Afrique noire précoloniale) et enfin déverrouiller l’esprit créateur africain (BIFAN, Série B, TXXXVII, N°1, 1975, pp.154-233). A cet effet, il s’impose un besoin de rigueur vis-à-vis de soi et à l’égard de son interlocuteur et surtout de son contradicteur.
Cheikh Anta Diop est alors amené à élaborer sa méthodologie symétrique et exhaustive de vérification et de construction d’un corps de sciences africaines à partir de l’Egypte pharaonique. Le professeur Aboubacry Moussa LAM a schématisé cette méthodologie ainsi qu’il suit : “le fait singulier, le faisceau et le cercle”. (Le Sahara ou la vallée du Nil ? 1994 : 17-31).
Cette méthodologie, pour être fructueusement utilisée, exige du chercheur africain qu’il ne fasse pas l’économie d’une formation technique suffisante et qu’il s’arme de sciences jusqu’aux dents (préface à l’Afrique dans l’antiquité… p. IX)
3.1.7 S’unir pour gagner
A ce niveau, le travail en équipe parait plus efficace et plus efficient pour le professeur DIOP. Deux considérations expliquent cette analyse. Premièrement, parlant de Nations nègres et culture Cheikh Anta Diop a écrit : “l’ensemble du travail n’est qu’une esquisse ou manque toutes les perfections du détail il était humainement impossible à un seul individu de les y apporter : ce ne pourra être que le travail de plusieurs générations africaines. Nous en sommes conscients et notre besoin de rigueur en souffre ; cependant les grandes lignes sont solides et les perspectives justes.” (Nations nègres et culture…T. I, pp.29-30).
Deuxièmement, à partir de la civilisation égypto-nubienne, comme antiquité des civilisations négro-africaine modernes, il y’a un double effort scientifique à fournir : a) vérifier l’idée que l’Egypte ancienne appartient à l’univers nègre dans tous les domaines possibles ; b) bâtir un véritable corps de sciences africaines sur un base propre. Les deux efforts complémentaires sont pluri et interdisciplinaires. Il faut certes un travail de plusieurs générations africaines, mais aussi une organisation du travail d’équipe pour mener à terme les deux efforts dans l’espace et dans le temps.
C’est pourquoi dans sa préface, à l’Afrique dans l’antiquité de Théophile OBENGA, Cheikh Anta Diop a trouvé “indispensable de créer une équipe de chercheurs africains où toutes les disciplines seront représentées”. Car pour lui, “C’est de la sorte qu’on mettra le plus efficacement possible la pensée scientifique au service de l’Afrique”. Par Ailleurs, dans une note d’auteur, à Parenté génétique… Cheikh Anta Diop écrit que “je me serais épargné l’effort d’écrire cet ouvrage si mes collaborateurs Théophile OBENGA et Sossou N’SOUGAN connaissaient le Walaf, qui m’a servi d’exemple principal d’études comparative”.
A Yaoundé, un mois avant sa mort, le professeur confirmait son attachement à la division du travail et au travail d’équipe en citant de manière enthousiaste son disciple et compagnon OBENGA qui aurait “fait des travaux monumentaux en linguistique historique… bientôt disponibles” (Joseph-Marie ESSOMBA, Cheikh Anta Diop : son dernier message à l’Afrique et au monde. janvier 1986, n.d 149p).
Cette disposition d’esprit et de partenariat de Cheikh Anta Diop a été saluée par le professeur OBENGA au décès de celui-là. En effet, dans TAXAW, N° 28, mars 1986, Spécial hommage à notre camarade, Cheikh Anta Diop, p.5, il révéla que son maitre lui avait confié la partie linguistique et qu’il allait terminer cette dimension du boulot commun. Il a ajouté dans la même interview que Cheikh Anta Diop lui avait suggéré la création d’équipes de travail dans les disciplines auxquelles il s’était consacré : préhistoire, paléontologie, égyptologie, linguistique et Philosophie.
Le travail en équipe, autour et dans la continuation des travaux de Cheikh Anta Diop, est partagé par la chercheuse Aram Fal JOOB de l’IFAN. Pour elle, les universités africaines avec l’appui de l’OUA d’alors, devaient coopérer, dans le cadre du partenariat pour un programme de comparaison de l’Egyptien ancien avec les langues négro-africaines modernes. Ce programme choisira les langues à comparer, les modalités et le temps requis pour bien le mener à terme. Elle avance la même idée du travail en équipe en ce qui concerne la conception des dictionnaires techniques “La question linguistique dans l’œuvre de Cheikh Anta Diop” pp 14-15 et p17.
L’école africaine de linguistique par exemple et/ou le courant diopistes de pensée et de recherche seraient particulièrement impulsés par ces travaux d’équipes dans le temps et l’espace, d’où la confiance absolue que Diop avait dans la jeunesse africaine.
3.1.8 Se fier à la jeunesse et à l’avenir
Le dernier principe fondateur du courant et/ou de l’école diopistes qui est ici proposé est l’optimisme atavique mais vigilant que le professeur Diop nourrissait à l’égard de la jeunesse et de l’avenir. Il réaffirmait encore fortement cet optimisme le 8 janvier 1986 à Yaoundé, soit un mois jour pour jour avant sa disparition : “Je vois en chaque jeune africain susceptible de recevoir encore une éducation, un bâtisseur de Nation et c’est ce bâtisseur qui sommeille en chacun de ces jeunes que notre éducation doit réveiller” (Joseph-Marie ESSOMBA. Cheikh Anta Diop : Son dernier message à l’Afrique et au Monde …Epigraphe).
Dans ses écrits et dans son combat politique mais aussi dans sa vie au quotidien, Cheikh Anta Diop a su rendre contagieux son optimisme naturel, son engagement pour l’humain et son dévouement à la cause de l’Afrique.
Ceci relavait certes d’une inclination mais aussi de vicissitudes de la dédicace de sa vie, du don de soi et du rétablissement de la vérité historique.
Ainsi, le redoutable et solitaire chercheur savait que c’est l’entrée en scène de la jeunesse africaine qui trancherait le débat. En 1967, dans Antériorité des civilisations nègres…p.10, il a soutenu que “N’oublions pas que les africains qui accèdent à l’érudition scientifique et qui sont en mesure d’apprécier la valeur d’un document sans le recours d’une autorité, auront leur mot à dire, qu’il ne sera pas possible de conditionner leur jugement… En réalité, ce sont eux qui trancheront le débat dans un sens ou dans l’autre “. C’est pourquoi, il fit à ces africains, espoirs de l’Afrique et des noirs la recommandation suivante : ” On doit dire aux générations qui s’ouvrent à la recherche : armez-vous de science jusqu’aux dents et allez arracher sans management des mains des ”usurpateurs” le bien culturel de l’Afrique dont nous avons été si longtemps frustrés” (préface à l’Afrique dans l’antiquité. P. IX).
Aussi, célébrait-il l’entrée attendue en scène de cette génération dans sa préface à l’Afrique dans l’antiquité de Théophile OBENGA “Voilà la nouvelle avant-garde africaine ; tous ceux, des enfants d’Afrique qui prennent des risques dans les domaines les plus divers pour que l’Afrique survive. Puissent-ils comprendre qu’à la maitrise des connaissances, il faut ajouter l’efficacité de l’organisation pour se maintenir”. Ainsi, étaient jetées les bases du courant et/ou l’école diopistes de recherche et de pensée pour le rétablissement de la vérité historique en général et en particulier de l’école africaine de linguistique dans le sillage de Monsieur le professeur Cheikh Anta Diop.
3.2 Les orientations actuelles de l’école et/ou du courant diopistes
Les prévisions et les vœux du professeur Diop se sont réalisés. Il n’est plus le temps où Cheikh Anta Diop fut le nègre téméraire contre toute l’érudition occidentale de mauvaise foi. Il n’est plus le temps où Cheikh Anta Diop était le redoutable chercheur émérite enfermé dans le laboratoire du carbone 14 de l’IFAN à l’intérieur de l’université de Dakar, dont il finit par en être le parrain, étroitement surveillé par le régime de président SENGHOR et combattu par les savants occidentaux de mauvaise foi. Il n’est non plus le temps où Cheikh Anta Diop ne pouvaient compter que sur ses collaborateurs, pour aller au colloque du Caire.
A présent, tout un courant et une école de pensée animés par des africains, de la diaspora négro-africaine, d’africains-américains et de savant occidentaux de bomme foi se nourrissent de ses travaux, se réclament de sa pensée, et se définissent sans fausse honte de «diopistes» ou de «Cheikhantaistes». Toute une école s’est constituée autour et sur, par et pour Cheikh Anta Diop et ce, dans tous les domaines du savoir scientifique abordés par le professeur Diop, voire dans d’autres non touchés par lui. Seul, Cheikh Anta Diop a défait la falsification et conquis la vérité historique. Aujourd’hui, on compte d’innombrables disciples et continuateurs qui veillent défendre, approfondissent et élargissent ; découvrent et critiquent de besoin. Ils vulgarisent aussi.
Ici, nous voudrons dresser le tableau de cette dynamique dans le domaine de la science linguistique en distinguant les terrains de la linguistique historique (3.2.1) et de la linguistique appliquée (3.2.2).
3.2.1 Dans le domaine linguistique historique
Conformément à la vision ”diopienne” du passé en linguistique, ses démarches, ses combats et ses résultats conquis et/ou acquis, les disciples et continuateurs du professeur Diop ont ouvert plusieurs chantiers en matière de linguistique diachronique et comparative.
En plus des langues comparées par Cheikh Anta Diop, lui-même, le courant ‘‘diopiste” s’intéresse à d’autre langues négro-africaines comparées entre elles et/ou avec l’Egyptien ancien, le copte ou le meroitique. Parmi ces langues on peut citer le Bamibeké (Theodore JUPKWO), le Pulaar (Aboubacry Moussa LAM, Mamadou N’Diaye…), le Kikongo et le Mbochi (Théophile OBENGA), le Duala (Gilbert NGOM), le Dagara (Théophile OBENGA), le Basaa (Oum NDIGI), les langues Bantoues (Mukash KALEL), le Wolof (Boury Tounkara dite Ina), des dizaines d’autres langues (Alain ANSELIN) etc…
Le vocabulaire religieux est également exploité dans la démarche comparative entre d’une part l’Egyptien ancien et les langues négro-africaines moderne ; de l’autre les langues négro-africaines modernes entre-elles. Certaines pistes sont particulièrement concernées : La pensée morale et religieuse (Théophile OBENGA, Yoporeka SOMET), La comparaison des légendes (Gilbert NGOM), Les pratique funéraires (Hartwig ALLEN MULLER, Jean-Pierre BAMOUAN BOYALA) et Les cultes religieux (Alain ANSELIN, Oscar PFOUMA, Jean-Charles Coovi GOMEZ).
Alain ASELIN a inauguré une piste qu’il appelle “la grammaire du verbe, du geste et du corps”. Le même ANSELIN développa sur la question peule une démarche qu’il nomme La sociogenèse ou l’ethnogenèse. Marc Bruno MAYI s’intéressa à La restitution vocalique en Egyptien ancien comme facteur de comparaison avec les langues négro-africaines modernes. Le professeur Théophile OBENGA usera de la morphologie, de la sémantique, de l’étymologie et de la lexicologie pour comparer les langues africaines entre elles ou avec l’Egyptien ancien ou encore pour faire l’histoire culturelle de l’Afrique. A ces facteurs, il a ajouté le vocabulaire d’élevage (bœuf, taureau et bétail).
L’épigraphie comparée occupe une place de plus en plus importante entre l’Egyptien pharaonique et les autres langues négro-africaines modernes. A ce niveau, il faut noter l’intérêt continu pour l’étude des hiéroglyphes sous divers angles : l’informatisation des hiéroglyphes (Cheikh Mbacké DIOP), l’Etude des écritures sacrées (Jean-Charles Coovi Gomez, Alain ANSELIN) et des hiéroglyphes à travers leurs variantes dialectes (Gilbert NGOM) et la notation des bilitères et trilitères (Gilbert NGOM), la théorie littéraire (Gregoire BIYOGO) et la correction des transcriptions des inscriptions de Ptahhotep sur le papyrus prisse. De manière annexe, Jean- Paul MBE LEK a travaillé sur le déchiffrement de l’Os Ishango.
Des concepts spécifiques font aussi objet d’étude serrée de la part d’égyptologues, d’historiens, de linguistes et philosophes se réclamant de Cheikh Anta Diop. Parmi ces concepts, Jean-Charles Coovi GOMEZ a étudié la signification des concepts ontologiques negro-égyptiens AKH, BA et KA. Oum NDIGI a essayé de cerner la dénomination et la représentation de ”l’Etre vital” et J.C BAHOKEN a tenté de-finir l’apport de l’Egypte dans l’universalité de la pensée philosophique africaine. A partir du concept BAKA, Mama Yattassaye NDIADE a cherché l’origine de la langue. L’étymologie comparative a été la démarche d’Aboubacry Moussa LAM et de Babacar DIOP Buuba pour étudier respectivement le concept ”Moise” et le terme ”Gorille”. Jean-Charles Coovi GOMEZ a particulièrement abordé “la signification du vocable AKHU en Egypte ancienne et en Afrique contemporaines”.
Une mention spéciale est à faire sur les travaux fondateurs du professeur Théophile OBENGA. En effet, la lutte entamée de vivant de professeur Cheikh Anta Diop contre le mythe du ”Chamito-sémitique” a continué. En 1980, il avait publié “Formation pluriel en sémitique et en Egyptien” (cahiers congolais d’anthropologie et d’histoire, N°5, Brazzaville, 1980. pp.31-38). En 1992, l’article “le chamito-sémitique n’existe pas” est écrit (ANKH, N°1, février 1992, pp.51-58). En 1996, le professeur OBENGA participa à deux évènements scientifiques majeurs. Le premier était la commémoration du 20e anniversaire de disparition de son maitre et compagnon le professeur Cheikh Anta Diop, qui eut lieu à Dakar du 26 février au 2 mars 1996. Dans ce cadre, OBENGA fit une communication sur “la linguistique historique et le chamito-sémitique” (Résumé des communications p.37). Le second évènement était la IXe semaine d’Etudes Africaines de Barcelone au Centre d’Etudes Africaines (CEA). Elle s’est tenue du 8 au 22 mars 1996. Le professeur OBENGA interviendra sur le thème “l’Afro-asiatique ou chamito-sémitique : mythe ou réalité historique ?”.
Mais c’est notamment dans deux de ses ouvrages monumentaux que le professeur OBENGA porta à un niveau souhaitable et souhaité l’effort théorique de défense, de continuation et d’approfondissement de l’œuvre de son maitre le professeur Diop. (L’Afrique dans l’Antiquité. Egypte pharaonique /Afrique noire, Paris, Présence Africaine, 1973, 464p et Origine commune de l’Egyptien ancien, du Copte et des langues négro-africaines modernes. Introduction à la linguistique africaine, Paris, l’Harmattan, 1993, 343p).
3.2.2 -Dans le domaine de la linguistique appliquée
Le professeur Cheikh Anta Diop, dans l’étude des faits linguistiques africains a consacré une partie de ses recherches à “la solution de problèmes pratiques, ce qu’il faudra résoudre pour qu’une culture nationale existe : multiplicité des langues, manque de vocabulaires techniques, scientifique et philosophique dans celles-ci, méconnaissance de leur grammaire et inexistence d’œuvres écrites en langues africaines…”.
Les disciples et continuateurs sont restés fidèles à ces efforts du maitre dans le domaine. Les acquis sont défendus. Ils sont lus et enseignés. Ils font, par ailleurs, l’objet de recherche thématique, sectorielle ou générale.
Restrictivement, nous retenons ici cinq terrains investis dans cette optique. Le premier est l’instrumentalisation des langues nationales africaines. Cette instrumentalisation concerne tant le corpus que le statut des langues sur la base de la théorie du possible développement des langues ainsi que l’a développé Barthelemy KOTCHY. Hamadou Adama s’est interrogé sur comment le Foulfoulde peut être érigé en langue de travail et d’enseignement. Mamadou N’Diaye a traité lors du colloque commémorant la 20e anniversaire du décès du professeur Cheikh Anta Diop le thème “le langage scientifique : son utilisation dans le discours en langues africaines (l’exemple du pulaar)”. Hamar Fall DIAGNE s’est interrogé sur l’opérationnalité et l’organisation des langues africaines. Toujours en matière de d’instrumentalisation des langues africaines, Josué NDAMBA s’est intéressé aux apports de la géographie linguistique et de la dialectométrie à la réalisation d’un Etat fédéral en Afrique Noire. Cheikh Aliou NDAO a essayé de cerner l’apport de Cheikh Anta Diop à la littérature nationale Wolof. Le Dr Dialo DIOP a fait des propositions d’identification des “bases et conditions d’un enracinement des sciences biomédicales en Afrique”. Koffi YAKPO a développé une approche de “la dynamique politique, économique et culturelle de la politique linguistique en Afrique”
Ainsi qu’on le voit les terrains investis par les disciples et continuateurs de Cheikh Anta Diop sont de plus en plus nombreux et divers à l’image de la démarche pluridisciplinaire des travaux et résultats féconds du savant de Thiaytou.
Harouna BARRY, Chercheur
Barry, pourquoi ne pas publier ces articles dans une revue scientifique sérieuse ? Maliweb n’en est pas une.
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