Esquisse (Suite)
2.1.2 Abrégé d’histoire d’un débat et d’un combat
La parente génétique entre l’égyptien ancien (l’égyptien pharaonique et le copte) et les langues négro-africaines modernes a été un réel débat, parfois scientifique mais quelque fois idéologique. Ce débat s’est mué, normalement, à un combat pour le triomphe de la vérité historique. Un long, difficile et victorieux combat.
Monsieur le Prof. Cheikh Anta, très tôt, entama ce débat-combat. En effet, si déjà en 1948, il estimait qu’on peut «bâtir des humanistes a base égyptienne», c’est en 1952, que Cheikh a déclaré que : “j’ai comparé, avec succès, toute la grammaire et le vocabulaire walafs, par exemple, avec ceux de l’égyptien, et….je suis arrivé à des rapports aussi certains, entre le valaf et l’égyptien, qu’il en existe entre le latin et le français. J’ajoute qu’il a été, impossible d’établir des rapports analogiques entre l’égyptien et les langues indo-européennes ou sémitiques”.
En 1954, Cheikh Anta développa des “Arguments linguistiques” (pp 231-335).dans le chapitre IV de nations nègres et culture intitule “Argument pour une origine negre de la race et de la civilisation égyptiens”. Ces “Arguments linguistiques” étaient fondés sur une étude comparative du walaf et de l’égyptien ancien. La portée de cette étape a été définie par le Prof. DIOP lui-même : “Dans Nations nègres et culture, nous avions rapporté exprès un ensemble de fais grammaticaux, les uns quasi certains les autres probables ou simplement possibles. Nous étions en effet, conscient du fait que la recherche était à peine commencée et qu’il fallait reconnaitre le terrain et signaler à l’attention des futurs chercheurs africains tout ce qui méritait de l’être”.( 1967 : 43)
En 1974, le Colloque du Caire se tint (du 28 janvier au 03 févier) sur le double thème dupeuplement de l’Egypte ancienne et du déchiffrement de l’écriture meroïtique. On serappellera que le colloque avait conclu que l’égyptien ne pouvait être isolé de son contexte africain et que c’est dans ce contexte, qu’il fallait lui chercher “des parents ou des cousins”.
Trois ans après, le Prof. Diop publia l’ouvrage savant Parente génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines modernes. Pour lui ce livre était une retombée du colloque du Caire, car il fallait “mettre à jour l’argument linguistique”. Notons que Parente génétique… a été salué par la communauté scientifique comme le couronnement du débat-combat.
Cheikh Anta écrira, lui-même, “Pour la première fois dans l’histoire de la linguistique africaine, il a été possible de rendre-compte scientifiquement de l’état actuel d’une langue (morphologie, syntaxe, lexique walaf) à partir de l’égyptien c’est-à-dire par référence à des états plus anciens, bien datés d’une langue de la même famille.
C’est le caractère systématique de cette explication quasi-totale qui n’a épargné presque aucun aspect de la langue expliquée, qui est vraiment nouveau”. (1977 : XXIII-XXIV).
Enfin, en 1988, parait l’ouvrage posthume du Prof. DIOP intitulé. Nouvelles recherches sur l’égyptien ancien et les langues négro-africaines modernes. Le professeur Théophile à qualifier Cheikh Anta de “Travailleur infatigable et rigoureux” dans sa préfaceà ce livre. Car pour lui, Nouvelles recherches…était la preuve que le Prof. Diop ne se fatiguait pas d’apporter toujours plus et mieux d’arguments pour asseoir sa thèse linguistique.
2.1.3 Les retombées de l’établissement de la parenté génétiqueentre l’égyptien et les langues négro-africaines modernes
Parmi d’autres, on peut dégager, ici, trois grandes retombées de l’établissement et/ou de la démonstration de la parenté génétique entre l’égyptien ancien et les langues négro-africaines modernes d’une part, de l’autre entre les langues négro-africaines modernes elles-mêmes
La première retombée est scientifique. Car, il a fallu combattre les contre-vérités et rétablir la vérité scientifique à propos de l’Egyptien ancien (l’égyptien pharaonique et le copte) d’un côté et des langues négro-africaines modernes de l’autre. L’Egyptien devrait être remis dans sa famille négro-africaines, redevenir donc une langue négro-africaine et non Chamito-sémitique , pour être l’argument linguistique de l’origine nègre de l’Egypte, des égyptiens et de la civilisation égyptienne. Quant aux langues négro-africaines modernes, il fallait leur redonner leur dignité de langue à part entière.
La deuxième retombée fut l’introduction de la dimension historique, diachronique et donc comparative dans les études africaines en général, dans les études de linguistique africaine en particulier. En effet, selon le Professeur OBENGA “Le grand mérite de Cheikh Anta DIOP est d’avoir introduit la dimension temporelle, historique, dynamique dans l’étude des langues négro-africaines”. Il ajouta qu’avant “La linguistique, en Afrique Noire, est presque exclusivement descriptive, synchronique …. C’est une besogne utile, nécessaire, formatrice. Mais il n’y a plus rien au-delà de ces descriptions standardisées, répétitives, statiques, finalement sans projet linguistique” (1987 : 14).
Le Professeur DIOP avait lui-même, soutenu que la parenté générique de l’égyptien ancien et des langues négro-africaines modernes “a permis d’introduire la dimension historique dans les études linguistiques africaines” et que c’est maintenant seulement qu’ “un véritable corps de sciences humaines peut maître et se développer sur sa propre base historique ; qu’il s’agisse de l’histoire de la linguistique, de divers arts, de la pensée philosophique, religieuse etc…”. (1996 : 25)
La troisième retombée procède de la deuxième. En effet, l’histoire de la pensée et des sciences en Afrique, ou en d’autres termes l’archéologie de la pensée scientifique et technique africaine fonde la construction des humanités négro-africaines à base égyptienne.
L’idée est déjà présente chez cheikh Anta en 1948. A cette date, il estimait que “un autre moyen d’enrichir notre langue consiste à étudier son origine et à partir de celle-ci pour composer des mots nouveaux selon les besoins. Nous pourrions même, à la limite, considérant, l’égyptien comme une langue morte et pour les raisons d’ordre géographique et historique, bâtir des humanités à base égyptienne dans le même sens que la langue grecque est à la base des humanités pour la civilisation occidentale” (1990 : 39).
En 1952, Cheikh Anta est plus affirmatif sur la question “le problème des humanités africaines est résolu. Quel que soit le point du continent sur lequel il vit, L’Africain sait qu’il peut et doit contribuer à l’élaboration d’humanités africaines à base d’égyptien ancien, aussi légitimement que l’occident a bâti ses humanistes à partir d’une base gréco-latine”. (1990 : 51)
Cette idée est restée permanente dans l’œuvre du professeur DIOP. Elle est même conceptualisée au moins à trois reprises. En 1967 dans Antériorité des civilisations nègres. Cheikh Anta écrit : «les études africaines ne sortiront du cercle vicieux où elles se meuvent pour retrouver tout leur sens et toute leur fécondité qu’en s’orientant vers la vallée du Nil. Réciproquement l’égyptologie ne sortira de sa sclérose séculaire dans l’hermétisme des textes, que du jour où elle aura le courage de faire exposer la vanne qui l’isole doctrinalement, de la source vivifiante que constitue pour elle, le monde nègre» (p 12). En 1977, Parente génétique… soutient dans le même ordre d’idées que dans la mesure où la civilisation égypto-nubienne est l’étape la plus ancienne de notre culture “force nous est de renouer avec celle- ci dans tous les domaines” (p.xxxv) et substituer l’égyptien ancien et le meroïtique au latin et au grec.
Mais c’est dans Civilisation ou Barbarie. Anthropologie sans complaisance, que Cheikh Anta Diop se montra le plus affirmatif et le plus catégorique sur l’idée. Il y a, en effet, dit sa dette et sa contribution personnelle. “Le fait nouveau, important, c’est moins d’avoir dit que les égyptiens étaient des noirs à la suite d’auteurs anciens (l’une de mes principales sources), que d’avoir contribué à faire de cette idée un fait de conscience historique africaine et mondiale, et surtout, un concept scientifique opératoire : c’est ce que n’avaient pas réussi à faire nos prédécesseurs.” (p.10)
C’est pour cela, ajouta-t-il “qu’il faut souligner l’abîme qui nous sépare des africains qui croient qu’on peut flirter avec la culture égyptienne. Pour nous, le retour à l’Egypte dans tous les domaines est la condition nécessaire pour réconcilier les civilisations africaines avec l’histoire, pour bâtir un corps de sciences humaines “modernes pour rénover la culture africaine Et -il prévint ” loin d’être une délectation sur le passé, un regard vers l’Egypte antique est la meilleure façon de concevoir et de bâtir un futur culturel. L’Egypte jouera dans la culture africaine, repensée et rénovée, le même rôle que les antiquités gréco-latines dans la civilisation occidentale…” (p.13)
Le retour effectif à l’Egypte ancienne est forcément une démarche d’équipe pluri et inter disciplinaire. Cependant, les spécialistes s’organiseront par domaine et par discipline. Par exemple, dans le domaine linguistique, une école de linguistique africaine est déjà à l’œuvre dans le sillage du Professeur DIOP, avec le Professeur Théophile OBENGA et les autres continuateurs africains et de la diaspora négro-africaine. Des africanistes de bonne foi se sont également inscrits dans cette dynamique (troisième partie du présent article).
2.2 L’étude du présent ou la dimension synchronique et/ou appliquée
Outre le “passé”, Cheikh Anta s’est également intéressé au “présent” dans ses travaux linguistiques. A ce niveau aussi, son apport fut capital et structurant.
Pour cerner cet apport, nous traitons chez le Professeur DIOP, de l’importance du facteur linguistique (2.2.1), le contexte et les défis affrontés par Cheikh Anta (2.2.2), les questions qu’il s’est posé et les solutions qu’il a proposées (223) et l’énorme travail de déblaiement qu’il a abattu et qui l’a fait surnommer “le promoteur des langues africaines”. (Ch. MB.DIOP, 2003 :108-110).
2.2.1 L’importance du facteur linguistique Chez DIOP
Dans l’œuvre du Professeur DIOP, l’importance du facteur linguistique paraît se situer à quatre niveaux. Sur le plan historique, le savant sénégalais aimait citer Montesquieu : “tant qu’un peuple vaincu n’a pas perdu sa langue il peut garder l’espoir”. Car pour lui “le vrai support de la culture c’est la langue”. (DIOP, 1990 :110). Le comparatiste qu’il fut, a par ailleurs gardé en mémoire cette pensée de Jean François CHAMPOLLION du 10 Mai 1831 dans son discours d’ouverture du cours d’archéologie au Collège Royal de France : “c’est par l’analyse raisonnée de la langue des Pharaons, que l’ethnographie décidera si la veille population égyptienne fut d’origine asiatique ou bien de l’Afrique centrale.”
Au niveau politique, l’importance du facteur linguistique se voit dans deux domaines. Pour Cheikh Anta “l’utilisation de ces langues (vernaculaires) est un facteur sans lequel on ne peut même pas parler d’éducation politique de masse”. Or selon lui “cette éducation seulement peut orienter d’une façon décisive la lutte que nous menons.”. Aussi a-t-il lancé un appel pressant en 1953 à tous les africains d’écrire sans hésiter dans nos langues principales des textes, des poèmes relatifs aux préoccupations du peuple africain ou pouvant exhorter celui-ci à la lutte (DIOP, 1990 :75).
Le second domaine de ce niveau concerne les relations du culturel avec l’économique, le social et la politique. La relation du culturel avec l’économique s’énonce ainsi “le développement par le Gouvernement, dans une langue étrangère est impossible, à moins que le processus d’acculturation soit achevé.”. La relation du culturel d’avec le social s’exprime de la manière suivante : “le socialisme par le Gouvernement dans une langue étrangère est une supercherie”. Enfin quant à la relation du culturel d’avec le politique, Cheikh Anta la formule comme suit ; “la démocratie par le gouvernement dans une langue étrangère est un leurre.”. (DIOP, TAXAW n°6, 1977, pp-12 et 13)
Le troisième niveau auquel se situe l’importance du facteur linguistique est scientifique. Dans sens, le Professeur DIOP voit dans la langue un attribut essentiel du peuple. En terme Fanonien, on pourrait dire que la langue est le maquis du peuple. En elle età travers elle, celui-ci s’exprime, se révèle et s’identifie. La langue n’est pas seulement un médium. C’est aussi et également un idium.
Il s’en suit (et c’est là le niveau pédagogique) que le moyen d’appréhension le plus efficace et le plus efficient du monde, de l’autre et de moi-même est la langue. Le savoir est intime quant il est enseigné et/ ou appris dans la langue maternelle. Le rendement de notre système éducatif est largement tributaire de la place et de la fonction des langues nationales en son sein.
2.2.2 Le contexte et les questions de Cheikh Anta
L’histoire a surpris Cheikh Anta dans une Afrique où le colonialisme était à son épopée. Or la négation de l’autre soi-même ne pouvait être que mensongère. Dès lors, l’érudition occidentale à la solde de l’impérialisme s’est mise au service du racisme. Dés théories furent échafaudés à cet effet. Ainsi du constat de la différence des races, on a paradoxalement tiré la fumeuse théorie de la supériorité de la race blanche et de l’infériorité de la race noire.
Cette hiérarchisation factice ne fut pas que raciale. Il lui fallait une dimension linguistique indispensable. Par exemple, dans les colonies françaises la langue était le français. S’exprimer en langues locales méritait le symbole sur lequel on a bien pris le soin de dessiner une belle tête d’âne à la gueule parfaitement ouverte pour braire de manière nègre .
L’Egypte, avec sa civilisation pharaonique ne pouvait être nègre. Les africains noirs ne pouvaient apporter quelque chose à la civilisation. Leurs très nombreuses langues (si elles en étaient !) ne pouvaient qu’être inaptes à dire le savoir, à supporter la science et à exprimer la technique. Et donc, à supposer que les plus doués des négro-africains devraient accéder à la mentalité moderne, ils n’auraient pu le faire qu’à travers les langues européennes, à cause de leur prétendue richesse conceptuelle et leur aptitude intrinsèque à supporter la pensée scientifique, technique et philosophique.
C’est dans ce contexte idéologiquement surdéterminé, hostile à souhait et inhibant à nul autre pareil que Monsieur le Professeur fut amené à se battre. Il dira dans sa préface à l’édition de 1964 de Nations nègres et culture, que la falsification était si forte que beaucoup d’intellectuels dont la formation intellectuelle était à ses débuts et donc pastrop inconsistante “pour leur permettre de se faire une opinion personnelle sur la thèse soutenue “s’appuyaient” au préalable, sur l’opinion d’une autorité sacro-sainte “. (DIOP, 1979 :24).
2.2.3 Les questions de Cheikh Anta et ses solutions
Lors pour rétablir la vérité historique, Cheikh Anta s’est posé trois questions. En 1948, il se demanda “quand pourra-t-on parler d’une renaissance africaine ?” (DIOP, 1990 : 33-44). En 1952, il s’interrogea sur : “comment faire pour que l’Afrique moyen puisse acquérir une mentalité moderne (seule garantie d’adaptation à la vie actuelle) sans être obligé de passer par une expression étrangère, ce qui serait illusoire.. ?” (DIOP, 1990 :53). En fin en 1957, il posa cette autre question “comment faire pour que dans le cadre d’un Etat multinational, chaque Etat fédéré soit doté d’une expression locale et que l’ensemble soit coiffé d’une langue officielle dans le meilleur des cas ?”.
Ces questions sont celles qu’il tentera fructueusement de répondre durant toute sa vie (cf 2.2.4), au point que déjà, en 1960, il pouvait écrire, en manière d’épigraphe : “le moment est venu de tirer les conclusions pratiques de tant d’années d’études des problèmes africains, de les ramasser en des formules aussi claires que possible afin de faciliter leur utilisation.” (DIOP 1960 :9)
2.2.4 Cheikh Anta DIOP
le promoteur des langues africaines
Le travail pionnier, exemplaire et colossal du Professeur DIOP a été vivement salué. Par exemple, Barthélémy KOTCHY reconnait que Cheikh Anta fut l’auteur “d’une théorie du possible développement” des langues africaines (1987 :60) contre les théories abracadantesque de la multiplicité et de la pauvreté conceptuelle naturelle desdites langues.
Aram Fal JOOB a vu en Cheikh Anta le concepteur “d’un véritable plan de développement linguistique dont l’objectif est de sauvegarder la personnalité africaine, de combler le retard accumulé dans le domaine de la science et de réaliser l’unité linguistique de l’Afrique, sur la base d’une langue africaine” (1996 :15). Après avoir passé en revue l’apport linguistique de son père, Cheikh M’Backé DIOP qualifia celui-ci de “promoteur des langues africaines” (2003 :108-110).
Ici nous aborderons les aspects ci-après de l’apport du Professeur Cheikh Anta en matière de promotion et de rénovation des langues africaines : le legs de l’Egyptien ancien et du Meroïtique (2.2.4.1), la contribution à la littérature en langues nationales (2.2.4.2) la création d’une langue scientifique technique et philosophique africaine (l’exemple du nationales (2.2.4.3) le plan de développement linguistique de l’Afrique (2.2.4.4) enfin le combat politique pour la véritable promotion des langues nationales (2.2.4.5)
2.2.4.1 le legs de l’Egyptien ancien et du Meroïtique
La parenté génétique établie entre l’Egyptien ancien et les langues négro-africaines moderne autorise à remonter à la civilisation égypto-nubienne pour dresser l’archéologie de la pensée africaine, bâtir des humanités à base égyptienne et rénover les langues négro-africaines.
C’est ainsi que dans Nations nègres et culture, tome1, il fit des “remarques sur quelques mots égyptiens typiques” (pp. 267-286), et mit une “introduction au vocabulaire (vocabulaire comparé égyptien-valaf)” (pp. 287-335).
Dans le tome 2 auparavant à la page 181, sur la base de certains exemples il suggéra “une étude systématique des racines de langues négro passées aux langues ouvrage” (édition de 1979). Il fit des traductions. (pp.425-460).
Ces traductions concernaient des concepts mathématiques, scientifiques (physique et chimie), un résumé du principe de la relativité d’Einstein, des extraits d’Horace de corneille, de la Marseillaise et de la poésie Walaf moderne.
Dans Parenté génétique .., il développe une longue “introduction au lexique égyptien walaf” (pp.161-390. Dans Civilisation ou Barbarie, il traite des emprunts grecs (p16) et anglais pré chrétien (p31) à l’Egyptien ancien. Il a recensé les termes mathématiques égyptiens qui ont survécu en Walaf (pp 349-353) et dressa une liste non-exhaustive des concepts philosophiques égyptiens présents dans le Walaf (pp.451- 457). Il s’est, enfin, intéressé aux emprunts de l’arabe à l’Egyptien.
2.2.4.2 Contribution à la littérature en Walaf
L’apport linguistique de Cheikh Anta a consisté à contribuer à l’émergence d’une littérature en langue nationale et donc d’une littérature en langue nationale africaine. Il le fit à partir du Walaf, qui est sa langue maternelle montrant ainsi le chemin à tous les africains et invitant chacun à faire le même travail dans sa langue vernaculaire.
Dans ce cadre, il a publié des textes à portée scientifique et philosophique indéniable. Ceux-ci sont devenus, depuis, des documents de référence, voire des usuels. Le premier de ces textes bilingues (français-walaf) est intitulé “Comment enraciner la science en Afrique : exemples walaf (Sénégal)”. (BIFAN, T.37, ser.B, n°1, 1975, pp. 154-233). Le deuxième est un livre d’images commentées : l’antiquité africaine par l’image.
La première édition est imprimée sous forme de numéro spécial de Notes africaines. L’Edition, que nous utilisons ici, date de 1998. Elle a été réalisée par Présence africaine. Le dernier texte porte le titre LAMMINU REEW MI AK GESTU. C’est le texte d’une conférence en walaf prononcée le prof. Diop dans le cadre de la semaine culturelle de l’Ecole Normale Germaine LEGOFF, le samedi 28 Avril 1984 à Thies. (Le CHERCHEUR, n°1, 1998, pp.13-48).
Il écrivit et publia, aussi, des résumés en walaf de célèbres théories scientifiques comme le principe de la relativité (1979, T.1, pp.453-157), le marxisme, un extrait de Horace du dramaturge CORNEILLE, acte II, scène III. (DIOP, 1990 :77-78), la Marseillaise. Par ailleurs, Cheikh Anta fit des développements fort intéressants sur la poésie et la poétique walaf (1979, T.2, pp.538-542).
A la faveur de sa désormais célébrissime polémique avec le professeur Raoul LONIS, Monsieur le professeur Cheikh Anta DIOP a défendu les spécificités du théâtre négro-africain par rapport au théâtre classique gréco-romain et défini la dette de celui-ci à l’égard de celui-là. Le président SENGHOR, dans sa “En manière de conclusion” à la polémique entre les “deux Maîtres” (l’expression est de lui. Le soleil du 6 Mars 1972, p.5), avait proposé une trêve entre les “deux chercheurs, les deux hommes de science”
Enfin (mais la thèse date de 1948), Cheikh Anta s’est penché sur les conditions d’une littérature nationale africaine. En effet, dans “quand pourra-t-on parler de renaissance africaine ?”, il a soutenu que “nous estimons que toute œuvre littéraire appartient nécessairement à la langue dans laquelle elle est écrite” (1990 :34). Pour lui, les œuvres des écrivains africains en langues étrangères appartiennent aux littératures desdites langues. Et c’est pour cela que, écrit-t-il “tout en reconnaissant le grand mérite des écrivains de langue étrangère, nous ne saurions nous empêcher de les classer dans la littérature de la langue qu’ils ont utilisée, d’où la nécessité d’une culture fondée sur les langues africaines.”
2.2.4.3. La création d’une véritable langue scientifique, technique et philosophique africaine.
Cheikh Anta voyait la nécessité de développer les langues nationales comme condition de l’essor socio-économique et scientifique du continent africain.
Dans Nations nègres et culture, il estimait que : “Cette nécessite apparait dès que qu’on se soucie de faire acquérir à l’Africain moyen une mentalité moderne, (seule garantie d’adaptation au monde technique) sans être obligé de passer par une expression étrangère (ce qui serait illusoire)” (1979, T.II, p. 415). Après avoir démontré cette nécessité, répondu aux objections qu’on pourrait faire contre la promotion des langues nationales, il a développé les “moyens de développement des langues africaines.” Ainsi pour lui “Un tel développement des langues est inséparable de traductions d’ouvrages étrangers de toutes sortes (poésie, chant, roman ,pièce de théâtre, ouvrages de philosophie, de mathématiques, de science, d’histoire, etc…)”. (p.422).
Ce qu’il fit merveilleusement (cf.2.2.4.2). Il tire de ce travail ce qu’on pourrait appeler des leçons de la traduction dans une communication pour l’UNESCO en 1976 (cf Introduction dans études interculturelles, UNESCO en 1980, pp.84-90). Ce texte constituera en 1981 le chapitre 15 sous le même titre de Civilisation ou barbarie (pp.284-290). Il distingua dans ce texte les trois cas auxquels on est confronté chaque fois qu’il s’agit de passer d’une langue européenne à une langue africaine :1) les concepts et messages “de type spécifique et dont une traduction littérale est de ce fait impossible” ; 2) “les images et expressions de type universel” et 3) “de images spécifiques mais susceptibles d’une traduction adaptée”. (p.284).
La contribution du Prof Diop dans le débat sur la gémination en walaf s’inscrit aussi dans le cadre de la création d’une véritable langue scientifique, technique et philosophique africaine. Ce débat consistait à savoir si la gémination est caractéristique de nos langues.
Contrairement à l’article 2 du décret n°75-1026 du 10 Octobre1975. Relatif à l’orthographe et à la séparation des mots en walaf, Cheickh estimait que le ledit (“décret présidentiel ignore totalement le génie des langues nationales et du Walaf en particulier”. En cela, il était en accord avec les professeurs Pathé DIAGNE du groupe “kaddu”, Arame Fal Joob de l’l’IFAN. On se souvient que le cinéaste Ousmane SEMBENE avait préféré laisser le président SENGHOR interdire la projection au Sénégal de son film ‘‘CEDDO” que de renoncer au deuxième ”D” (la marque de la gémination). Le Rassemblement National Démocratique – R N D- que SENGHOR avait contraint à l’illégalité pendant un long moment avait aussi changé le titre de son journal de ”SIGGI” (redresser la tête) à ‘‘TAXAW’‘ (se mettre debout) pour ne pas renoncer au second ‘‘G”.
C’est pourquoi en réponse à la lettre à lui adressée par le Ministre de l’information et des télécommunications, chargé des relations avec les assemblées (lettre N°00010 du 24 janvier 1977) de l’époque, cheikh Anta rejeta l’article 2 du décret incriminé, mais aussi les articles 8,10,11.
S’adressant au président SENGHOR à travers son Ministre de l’information, le prof Diop écrit “chacun doit-t-il fermer un œil quand le roi est borgne ?… Imposer une transcription manifestement impraticable et dire qu’en dehors de celle-ci on n’écrira pas dans une langue donnée est une manière non déguisée d’entraver sinon d’interdire le développement de cette langue et personne ne s’y trompe” (DIOP, 1996 :4 ).
Il faut noter que la gémination était et est connue de tous les écrivains populaires qui se sont servis des caractères arabes pour écrire dans nos langues (Ousmane Dan FODIO pour le Peul, Khali Ma DIAKHATE KALA pour le Walaf etc.) Elle est également connue de ceux qui pratiquent présentement nos langues nationales avec l’Alphabet Phonique International (API). En bamanan, par exemple, on parle de ”Samalan’‘ etc. ( buru et buuru, bara et baara etc.)
2.2.4.4 Le plan de développement linguistique africain proposé par cheikh Anta Diop
Ainsi qu’on le voit, le prof Diop a travaillé sur le corpus de nos langues mais aussi sur leur statut. C’est pour cette raison qu’il a élaboré, diffusé et défendu un véritable plan de développement linguistique de l’Afrique.
Ce plan fut ébauché dans les années 1950, quand il était encore étudiant et secrétaire général de l’Association des Etudiants du RDA. Mais c’est en1960, dans les fondements économiques et culturels d’un état fédéral d’Afrique noire, qu’il en donna l’exposé le plus systématique. Dans cet ouvrage, il développa le schéma de l’unification linguistique à l’échelle d’un territoire (pp.20-23) et à l’échelle du continent (pp.23.29). Dans Antériorité des civilisations nègres: mythe ou vérité historique ? (PARIS, P.A, 1967, 299 et annexes), il fera un exposé complémentaire. Cheikh Anta y opta pour le SWAHILI comme “langue de gouvernement et de culture” pour l’Afrique (pp. 112-114). Les critères proposés sont entre autres la nature africaine de la langue, l’état d’avancement du travail sur son corpus, son poids démographique, son extension géographique, qui lui a fait perdre sa base ethnique et sa présence dans de nombreuses universités comme langue d’enseignement et de recherche.
2.2.4.5 le combat politique de Cheikh Anta pour les langues nationales africaines.
Outre son combat scientifique te technique pour rénover le corpus des langues africaines, Cheikh Anta livra une lutte implacable pour améliorer le statut des desdites langues. Cela est logique. Car, le savant était aussi un patriote. Il fut, dans cette optique, un homme de science et un homme de conscience, un homme de pensée et un homme d’action, au point qu’on a pu dire de lui qu’il était “l’intelligence en action”.
Aussi, Cheikh Anta s’imposa-t-il comme le savant panafricaniste qui s’est battu sur le double plan scientifique et politique pour le développement des langues nationales africaines. Ce combat double dans sa dimension sociopolitique fut livré au sein du mouvement étudiant, auprès d’associations diverses et dans des partis politiques. A ce niveau, il ya lieu de préciser que Cheikh Anta a créé et dirigé trois partis politiques qui ont tous eu des problèmes juridiques avec le président SENGHOR. Le Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) a été dissout en 1963. Le Front National Sénégalais (FNS) a été interdit en 1964. Le Rassemblement National Démocratique (RND) n’a pu se faire légaliser qu’après la démission du président SENGHOR, le 18 juin 1981.
Enfin, il publia des nombreux articles ”politiques” dans plusieurs journaux et revues, à l’image de ”La véritable promotion des langues nationales : Une exigence du peuple Sénégalais’‘ ( TAXAW, n°6 décembre 1977, p. 11 et 13).
C’est donc en homme de science, homme politique et homme de presse que Cheikh Anta lutta résolument pour le développement des langues nationales africaines, comme l’a témoigné l’écrivain Birago DIOP dans un souvenir de Saint-Louis datant de 1950 : “le lendemain, je n’avais pas été au cinéma, malgré le plaisir que j’y avais repris. J’avais appris dans la journée que Cheikh Anta DIOP faisait une conférence à la maison des jeunes prés de Petit-Bras sur l’enseignement des mathématiques en langue Wolof ; et j’y avais été” (A Rebrousse-Gens-Epissures, Entrelacs et Reliefs. Mémoires III, Paris, Présence Africaine 1985, pp. 49-51).