Désacraliser les institutions en devenir au Mali est une tâche politique de grande envergure qui n’exclut ni les débats intellectuels feutrés, ni les luttes politiciennes de positionnement électoraliste, ni les actions fondamentalistes qui compromettent le caractère laïc et non partisan de l’Etat.
De même, restaurer l’Etat laïc affaibli devant l’influence grandissante de la religion musulmane, qui semble se radicaliser de plus en plus, est un sacerdoce pour les tenants du pouvoir actuels qui souffrent du déficit de légalité et de légitimité.
Face à l’intrusion intempestive des leaders confessionnels et des cultes prêchant le providentialisme résigné auprès des 65 % de maliens les plus humbles, offusqués de leurs droits fondamentaux à l’éducation et à la liberté de pensée critique, le terreau du fanatisme religieux, il faudra adopter des stratégies de négociation des plus subtiles pour éviter le jihad calculé, la précipitation de l’avènement de l’Etat islamique projeté par des acteurs nationaux et étrangers insoupçonnés.
Il est juste qu’au Mali la démocratie se corrompe et perde tous ses moyens devant la diversité de « pouvoirs » contradictoires qui, en des occasions historiques comme celles que nous vivons depuis 5 mois, ont même été antagonistes voire négatifs au point d’en être les fossoyeurs dangereux.
Des partis politiques autoproclamées démocratiques font des appels du pied aux groupes politiques iconoclastes, sectes et congrégations de tous genres jusqu’au point de renoncer d’une certaine façon à leurs principes idéologiques mêmes qui constituent les fondamentaux de la république, tandis que ces derniers consolident les postulats de l’Etat confessionnel et se servent du comportement d’ingérence équivoque des « méchants » pour susciter des controverses nationales.
Dans cette arène actuelle foisonnant d’alliances sociopolitiques ad hoc des plus saugrenues, en l’absence de principes éthiques et de repères républicains éprouvés, toutes négociations et collégialités entre les acteurs en présence, un tant soit peu démocratiques, pour conjurer l’épouvantail confessionnel intégriste en vue de BATIR[1] l’Etat laïc «fort[2]» et à même de redonner espoir aux citoyens désenchantés et aux partenaires échaudés, se révéleront vaines.
Certes la complexité de la situation explique par ailleurs les velléités et contradictions que génère l’architecture du nouveau gouvernement de transition qui a innové avec la création d’un ministère aux affaires religieuses et du Culte.
Pour la lutte contre le dogmatisme politique et surtout religieux, il n’y a pas de recettes absolues, stéréotypées et définitives puisque nous sommes en plein dans la recherche de nouvelles identités tous azimuts. Les pronostics optimistes des intellectuels en matière de solutions réelles non dramatiques sont très souvent équivoques, eu égard à la montée en puissance l’obscurantisme religieux au nord du pays et les propensions à l’ostracisme politique des marchands d’illusions au sud qu’ils se complaisent à se gargariser de patriotisme.
Le changement sociopolitique, pour ne pas dire la révolution démocratique, que nous les maliens n’avons pas eu le courage de mener en profondeur nous sera imposé par la réalité géopolitique de laquelle dépend, en dépit du chauvinisme résiduel, l’essor de notre nouvel Etat-nation LAIC.
Les intellectuels tergiversent avec une société civile plus que jamais tentée par l’exercice du pouvoir alors qu’ils ont le devoir de relever le niveau des débats et d’encourager les contradictions productrices d’émulation surtout pour les jeunes générations. Pendant ce temps, les politiciens s’acoquinent avec les islamistes qui se délectent de leurs conflits de leadership et prennent en otage les acquis précaires de l’Etat de droits et de la démocratie.
Au lendemain de la composition du premier gouvernement de CMD en avril dernier, je partageais déjà avec M. Diallo de l’IHEM, une proposition d’ouverture à toutes les forces vives, selon l’esprit de l’accord cadre CNRDRE-CEDEAO, avec des départements dont celui dédié aux affaires religieuses et au culte.
Il n’est pas superflu de signaler que je ne parlais pas exclusivement d’une religion.
Ma motivation : abstraction faite de l’irrédentisme de certains de nos compatriotes du septentrion, le nœud gordien de la déstabilisation de l’Etat malien et de ses institutions est la problématique de l’encrage du fondamentalisme musulman aussi bien dans les régions occupées au nord que dans le sud du pays.
Revendiquant 95 % d’adeptes, ce serait une vraie cécité politique que d’ignorer ce rapport sociologique dominant dans la gouvernance politique et démocratique.
Cela n’est pas synonyme d’institutionnalisation de cette religion mais de responsabilisation de ses leaders et courants divers, ayant eu le mérite de proclamer publiquement leur attachement à la république laïque et indivisible, face aux fanatiques envahisseurs qui ne souhaitent pourparler qu’avec ceux -là. Ce faisant, ils deviennent acteurs de la cohésion et de la stabilité avec obligation de résultats et de compte-rendu, l’Etat se réservant son rôle régalien de décision, d’action, de coercition et de consultation des CITOYENS et non du peuple qui dévient un concept galvaudé.
A tous les maliens et amis du Mali prenant part à ce débat sensible qui vaut la peine d’être approfondi et partagé au maximum, il me semble opportun de rappeler que notre nouvelle identité à approprier, qui ne signifie point un reniement du fabuleux patrimoine ancien, est un processus de construction qui doit tant s’incruster, modestement et prudemment, dans notre histoire glorieuse et intégrer, avec réalisme, les principes et valeurs universels de droits humains.
La consistance, la pertinence et la pérennité du contenu de référence politico-religieuse pour une démocratie restructurée dans l’Etat républicain auquel nous aspirons dépendront de la contribution que chacun de nous pourra apporter, avec déférence et sans dérobade, dans la réflexion stratégique et l’action citoyenne permanentes car il n’y a qu’une seule avenue salutaire pour le Mali: la république laïque unifiée.
Cultivons davantage le débat contradictoire et l’autocritique pour ne pas retomber dans le mirage du consensus mou nous ayant conduit dans l’impasse actuelle.
Bamako, 23 août 2012
Modeste contribution de M. Madani KOUMARE – PFDESC/Mali