Conditions de travail déplorables dans les écoles privées au Mali : Au secours, Monsieur le Président, les promoteurs d’écoles privées nous conduisent au suicide !

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Son Excellence Monsieur le Président de la Transition, Chef de l’Etat,

 

Citoyen malien, je m’adresse à vous en votre qualité de clé de voûte de toutes les institutions de la République. Jeune, je me permets de venir directement à vous car Dieu a fait de vous l’aîné des cadets que nous sommes et vous êtes le plus illustre des jeunes du Mali et certainement de l’Afrique. Quel tort peut-on reprocher à un jeune frère de courir vers son grand-frère en criant, même en pleurant ?

 

Au-delà des jeunots que nous sommes, vous êtes pour nous, enfants de la République, à la fois le Président, le père, la mère, l’oncle et, pourquoi pas si cela nous permet de vous aborder, le grand-père même ! J’ai donc l’intime conviction que mon message sera bien sensible au cœur d’un grand-frère soucieux du bien-être de l’ensemble de ses jeunes frères.

Je suis également votre neveu car ma mère est Minianka. Vous et moi, nous savons tous combien le neveu est sacré chez les Miniankas. Ceci me confère donc le droit inaliénable de venir chez vous, prendre tout ce dont j’ai besoin et vous n’avez d’autre choix que m’aider à le prendre, ou négocier en contrepartie une autre chose destinée à me satisfaire. Remercions nos grands-parents qui ont su nous léguer de telles valeurs socioculturelles. Grâce à eux, mon oncle ne va pas me laisser les mains vides.

 

Alors, cher oncle, seul Allah Soubhanallah connaît le degré du désarroi qui m’a poussé à oser vous adresser une lettre ouverte. Je suis fort conscient des défis auxquels vous êtes confrontés quotidiennement actuellement. Mais il n’y a personne mieux que vous qui puisse résoudre notre situation de précarité. Lieu et occasion pour moi, à mon nom propre et au nom de tous les enseignants évoluant dans les établissements scolaires privés, de vous féliciter et de vous dire merci pour tout ce que vous et votre gouvernement êtes en train de faire pour nous rendre fiers tous les jours. Le Mali Kura se dessine, c’est une évidence, on le voit tous les jours. Bientôt, nous aurons le Mali tel que souhaité par nos pères des indépendances. Soyez bénis, vous et tout votre gouvernement, mais aussi les Maliens conscients qu’ils ont le devoir de vous soutenir, et aussi les partenaires sincères engagés à vos côtés !

 

Je m’appelle Oumar Dionfaga, Professeur d’enseignement secondaire général évoluant dans des lycées privés de Bamako, principalement de la Commune IV. Comme tous les enseignants non fonctionnaires, de Kayes à Kidal, je suis un sortant de L’École normale supérieure de Bamako. Il y a aussi beaucoup d’autres sortants des Instituts de Formation Des Maîtres (IFM) et de L’École normale d’enseignement technique et professionnel (E.N.E.T.P.), qui, au plus profond de leur âme, se sentiront associés à ma lettre ouverte.

Monsieur le Président, le dimanche, 26 mars 2023, vous avez rendu un vibrant hommage aux martyrs du 26 mars 1991. Inutile de vous rappeler les principes et idéaux pour lesquels ils sont tombés en martyrs. Parmi ces idéaux figure ”le droit à l’éducation” pour tous les enfants du Mali. C’est pourquoi mon cher oncle, l’avènement de la démocratie au Mali en mars 1991 a beaucoup favorisé la création des écoles privées. Même si l’histoire des écoles privées au Mali a proprement débuté en 1994 avec l’adoption de la première loi ouvrant le secteur de l’éducation à l’enseignement privé pour combler le déficit que le public n’arrivait pas à absorber. En effet, l’Etat n’avait plus la capacité d’accueil suffisante pour tous les enfants du pays en âge d’être scolarisés.

 

Toujours est-il que, depuis la libéralisation du secteur de l’Education au Mali, les structures privées n’ont cessé de croître. Aujourd’hui, il est impossible de compter deux ou trois rues de Bamako sans tomber sur une école privée, au point qu’on a l’impression que chaque rue a son école. Toutes ces écoles sont pleines à craquer d’enfants. Certaines sources indiquent qu’elles dépassent largement le nombre d’écoles publiques. Pour l’année scolaire 2021-2022, le ministère de l’Education nationale avait enregistré 14 530 établissements au niveau du premier cycle fondamental, 4 962 au niveau du second cycle et 2 963 au niveau du secondaire. Cet effectif faisait plus de 70 % de l’effectif global des écoles au Mali contre 23 % pour les lycées publics. Ces écoles sont régies par la loi N° 2012-013 du 24 février 2012 et son décret d’application N°2012 588 P-RM du 8 octobre 2012 qui déterminent les conditions de création et d’ouverture des établissements scolaires au Mali.

Votre Excellence, cher oncle, permettez-moi d’attirer votre attention sur un détail très important quant au rôle primordial que nous, les enseignants dans les établissements scolaires privés, jouons dans notre système solaire. Selon des informations, de nos jours, il y a sûrement, rien qu’au niveau du secondaire (lycées et écoles professionnelles), plus de 3.000 établissements privés. Il faut au minimum 40 Professeurs pour dispenser toutes les disciplines dans toutes les classes de chaque série de la dixième à la terminale. En multipliant les 40 Professeurs par 3.000 établissements, la somme donne 120.000 Professeurs. Ce nombre n’est qu’une sous-estimation du nombre des Professeurs diplômés n’exerçant que dans les lycées privés. Ce nombre serait aussi valable en planchant sur les enseignants dans les niveaux « premier cycle et second cycle fondamental ». En vous faisant une sous-estimation globale, Votre Excellence, nous sommes au minimum 355.560 enseignants qui encadrons plus des 70% des enfants, c’est-à-dire l’avenir de la nation malienne. Grâce à ce nombre, les établissements scolaires privés sont sans doute les plus grands pourvoyeurs d’emplois dans notre pays. Aucun secteur ne fait mieux et ne pourra faire mieux, en tout cas pour les moments présents.

 

Excellence Monsieur le Président, notre grand-frère, chacun de ces 355.560 enseignants compte une famille d’au moins 5 membres, sans compter leurs propres foyers.

Son Excellence Monsieur Le Président, cher aîné, notre grand frère ! Mon oncle !

Les enseignants évoluant dans les établissements scolaires privés vivent dans une injustice et une marginalisation gravissime de 1994 à nos jours. Cette injustice et cette marginalisation gravissimes viennent, d’une part, de tant de nos employeurs promoteurs et, d’autre part, de l’État malien. Nous n’avons aucun droit et aucune considération de la part de nos autorités administratives et de nos autorités de la nation. Nous ne bénéficions de rien comme si nous étions les plus maudits de ce pays alors que nous faisons plus que n’importe qui dans ce pays pour son devenir. Mais nous sommes plus que jamais muselés comme des vulgaires chiens et condamnés dans les abîmes du silence au péril des miettes avec lesquelles nous nous rendons utiles à nos parents et familles.

 

Excellence Monsieur Le Président, cher aîné, mon oncle !

Vous nous devez beaucoup ! Vous nous devez une fière chandelle ! Vous nous devez en tant que président de tous les fils et filles de la nation malienne. Vous nous devez car toute votre première victoire aux yeux de la nation a été possible grâce à nous, les enseignants dans les établissements scolaires privés. Le 27 janvier 2020, l’année scolaire au Mali était prédestinée à être une année blanche. Les enseignants fonctionnaires étaient en grève. Le Premier ministre de l’époque, Dr. Boubou Cissé, a eu l’idée salvatrice de recruter 15.300 enseignants volontaires pour assurer les cours en attendant qu’il y ait un dénouement heureux avec les grévistes. Même si nous avons été traités de tous les mauvais noms, nous avons rempli cette mission. Certains ont été jusqu’à dire sur les antennes des radios, sur les réseaux sociaux, aux élèves et à leurs parents que l’État avait recruté des mécaniciens et réparateurs de motos pour venir les remplacer. Ce qui fut la raison d’agressions des élèves instrumentalisés et certains membres des syndicats grévistes pour nous insulter et nous chasser souvent des classes. Nous avons quand-même continué à gérer les programmes jusqu’après la chute du régime IBK. Vous avez pu trouver à Kati, après une audience à huis clos avec les syndicats, à l’issue de laquelle l’année scolaire 2029-2020 a pu être sauvée. J’étais présent ce jour à Kati dans la cour du Prytanée militaire de Kati. Tous les élèves et tous les parents d’élèves de Kayes à Kidal se sont dits heureux et ils n’ont jamais cessé de vous saluer. Et comme d’habitude, la majorité, ceux qui détiennent les plus de 70%, ceux qui ont bravé les coups et manques de respect, n’ont eu aucun remerciement si ce n’est des attestations de participation décernées par le Centre National pour la Promotion du Volontariat (C.N.P.V.).

 

Excellence Monsieur le Président, pas plus tard que l’année scolaire passée (2021-2022), les grévistes sont revenus à la charge en boycottant les examens de fin d’année, notamment la surveillance, le secrétariat et les corrections. Comme d’habitude, nous avons su sauver nos élèves, ceux pour qui vous vous battez pour léguer un Mali Nouveau, le Mali Kura. Et, sans surprise, il a été dit que ces examens ont été mal surveillés et les copies mal corrigées. Triste est de savoir que ceux qui nous vilipendent ont tous été des enseignants dans les établissements scolaires privés avant d’être fonctionnaires. Et, pour vous souligner notre marginalisation, cette même année, un fond COVID-19 aurait été alloué pour alléger les enseignants dans les établissements scolaires privés, car leur travail fût interrompu pendant deux mois en raison de la COVID-19. Monsieur le Président, aucun enseignant n’a reçu un franc. Il nous a même été dit que ces fonds étaient exclusivement destinés aux promoteurs pour qu’ils puissent payer leurs établissements en location, etc.

 

Son Excellence Monsieur Le Président, cher aîné, notre grand-frère, mon oncle !

Loin de moi toute prétention de vous apprendre quoique ce soit sur l’importance de l’éducation et sur le rôle que joue un enseignant dans un pays. Cependant, permettez-moi de vous poser quelques questions.

Mon oncle, Un Malien vaut-il mieux qu’un autre ? Un enseignant d’un ordre d’enseignement vaut-il mieux qu’un autre enseignant du même ordre ? Alors même qu’ils sont tous les deux sortants de la même école ou du même institut de formation professionnelle, avec les mêmes diplômes ? Pourquoi nos collègues exerçant dans le public sont mille fois mieux traités, mille fois mieux respectés et considérés par l’État malien que nous ? Je vous rappelle que ceux-ci ne détiennent que 23% des enfants scolarisés. Dans ce pays, pourquoi si on parle d’enseignants, c’est à eux seuls qu’on pense ? Certes, être fonctionnaire doit avoir ses avantages, mais le fossé entre nous est tellement grand que nous inspirons de la pitié pour certains et du dédain pour d’autres. Pourquoi sommes-nous traités comme des sous-enseignants ? Quelle ironie du sort que ceux qui détiennent 23% soient plus écoutés, craints et considérés plus que ceux qui détiennent les 70% ! C’est quel type de démocratie nous vivons dans ce secteur ? Ma dernière question est la suivante : pourquoi l’Etat ne s’implique-t-il pas dans la gestion de ces établissements privés quant aux salaires des enseignants ?

 

Excellence Monsieur le Président, cher aîné, mon oncle !

Nous ne demandons pas à être traités au même pied d’égalité que les enseignants fonctionnaires. Nous voulons juste que l’État sache que nous existons et que nous vivons dans une précarité grandissante. Nous voudrions juste que vous vous impliquez personnellement pour la régularisation des situations et une mise en valeur des enseignants.

 

Grâce à votre implication, la Fonction publique malienne devient de plus en plus attrayante, surtout pour ce qui est de l’armée, et c’est tant mieux. Je reste convaincu qu’avec un seul ordre de votre part, nous les enseignants dans les établissements privés ne souffriront d’aucune injustice et nous pourrions mener une carrière sans envier les autres. Sinon, comment se peut-il qu’après une vingtaine d’années dans ces établissements scolaires privés, nous soyons toujours dans la situation de survie ? Aucun d’entre nous n’a même pas un bon moyen de transport. Nous n’avons aucun droit et aucun accès aux facilités de l’État (sans couverture sociale, sans AMO, sans possibilité de bénéficier d’un logement social, ni de retraite INPS). Comment se peut-il que nos élèves qui ont eu leur bac, BT ou CAP en 2022, qui sont parvenus à passer à un concours de la police, des sapeurs-pompiers ou de l’armée, sont aujourd’hui mieux payés que nous et, cela, dans l’intervalle d’un an seulement ? Même nos enfants sont mieux rétribués que nous ? A cause de notre situation, le métier d’enseignants est devenu synonyme d’échec social pour nos familles, le voisinage et même pour nos apprenants. Même les vigiles des sociétés de gardiennage s’en sortent mieux que nous ? S’il faut passer 15 à 18 ans de sa vie à étudier pour finir dans ce genre de situation, c’est juste une honte.

Excellence Monsieur le Président, à la suite des deux semaines (240 heures) de fermeture des établissements scolaires privés par les syndicats de leurs promoteurs, une solution à l’amiable a pu être trouvée le jeudi, 23 mars 2023, au grand bonheur des promoteurs, mais au grand dam des enseignants. Cependant, ces deux semaines furent pour le calvaire. La fin de la grève coïncida avec les congés de Pâques. Et nous voilà encore avec un mois sans travail, donc sans salaire ! Et dire que ceci survint au début de ce mois béni de Ramadan. Nous ne parvenons même pas à payer assez de sucre pour nous-mêmes, à plus forte raison pour nos belles familles. Nos enfants feront sûrement encore une fête de fin de Ramadan sans ”sélima fini”. Mon cher oncle, je suis sûr que vous ne souhaitez pas une pareille situation pour vos petits-enfants. Je suis autant sûr que vous n’êtes pas au courant de cette triste et révoltante situation. Je vous prie mon cher oncle de bien vouloir réagir à ma lettre.

 

Excellence Monsieur le Président, cher oncle,

 

Nous souffrons ! Les enseignants dans les établissements scolaires privés souffrent. Il n’y a pas de vie pour nous. Aucun espoir pour un lendemain meilleur. Certains parmi nous sont arrivés dans la quarantaine et n’osent même pas tenter de se marier malgré le besoin et l’envie. Aujourd’hui, malgré le contexte actuel, vous parvenez miraculeusement à faire une augmentation des salaires dans tous les secteurs de la Fonction publique. Mais hélas, nous, jusqu’à présent certains promoteurs ne nous paient pas comme il se doit. Ils annihilent, incontestablement, vos efforts. Comment peut-on croire qu’en 2023 un enseignant soit payé en dessous du SMIG ? Quand nous nous lamentons sur notre sort, tout ce qu’on nous trouve à dire, c’est ” Organisez-vous ! Faites des grèves ! Faites des revendications, etc…” Si nous osons, nous serons juste appelés et chassés du travail. Tous ceux qui ont osé élever le ton ont tout simplement été remerciés, sans préavis. Nous avons tous peur que cela nous arrive car nos parents et nos enfants à notre charge auront du mal à subsister. Nous sommes ainsi muselés et obligés de subir.” Celui qui ne parle pas consent”, dit-on. Nous consentons malgré nous. Je me réserve le droit de garder le silence sur certaines injustices que nous font vivre certains promoteurs jusqu’au moment opportun.

Excellence Monsieur le Président, cher oncle, Après vous avoir souligné le problème, je me dois de vous suggérer certaines solutions. Je suis fort conscient que vous disposez d’une multitude d’experts conseillers en matière d’éducation et d’emplois. Une source m’a clarifié que pendant les démarches d’ouverture d’un établissement scolaire, le promoteur s’engage à donner des contrats de permanence à un nombre d’enseignants. Rares sont ces établissements qui ont des enseignants permanents. Ceux qui en ont ne dépassent pas deux ou trois. Ils s’engagent également à payer les enseignants vacataires à 2.000 francs CFA l’heure. Contrairement à cet engagement, très rares sont ces promoteurs qui paient l’ensemble de son personnel au-delà de 1.500 francs CFA l’heure. Les plus insensibles nous paient même à 1.000 francs CFA l’heure. C’est odieux. La plupart des établissements scolaires privés de Sikasso paient leur personnel enseignant à 2.000 francs CFA. Alors que ces derniers bénéficient de la même subvention de l’Etat que ceux de Bamako et ailleurs. Donc, il est possible que ceux de Bamako aussi arrivent à payer leurs personnels au même coût.

Excellence Monsieur le Président, Veuillez, dans un premier temps, à l’application des textes d’engagement. Certains promoteurs, soucieux de leurs personnels, parviennent à les bancariser. Dans ce cas, que les subventions soient en retard ou pas, la banque règle les salaires. Pour d’autres possibilités d’améliorer ce secteur, notre vie, je vous prie, Monsieur le Président, de vous impliquer personnellement avec vos experts du domaine. Je suis sûr qu’avec votre implication, nous pouvons espérer.

Ma dernière inquiétude se pose sur le point suivant. Lors des pourparlers avec le groupement des promoteurs d’établissements scolaires privés, les promoteurs se sont engagés à payer les impôts. Je me demande quel est le mode de paiement de ces impôts. Certains établissements privés qui ont accepté le paiement de ces impôts au départ sont en train de les prélever sur le salaire de leurs enseignants. S’il faut qu’on nous prélève quelque chose sur nos maigres salaires de 1.500 et 1.000 FCFA l’heure, combien nous restera-t-il ? Quelques jetons pour acheter la corde pour nous pendre ? Quel suicide !

Je finis ma lettre en me confiant à vous, Excellence Monsieur le Président, cher oncle, le père et le grand-père. Je risque d’être remercié par mes employeurs si ma lettre est perçue comme une dénonciation plutôt qu’un cri de cœur.

Dans l’attente d’une suite favorable, veuillez agréer, Monsieur le Président, cher oncle, l’expression de mes nobles sentiments.

Oumar Dionfaga Professeur d’Allemand, d’Anglais et de Langues nationales            de l’enseignement secondaire général

 

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