Au cours des quatre dernières années, le Mali, avec l’aide des partenaires techniques et financiers, s’est engagé dans la mise en place d’un système statistique performant, plus crédible et respectant certaines normes scientifiques et internationales. A cet égard, le pays a procédé à une importante reforme institutionnelle en érigeant la DNSI en INSTAT qui devient un établissement public à caractère scientifique et technologique. Cette situation s’est presque imposée face aux réalités de terrain et la vision des bailleurs de fonds. Aussi, la situation montre la ferme volonté du gouvernement malien d’avoir un système statistique plus crédible et performant en termes de production et d’analyse des données pour les décideurs publics.
Il faut aussi rappeler que le système statistique du Mali était parmi les meilleurs de la sous région vers les années 1980. Après ces périodes de performance, le pays a connu une période où son système statistique semble être l’un des moins performants de la sous région. Aujourd’hui, le système statistique du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Burkina, du Niger, du Cameroun dispose de ressources humaines capables d’assurer la production statistique du pays ; alors qu’au Mali, encore lit-on dans certains documents : 90% des statistiques sont produites par des non statisticiens. Conscient de cette situation et des insuffisances du système statistique de notre pays, le gouvernement a décidé de limiter le recrutement d’ingénieurs statisticiens (pour la fonction publique) aux seuls sortants des écoles de statistiques. Ceci a été une bonne décision dans la mesure où c’est à peu près ce qui se passe dans les autres pays et aucun système statistique ne peut être efficace sans une ressource humaine hautement qualifiée.
Malheureusement, la très mauvaise répartition des lauréats (pour le recrutement d’ingénieur statisticien) vient annuler sans doute les efforts fournis pour le système national statistique du pays. En effet, certaines réalités entachant le système statistique méritent d’être soulignées:
" Le Mali est l’un des pays ayant le moins de lauréat au concours d’entrée dans les grandes écoles de statistique d’Afrique. Parmi les 18 pays qui competissent, le Mali semble faire partie des pays n’ayant pas généralement plus de 4 lauréats par an (contre une moyenne d’au moins 12 par pays et par an). Malgré cet effectif très faible, le Mali n’arrive pas à assurer une modeste bourse pour ses élèves pour la formation des ingénieurs statisticiens. Durant les 8 dernières années, aucun étudiant malien n’a pu bénéficier de financement du pays pour faire cette d’excellente formation en statistique d’intérêt national. Actuellement, les étudiants maliens qui sont dans les écoles de statistique sont non boursiers et font face à de nombreux problèmes qui impactent assurément leur formation. Pourquoi ne pas mobiliser une modeste somme pour la formation des statisticiens des grandes écoles d’Afrique. Et surtout, les bailleurs seront sans doute disponibles pour la mise en place d’un tel projet. Mobiliser une aide même de 50 000 FCFA par mois pour ces élèves ingénieurs sélectionnés après un concours réunissant 18 pays ne coûtera pas grand chose pour le pays. La plus haute autorité devrait être impliquée afin de régler de manière définitive ce problème.
" Le deuxième contraste qui fait l’objet de ce papier, est la finalité réservée aux jeunes maliens sortant des grandes écoles de statistique. Après le concours d’entrée à la fonction publique, tous les sortants de nos grandes écoles sont admis au concours. Cependant, aucun de ces jeunes n’a été orienté à la structure centrale de production de données (qu’est l’INSTAT). Dans une situation de ressources humaines insuffisantes, la fonction publique malienne devrait s’inspirer de ce qui se passe dans les autres pays (quand on a une équation à résoudre qui est déjà résolue de manière efficace dans un autre pays, copier et adapter ne devrait être que quelque chose de naturel). Au Sénégal, au Niger, au Burkina, au Cameroun, etc. les sortants des écoles d’excellence de statistique appliquée d’Afrique sont d’office orienté dans la structure centrale de production de données, et ceci pour trois raisons : A. le programme de ces écoles est nettement axé sur les réalités du système statistique de nos pays. D’ailleurs dans les pays comme le Sénégal, le Cameroun, le Burkina, les jeunes sortants de ces écoles ne font aucun concours pour entrer à l’Institut National de Statistique (sauf si l’effectif demandé est inférieur au nombre de sortants : ce qui n’arrive presque jamais). B. dans un contexte d’insuffisance de ressources humaines, la structure centrale de production des données devrait être privilégiée et ces jeunes sont formés pour relever des défis. C. ces jeunes sont mieux indiqués pour l’application de nouvelles méthodes statistiques. En effet, les méthodes d’estimation statistique, les méthodes descriptives et les méthodes explicatives deviennent de plus en plus complexes. Ou on se base sur ces jeunes formés à cette fin ou l’on est obligé de se baser sur des consultants internationaux extrêmement couteux pour le pays. La fonction publique malienne devrait observer tous ces critères dans les pays voisins avant d’orienter les jeunes statisticiens.
" Notre objectif est d’attirer l’attention des uns et des autres sur un tel dérapage, surtout dans un contexte où les partenaires techniques et financiers semblent bien disponibles à accompagner le pays et que ces partenaires même s’ils se réservent de critiquer ces types d’erreurs en sont bien conscients. Enfin, il faut signaler qu’il appartient à la plus haute autorité du pays de pendre en main la situation du pays en termes de système statistique. Au Sénégal, par exemple, la question semble être traitée depuis la présidence. Ainsi, nous constatons une différence nette entre notre pays et ce pays en termes de système statistique. Pourquoi ne pas chercher à savoir qui sont les producteurs de statistiques de ce pays et comment sont -ils recrutés et comment sont-ils traités depuis la formation jusqu’au recrutement ?
Avant de proposer quelques recommandations, signalons, qu’actuellement, aucun pays ne peut avancer sans évaluer de manière quantitative le passé et le présent et prévoir le futur. C’est le cœur du métier des statisticiens de formation (mais de nom).
Les six dispositions ci-après sont résolutives.
" Nous recommandons que les profils Ingénieurs Statisticiens Economistes et Ingénieurs des Travaux Statistiques soient réaffectés à la structure centrale de production de données. L’avenir du système statistique en dépend.
" Nous recommandons, la mise en place d’un fonds afin de financer la formation de statisticiens. Il ne sert à rien de décrier le manque de statisticiens dans le système alors que les lauréats du concours n’ont jamais eu une aide si modeste soit-elle de la part du pays. Pourquoi ne pas mobiliser un fonds modeste ne serait-ce que 50 000 FCFA par mois pour ces braves élèves ingénieurs.
" Nous recommandons : dans la limite des places disponibles que les sortants des écoles de Dakar, de Yaoundé et d’Abidjan soient directement intégrés dans le système (ce sont les écoles d’AFRISTAT, donc ce sont les écoles de notre système statistique). Si le nombre de places disponibles est inférieur au nombre de candidats (ce qui ne se produit presque jamais), un concours peut être organisé uniquement entre les statisticiens (c’est ce qui se passe : au Sénégal, au Burkina, au Niger, au Cameroun). Les sortants des écoles de statistique appliquée du Maroc, de la Tunisie et d’Algérie peuvent dans une certaine mesure être recrutés sans concours. Signalons tout de même que les programmes de ces écoles ne sont pas directement axés sur le système statistique de nos pays.
" La prise au sérieux de la situation du système statistique, par la plus haute autorité du pays, car il y va de l’avenir du pays, et permet de mobiliser davantage de fonds basés sur les résultats de différentes études sérieuses (c’est le cas du Sénégal).
" Nous recommandons à notre pays de copier les pays voisins qui ont réussi dans ce domaine. Et surtout de prendre note que le silence de certains partenaires (techniques et financiers) ne signifie pas leur ignorance de la situation. Il appartient donc au pays de profiter au maximum de la disponibilité de ces partenaires en respectant les règles du jeu qui permettent d’avoir un système statistique efficace.
" Enfin, nous recommandons une reconnaissance du corps des statisticiens des grandes écoles de formations en statistique.
Sidiki GUINDO
Ingénieur des Ecoles d’excellence de Statistique et d’Economie Appliquée de Dakar et D’Abidjan
Formateur des jeunes statisticiens à l’Ecole de Dakar