Beaucoup d’analystes et d’hommes politiques maliens ne tarissent pas d’éloges sur les initiatives du président français François Hollande pour obtenir une action armée afin de déloger les islamistes armés (à l’exception notable du MNLA) des régions Nord qu’ils occupent depuis mars 2012.
Ainsi, le président français, pour avoir saisi le Conseil de sécurité des Nations-unies, est devenu «un vrai ami du Mali» qui va prendre la tête de la prochaine croisade contre les islamistes fanatisés qui poursuivent leur entreprise macabre et criminelle : amputations des mains, des bras et des pieds, imposition forcée de la charia, exécutions extrajudiciaires, atteintes graves aux libertés individuelles et collectives.
Face à tant d’atrocités commises contre nos compatriotes, aux humiliations, à la destruction sauvage de notre patrimoine culturel, la réaction devant cet «engagement» et cette «détermination» du président français me paraît humainement compréhensible, et tout à fait juste.
Cependant, largement instruit des expériences historiques précédentes des interventions menées par la France, je m’inscris à contre courant de ce discours particulièrement dithyrambique et laudateur pour me livrer à une réflexion critique.
La crise qui secoue le Mali intéresse beaucoup le «docteur France» qui prétend venir au secours du malade du cancer qui ronge le nord du Mali. Mais, à mon avis, ce docteur est plutôt mal placé pour intervenir (que cette intervention soit directe à travers le déploiement des forces spéciales sur le théâtre d’opération, ou indirecte, à travers un appui logistique). Pour la simple raison qu’il est intervenu dans bien des endroits en Afrique sans jamais vraiment résoudre les problèmes : Au Rwanda, en Lybie et en Côte- d’Ivoire.
Aujourd’hui, les autorités françaises sont obsédées par une intervention militaire et ne parlent pas de solution politique au Nord (alors que la solution politique définitive était leur cheval de bataille durant tout le temps où le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) avait en apparence le leadership des groupes armés !). Cela m’amène à me poser un certain nombre de questions :
1. Où veulent-t-elle en venir aujourd’hui ?
2. Où est l’analyse française sur les origines de cette situation et quelle solution politique à terme est envisagée ?
3. Quels sont au juste les buts de cette guerre ?
4. Quand pourra-t-on considérer que les opérations militaires seront terminées ?
5. Pourquoi la France semble autant s’intéresser aux souffrances des Maliens ? N’est-ce pas à cause des richesses qui sont les causes de cette motivation ?
Ce sont des questions que le gouvernement français n’aborde jamais, tout en faisant pression sur les Nations unies pour obtenir son feu vert. Tout se passe comme si on veut affaiblir le Mali, voire le démembrer. Sinon, comment expliquer autrement cet amour immodéré de la France et d’autres pays pour le MNLA ?
Mais si le Mali a absolument besoin de soutien extérieur pour résoudre la crise, il existe des forces beaucoup plus neutres que l’armée française, cela s’appelle les casques bleus. Pourquoi semble-t-il, personne ne semble travailler sur ce remède ? Après tout, même si l’efficacité des casques bleus n’est pas toujours démontrée, ils interviennent – au moins en théorie – pour désarmer et favoriser la paix. Est- ce que ce ne serait pas moins pire que le pompier français qui prétend éteindre le feu qu’il a contribué à allumer ?
Je vois dans l’attitude de la France une manœuvre subtile dont l’objectif stratégique est double :
– la première manœuvre fait légitimer le MNLA et sa revendication de l’autodétermination d’une part, et obligera les autorités maliennes à dialoguer avec lui ;
– la seconde manœuvre consiste à faire avaliser l’intervention militaire pour assurer au MNLA un territoire réel et des populations vivantes sous «son autorité», et surtout permettra d’imposer, par le truchement des forces étrangères (CEDEAO et éventuellement d’autres armées africaines) occupant le territoire, la tenue d’un referendum sur l’autodétermination (laquelle sera sans doute truquée ou n’aura jamais lieu parce que le MNLA, honni par les populations locales ne peut pas gagner démocratiquement des élections) ; en ce cas, l’enlisement conviendrait mieux à la France pour faire gérer cette partie de notre territoire par ses suppôts et à son compte.
Et c’est dans cette vision stratégique qu’il convient de situer et d’analyser les nouvelles interventions du président Blaise Compaoré et de la CEDEAO qui sont :
a) de fournir au MNLA une légion d’experts en droit international qui lui ont élaboré une stratégie fine avec comme première étape une étrange version du principe de l’autodétermination et des documents juridiques secrets pour la suite ;
b) faire imposer par la CEDEAO aux autorités maliennes, la création d’une structure nationale pour les négociations avec les groupes armés qui se sont démarqués des terroristes islamiques que sont le Mouvement pour l’unité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJUAO) et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Un Comité national de négociation existe, au moins sur le papier, sur «proposition» du Pr. Dioncounda Traoré. Mais, Blaise Compaoré vient de demander la création officielle d’une telle structure pour la même mission, dans le but évident de servir les desseins de la France.
Dans cette perspective, une bataille diplomatique entre la France et l’Algérie est déjà ouvertement engagée, prélude à des tensions, voire à une confrontation militaire ou à un enlisement total aux conséquences particulièrement désastreuses pour le Mali et les autres pays du champ.
L’absence de vision du gouvernement actuel dirigé par le Dr. Cheick Modibo Diarra, son amateurisme scandaleux et son extrême légèreté dans la gestion de la crise politique, institutionnelle et sécuritaire ne laissent aucune marge de manœuvre au pays, pour construire une approche politique et diplomatique en mesure de le prévenir des menaces qui le guettent.
Notre pays, depuis son indépendance a toujours été et reste confronté à un contexte aléatoire. Il doit aujourd’hui plus que dans le passé, afin de garantir la solidarité, la cohésion et l’unité nationale, relever les grands défis permanents qui lui sont posés :
– gérer l’incertitude, l’imprévu, le risque, l’insécurité sous toutes ses formes ;
– assurer les arbitrages nécessaires entre les disparités des régions géoéconomiques et des écosystèmes auxquelles elles sont rattachées, entre différentes composantes et sous-composantes de la nation.
A ces grands défis perpétuels, s’ajoutent de nouveaux enjeux du développement humain (économique, technique, social et culturel) dans notre pays. On peut citer entre autres : la vulnérabilité face aux chocs extérieurs et la précarité liée aux risques (plus importantes que la pauvreté et la misère, en fait, surtout la conséquence des politiques publiques irresponsables, antipopulaire et antinationales) ; la formation et l’éducation ; la santé ; le logement ; l’énergie ; l’eau potable pour la consommation humaine et l’eau nécessaire aux activités de production ; l’environnement ; la dégradation et la dilapidation de notre patrimoine écologique ; le pillage de nos richesses naturelles…
Sous la dictée de la CEDEAO et des puissances étrangères notamment la France, le gouvernement du Dr Cheick Modibo Diarra prolonge la situation de confusion dans le pays, laquelle est favorable à toute sorte de combines politiciennes pour renforcer et maintenir leur position dans le système de gestion politique et clientéliste pour mieux assurer leur maintien au pouvoir après la transition.
A terme, la solution politique qui s’impose à notre pays pour la résolution de la crise qu’il traverse peut se résumer en cinq propositions concrètes :
1. le Mali doit souverainement engager une double action diplomatique et militaire, dès maintenant pour inscrire la reconquête dans la durée ;
2. il ne doit laisser aucune force étrangère occuper le terrain ;
13. tout appui doit venir en appoint sans possibilité de s’installer pour introniser un groupe rebelle et piller les ressources de la région après la guerre ;
4. la première aide sincère et honnête doit être de faire débloquer nos armes retenues dans les ports des pays voisins ;
5. la seconde, tout aussi capitale, c’est de laisser les maliens décider souverainement du devenir de leur pays (en particulier la concertation nationale) chose que la CEDEAO, l’Union africaine, la France s’est employée à empêcher par tous les moyens depuis le 22 mars 2012.
Nouhoum KEITA, Secrétaire Administratif du Parti SADI