Censé être un expert de la communication de crise depuis son passage à l’ONUCI, son arrivée au Ministère de la communication a suscité beaucoup d’espoir. En effet, en tant que journaliste de formation, la moindre des choses à laquelle on pouvait s’attendre, c’était une franche collaboration entre lui et les médias, un bon usage de ces derniers pour gérer au mieux la crise que traverse notre pays. On ne pouvait espérer un meilleur défenseur du sacro-saint principe de la liberté d’expression dans notre pays.
Cependant, tout porte à croire qu’il est un adepte de la censure, de la caporalisation de la presse privée. L’histoire retiendra qu’il est coupable, ne serait-ce que d’une complicité passive, dans la violence déclenchée contre celle-ci.
Par ailleurs, il faut noter que la communication a toujours été le talon d’Achille du Gouvernement, voire l’une des causes profondes de la chute du régime d’ATT. Le Département avait alors, à sa tête, un autre professionnel qui a transformé l’ORTM en instrument de propagande gouvernementale dans un contexte de démocratie multipartiste. En l’occurrence, celui-ci s’est comporté en fossoyeur des acquis en matière de pluralisme de l’information pour retourner aux vieilles recettes dont il avait su user ad nauseam sous le régime du parti unique. Aussi, il n’hésitait pas à faire la leçon aux journalistes de la presse privée.
Tout se passait comme si l’objectif affiché était de contrôler tous les canaux d’information pour anéantir toute critique de l’action gouvernementale. Il fallait couvrir uniquement les faits et gestes de l’appareil d’Etat et museler toutes les voix discordantes pouvant parvenir de la société civile ou des partis politiques noyés, la plupart dans le brouillard d’un consensus triomphant.
Le comble : vers la fin du régime agonisant d’ATT, le Ministre de la communication, Sidiki N’fa Konaté, a réuni tout le gratin de la communication gouvernementale à Sélingué pour un séminaire historique sur la communication afin de se préparer face aux enjeux cruciaux (crise des Nord et différentes élections). C’était trop tard…
En ce qui concerne le nouveau Ministre «onusien», il s’est contenté d’un plat réchauffé avec le même Secrétaire général. Depuis les ratages, les maladresses et les sorties réactives, les contradictions et les incohérences se multiplient. Par exemple, récemment, à la Maison de la Presse , le Ministre des Sports a voulu livrer le message du Gouvernement en tant Ministre intérimaire du Département de la communication, mais il s’est vu ravir la vedette par le Secrétaire général dudit Département.
En outre, à propos de la création d’une Unité spéciale pour la sécurisation des institutions, deux communiqués contradictoires sont venus semer la confusion quant à celui qui coiffera cette structure. Quelques jours plus tard, le Ministre de la Défense , Yamoussa Camara, profitera de la remise du rapport d’inspection des experts de la Force en Attente de la CEDEAO pour rectifier encore le tir.
De surcroît, les attaques répétées, les intimidations et autres écoutes téléphoniques des journalistes démontrent que l’amateurisme, l’incurie dans la gestion des communications gouvernementales ont atteint leur paroxysme. Dans cette escalade, de l’exemplarité du Mali en matière de démocratie et de liberté de presse, on ne pourra plus s’en enorgueillir.
Dans un tel contexte, soit l’actuel Ministre Hamadoun Touré confond le contrôle de l’information et communication. Soit que la communication gouvernementale, dans son entendement, revient à obtenir le consentement ou l’embrigadement des médias et des journalistes par la baillonnette. La confusion est telle qu’on se rend à l’évidence que le Gouvernement de Transition ne dispose toujours pas d’une communication de crise digne de ce nom, d’une communication à hauteur des défis auxquels le pays est confronté.
Il urge que cette communication gouvernementale s’abreuve aux sources pour être le reflet d’une société libre, démocratique et multipartiste. Pour ce faire, elle doit retourner aux fondamentaux, c’est-à-dire au service du dialogue, de la confrontation des idées, de la promotion d’une culture de la paix et de la solidarité. Elle se doit de l’être davantage en ces temps de crise multidimensionnelle qui menace la survie de notre communauté nationale. Elle doit également refléter les représentations collectives, notre appartenance à une même Nation, nos aspirations à un Mali meilleur, à un Mali de diversité, de paix, d’unité, de stabilité et de prospérité.
En temps normal comme en temps de crise, la communication gouvernementale doit reposer sur des principes, des valeurs, des politiques sectorielles, des programmes, des plans d’action et un contrôle. Mais, il ne saurait y avoir de communication gouvernementale sans des ressources financières et humaines, des agents bien formés, expérimentés, un véritable corps de la fonction publique nationale. Chaque Département doit mobiliser les ressources pour atteindre des objectifs sectoriels dans le cadre d’une stratégie globale.
La communication gouvernementale doit suivre des axes prioritaires tels que la consolidation de la démocratie et de la bonne gouvernance, le développement économique et social et la confiance des citoyens dans les institutions.
Dans le contexte de crise, la communication doit contribuer à recoudre le pays ; rassurer les citoyens quant à la continuité et à la disponibilité de l’Etat ; voler à leur secours ; soutenir avec toute la compassion nécessaire les victimes et les déplacés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Dans cette optique, une offensive médiatique sur le plan national et international doit être entreprise. Une gestion intelligente des rumeurs et d’autres erreurs de notre presse, la sensibilisation des médias peuvent favoriser la transparence de l’action gouvernementale.
Une communication ouverte doit être menée en direction de la société civile. Chaque Département ministériel doit s’inscrire dans la stratégie globale. Les agents doivent agir en toute synergie avec le Ministre de la communication. Un système de veille médiatique, c’est-à-dire, une gestion stratégique des médias, de la presse locale et internationale pour répercuter les messages de façon cohérente.
Les communicateurs doivent faire comprendre que les Maliens s’attachent aux valeurs démocratiques et demeurent hostiles au terrorisme sous toutes ses formes. Que les Maliens désirent recouvrer l’intégrité de leur territoire et vivre en paix avec leurs voisins et le reste du monde dans la paix et la fraternité. Les Maliens continueront de défendre les valeurs de justice, d’égalité et de coopération entre les peuples.
Toute cette démarche de communication doit s’inscrire dans une logique de planification stratégique. Ce qui implique une analyse objective du contexte politico-institutionnel du pays. Elle doit ainsi tenir compte des forces et des faiblesses du Gouvernement, des opportunités et des menaces. Le choix des cibles (pas les journalistes) doit se faire de façon rationnelle. La violence n’est jamais un moyen de faire taire une cible. Même Goebbels, le chef de la propagande moderne dans l’Allemagne Nazie, utilisait des moyens plus subtils pour gagner à sa cause les journalistes.
Aujourd’hui, le Mali se doit de communiquer de façon stratégique avec les organisations internationales, l’ONU, l’Union Européenne, l’Union Africaine et la CEDEAO. La stratégie que le Mali doit mettre en œuvre sera celle des sept épées, mise en œuvre dans plusieurs pays confrontés à des crises similaires pour s’en sortir. Dans cette stratégie, les médias d’Etat doivent jouer un rôle différent. Pour cela, l’ORTM doit être reformé pour sortir de sa léthargie décriée maintes fois par nombre d’acteurs.
Dans cette mouvance, il faut se rendre compte qu’on ne devait loger l’information et la communication à la même enseigne, au sein d’un même Département ministériel. Car, informer, implique une quête d’objectivité, neutralité, impartialité et l’utilité pour les citoyens ; tandis que dans l’acte de communiquer, il y a une volonté manifeste d’influencer l’autre pour l’amener à adopter le comportement voulu. Un ministre de l’information donnera le message qu’on entend contrôler celle-ci.
En effet, les ondes appartiennent au peuple, c’est l’expression de sa souveraineté. Aucune clique ne peut s’accaparer des ondes pour promouvoir ses ambitions pouvoiristes au détriment du droit des Maliens à une information utile, attrayante, objective, neutre et impartiale. Un tel objectif peut être atteint en favorisant le pluralisme de l’information au sein de l’ORTM. Il faudra faire place à la critique, aux analyses, aux commentaires, aux éditoriaux et aux billets d’humour.
Da cette optique, l’ORTM doit devenir autonome pour en finir avec une gestion bancale. Son budget doit être voté par l’Assemblée Nationale et elle doit rendre compte à celle-ci. De même, il urge d’assainir la gestion des ressources humaines à l’ORTM pour accueillir les meilleurs talents, améliorer le traitement du personnel et promouvoir le professionnalisme. L’indépendance de l’ORTM vis-à-vis du gouvernement et des forces politiques doit être consacrée par la loi. L’ORTM aura un statut d’entreprise publique à caractère industriel et commercial avec une responsabilité sociale(le droit du public à l’information crédible).
Aliou Hamadoun YONFO, MA, MAP
yonfo@hotmail.com
Diplômé de l’ENAP du Québec
Journaliste consultant en communication,
Public affairs and governance