Comment meurt un jeune artiste ?: Hommage à Bakary Diallo, regretté réalisateur malien

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Hommage à Bakary Diallo : Un jeune artiste fauche en pleine ascension
Bakary Diallo

Ce jeudi 31 Juillet, en en lisant le quotidien malien l’Essor, je suis tombé sur la nouvelle de la mort d’un jeune artiste, plasticien et réalisateur malien : Bakary Diallo. Il faisait partie des 118 passagers de l’appareil d’Air Algérie qui s’est écrasé le jeudi 24 juillet 2014 au Mali. Diplômé de l’Institut universitaire de Gestion de Bamako, il a, affirme le quotidien, laissé sa formation en administration pour entrer au conservatoire des Arts du Mali, puis au Fresnoy Studio national des arts contemporains de France. Il laisse derrière lui une demi-douzaine de films présentés dans quelques festivals internationaux et distingués par plusieurs prix… Un artiste trentenaire talentueux, qui n’aura pas eu le temps de devenir grand.

Peu, très peu de personnes peuvent savoir, sentir, imaginer ce qu’est la vie d’un jeune artiste en quête de reconnaissance et de succès. Un engrenage de frustrations, de désillusions, de doutes, d’humiliations. Chaque matin, il ouvre les yeux, après avoir passé une nuit de soupirs et de rêves, il ouvre, alors, les yeux, chaque matin, implorant la providence de placer sur son chemin cette main salvatrice qui a illuminé les ténèbres des grands artistes qui le font rêver. Il passe les journées à supporter mépris et railleries autour de lui, à chercher à fuir la banale mais méprisante question : « Pourquoi as-tu choisi de faire ça ? »

Personne, même ses propres parents, alors personne ne le comprend, le jeune artiste. Pourquoi, mais pourquoi donc avoir choisi d’être artiste, de ne rien être donc, alors que d’autres ont choisi d’être avocats, médecins, enseignants, ingénieurs, banquiers ? Et il cherche, il s’épuise, tous les jours, à s’expliquer à son entourage, à vouloir faire accepter ce qu’il a décidé d’être, et qui aux yeux des autres n’est rien, ne peut rien être : un artiste. Et les nuits, après maintes prières, il ferme les yeux, rêvant de ce jour où il sera reconnu, célébré, ce grand jour, son jour où, aux yeux du monde entier, aux yeux de ses détracteurs, il sera, enfin, quelque chose.

Sa vie n’est soutenue que par le rêve. Ses rêves. Ses improbables rêves. Et des fois, devant la précarité du quotidien, devant les privations, les incompréhensions, les railleries, devant ce qui est devenu sa condition, il a envie de pleurer comme pour implorer ce succès qu’il attend tant, et qui ne vient pas. Mais, résigné pour l’art, il replonge dans ses rêves, et, en souriant, il reprend ou la plume, ou le pinceau, ou le micro, ou la caméra, convaincu, à chaque tentative, qu’il est en train de commettre son chef-d’œuvre, l’œuvre qui le révèlera, enfin, au monde.

Il ne pense presque jamais à la mort, le jeune artiste. Il ne peut se permettre ce privilège de penser à la mort, puisqu’il est convaincu qu’il est encore loin de cette catégorie d’artistes qui attendent, sereins, la mort, l’implorent même comme une alliée, pour leur faire goûter à l’immortalité.
Cher Bakary, je ne te connaissais pas, mais je sais ce que tu as vécu durant ton éphémère existence de jeune artiste attendant le succès. Je peux te décrire tes frustrations de tous les jours, tes soupirs de toutes les nuits. Je peux te décrire ces moments où, seul, tu te laissais gagner par le doute et te demandais si tu n’avais pas fait un mauvais choix, s’il n’était pas encore temps que tu fasses autre chose. Je peux te dire ces moments de la journée et de la nuit où, face à toi-même, tu sentais que tu avais mal, et te rendais compte que ce à quoi tu avais mal c’était ta passion : l’art.

Mais dis-moi, mon frère Bakary, dis-moi depuis les  silences de l’éternité que tu as rejoints depuis une semaine maintenant, alors dis-moi, Bakary, qu’as-tu ressenti durant cette seconde où tu t’étais rendu compte que tu étais en train de mourir… avec tous tes rêves ? Dis-moi. Tu as, sûrement, revu toute ta vie, toutes tes frustrations, tout ton travail, tous tes rêves, tu as compris que jamais, tu ne deviendras le grand réalisateur aux grands films reconnus et célébrés par le monde entier que tu as toujours rêvé de devenir, tu as compris que ta passion, l’art, t’as trop fait rêver, t’as trop trompé. Et tu as, peut-être, souri.
Dors, Bakary. Dors pour l’éternité, mais en continuant de rêver que ta petite œuvre que tu laisses, la demi-douzaine de vidéos que tu as réalisées, te survive, t’immortalise. Dors en paix, Bakary, avec tes rêves. Dors de tes rêves, Bakary.

 

David Kpelly

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