En parlant du peuple dans un régime démocratique, on parle du souverain qui équivaut au titre que l’on accordait à certains rois d’antan. Ce régime de gouvernance majoritairement partagée (la démocratie) sur la planète en raison de l’unanimité, qu’elle accorde la liberté donc le titre de citoyen au peuple et non sujet. Cela fait du peuple le maître de la Res publica : la chose publique. Pour éviter le rassemblement de l’ensemble du peuple sur la place publique comme ça se faisait dans la Cité grecque antique ou comme à Kouroukan Fouga dans le Manding à chaque prise de décision, puisque coûteux et lent lorsqu’on devient plus nombreux, une forme de gouvernance s’est vue mettre en place qui est celle représentative. L’ensemble du peuple est donc représenté par les élus qui décident en sa place pour des décisions qui ne remettent pas toute fois en cause la souveraineté nationale auquel cas, on revient à la vieille méthode c’est-à dire le référendum populaire. Ce peuple formant un ensemble n’a au-dessus de lui d’autre puissance si ce n’est la puissance divine.
Mais est-t-il vraiment le maître de cette chose publique? Puisqu’on est dans un contexte d’élection présidentielle au Mali, d’où l’objet même de l’article, après avoir vu des dénonciations de fraudes, de bourrage d’urnes et de d’achat de conscience durant ces opérations électorales et après avoir mené quelques recherches, je me suis posé la question de savoir si on peut parler de coup d’État institutionnel?
C’est sans doute là des questions centrales auxquelles la démocratie malienne est confrontée aujourd’hui. Puisque d’ors et déjà, on peut constater que la souveraineté change de titulaire au Mali après l’élection d’un président, du peuple en la personne du président de la République à qui un mandat est confié.
Aussitôt élu, celui-ci devient donc comme le dit cet adage bambara «le crocodile qui jaillit de l’urine pour attaquer le pisseur lui-même». Au sens que ce dernier se comporte comme un souverain au détriment du peuple qui lui a confié l’organisation et la destinée de la machine étatique pour un mandat. En réalité cela ne se passe pas sans le peuple lui-même. La principale raison à cela est la méconnaissance du peuple de sa qualité de souverain ce qui fait que le président détourne la souveraineté en sa faveur. Le peuple, titulaire de la souveraineté ignore en majorité son poids et pense que c’est le Président de la République le souverain.
Cela est ancré dans les mentalités à tel point que même l’appellation du président de la République couramment utilisée à tord ( jamana tigui : souverain) en dit long sur cette méconnaissance. En allant dans ce sens, la remarque est tout aussi facile dans les comportements et propos électoraux qui laissent entendre qu’une fois élu pour un mandat, le second mandat d’un président sortant est d’office ou qu’il est imbattable dans une élection organisée par lui-même et d’où l’acceptation si facile par le peuple de certains résultats électoraux de complaisance en Afrique de l’Ouest.
Ce mythe de président sortant organisateur des élections imbattable est partagé excepté quelques exceptions près où le peuple a pu changer la donne et déloger à travers les urnes un président candidat à sa propre succession. Ce ne sont pas en réalité des exemples d’ailleurs puisqu’il s’agit d’une candidature pour au moins un troisième mandat. On pense naturellement au cas du Sénégal avec Abdoulaye Wade en 2007 et du Burkina Faso avec Blaise Compaoré en 2015.
Cependant l’alternance politique réelle recherchée sur la base de compétition entre candidats repose sur trois piliers et n’arrivera que lorsque ceux-ci sont en place.
Premièrement le peuple doit avoir ou doit s’acquérir d’une culture politique et démocratique suffisante au sens large. Cela fera en sorte que chaque citoyen accepte le sacrifice de mettre en avant l’intérêt commun en refusant de monnayer sa voix dans les urnes. Ensuite il y aura moins d’associations à but lucratif qu’on voit aujourd’hui puisque la plupart ne vit qu’à la veille des élections. Les quelques éclairés manipulent nos frères à des fins électoraliste pour se faire une place ou tout simplement les envoyer vers le plus offrant des candidats lors des élections.
Deuxièmement, les partis politiques du moins ceux qui ne sont pas fantaisistes, doivent davantage se mobiliser sur le terrain, aller à la rencontre du peuple, faire tout pour balayer ce mythe de grandes personnes (représentants) et petites personnes (administrés) dans la conscience collective, rétrécir le fossé et acquérir à nouveau cette confiance du peuple totalement perdue aujourd’hui par la classe politique. Mais avant tout, ces partis doivent se démocratiser en permettant le renouvellement pour que le peuple puisse se reconnaître en eux et se sentir concerné. Un parti se base sur une idéologie politique ou une façon de faire les choses et non sur une personne.
Il faut en dernier lieu que la voix de l’électeur soit prise en compte. Ce n’est qu’une question de respect envers le peuple. Si ce n’est pas fait par les institutions, c’est le peuple lui-même qui doit l’exiger.
Rappelons nous que IBK a été plébiscité par le peuple malien en 2013 avec 77 % des voix exprimés. Lorsqu’on est élu avec une telle admiration, on se doit de respecter cet électorat en lui rendant des comptes à l’issu du mandat confié. L’honnêteté l’exige, la dignité l’exige et la gratitude l’exige. Il s’est présenté cette année comme candidat sans programme, on ne sait même pas où est-ce qu’il compte amener le bateau Mali durant ces cinq prochaines années. C’est plutôt la posture d’un principe qui aurait hérité son pouvoir et qui en fait ce qu’il veut.
Les deux tours de cette élection présidentielle sont vivement contestés avec une touche de plus pour le second tour, l’enjeu étant crucial. Au vu des preuves que l’on observe depuis la proclamation des résultats provisoires le 16 Août, ces contestations sont à prendre au sérieux si l’on veut que le futur président arrive à rassembler et qu’il soit accepté de tous les citoyens. J’exhorte ici la Cour Constitutionnelle du Mali de dire le droit, rien que le droit. Cela va de soi pour le peu de crédibilité qu’a le peuple aujourd’hui à son égard mais aussi du retour de la paix durable afin qu’on puisse faire face aux défis majeurs de l’avenir de notre Nation. Un mandat obtenu dans de telle confusion ne peut assurer la justice et sans justice, il n’y a pas de paix. La question n’est pas ici pour qui des deux candidats Ibrahim Boubacar Keita (IBK) ou Soumaila Cissé on est favorable, mais plutôt le respect du vote, du respect de l’Etat de droit et la préservation de notre démocratie qui a été acquise avec le sang des maliens en 1991. Sur cette question de fraude électorale en faveur du président sortant, on peut prendre l’exemple sur le fait qu’il aurait obtenu plus de voix que le nombre maximum d’électeurs inscrits dans un bureau de vote qui est de 500 personnes alors qu’il n’y a pas de dérogation spéciale à la loi électorale dans ce sens. Du vote à 100% pour lui dans certains endroits et notamment ceux situés dans les zones d’insécurité où il n’y a pas de représentants des partis de l’opposition entre autres.
Le calcul d’intérêt personnel, l’argent et la manipulation ont beaucoup joué dans cette élection.
Lorsqu’on voit le nom du fils du président IBK cité dans beaucoup d’affaires troublantes sans démenti, et que ce serait lui qui gouverne le pays et non son père ce n’est pas démocratique tout ça. Lorsqu’on veut la paix, il faut une image digne des institutions de la République et ceux qui les incarnent. Le Mali a besoin de la paix mais d’une paix fondée sur la vérité et transparence.
La réélection de IBK avec un bilan pareil incapable même à délivrer une simple pièce d’identité nationale (NINA) aux citoyens leur privant ainsi de leur liberté de va-et-vient est quand même étonnant. Jamais la corruption n’avait atteint un tel niveau au Mali. De grave crise dans plusieurs secteurs, les médecins ont grevé, le syndicat des travailleurs a également grevé, les enseignants, les magistrats, les commerçants, la diaspora confrontée à plusieurs difficultés d’ordre administratif qui l’a amenée jusqu’à bloquer le consulat du Mali à Paris pendant une semaine, la liste est longue. Face à ces problèmes le pouvoir est resté dans son inertie et s’est réfugié derrière des jeunes activistes ou artistes pour faire la campagne sans jamais évoquer le bilan du quinquennat écoulé sachant qu’il doit rendre compte. Que va coûter cette réélection de IBK au Mali et aux maliens si jamais elle est confirmée? La facture sera à mon avis sans doute très salée pour le contribuable malien. Que pourra t-il faire durant ce second mandat après ce premier mandat infructueux alors qu’il n’espère normalement plus sur un autre mandat.
Nouhoun DOUMBIA Université de Rouen