J’avais dit!
Le peuple dans un régime démocratique est le souverain qui équivaut au titre que l’on accordait à certains rois d’antan. Ce régime de gouvernance majoritairement partagée (la démocratie) sur la planète en raison de l’unanimité, qu’elle accorde la liberté faisant de ceux qu’on appelait sujets, des citoyens . Cela fait du peuple donc le maître de la Res publica : la chose publique. Cette démocratie au départ était dite populaire ou directe dans laquelle tout se décidait sur la place publique devant ceux qui étaient considérés comme citoyens tel à Kouroukan Fouga dans le Manding ou en Cité grecque. Pour éviter ce rassemblement de tous à chaque prise de décision, puisque coûteux et lent lorsqu’on devient plus nombreux, une forme de gouvernance s’est vue mettre en place qui est la représentativité.
L’ensemble du peuple est donc représenté par les élus qui décident au nom et en sa place pour des décisions qui ne remettent pas toute fois la souveraineté nationale en cause auquel cas, on
revient à la vieille méthode c’est-à dire la consultation référendaire.
Ce peuple formant un ensemble n’a au-dessus de lui d’autre puissance si ce n’est la puissance de Dieu.
Mais le peuple est-t-il vraiment le maître de cette chose publique au Mali? Puisqu’on parle ici du contexte d’élection présidentielle au Mali qui a lieu en cette année 2018, d’où l’objet même de l’article.
Après avoir vu des dénonciations de fraudes, de bourrage d’urnes et des achats de conscience durant ces opérations électorales et après avoir fait mes propres recherches, je me suis posé la question de savoir si on peut parler de coup d’État institutionnel?
C’est sans doute là des questions centrales auxquelles la démocratie malienne est confrontée aujourd’hui. Puisque d’ors et déjà, on peut constater que la souveraineté change de titulaire au Mali après l’élection d’un président, du peuple en la personne du président de la
République à qui un mandat est confié. On assiste donc impuissant à un hyper-présidentialisme qui débouche sur ce que l’on connaît aujourd’hui, un président sur sa tour d’ivoire, coupé du peuple et qui fait le sourd-muet. On a vu des présidents se faire huer mais qui vont quand bien même vers le peuple pour l’écouter, cela s’appelle respect. Lorsqu’on oublie d’où on vient, se tromper de son chemin est évident!
Le peuple préoccupé de son sort est traité d’apatride, de mal-éduqué (propos de Amadou Koïta, ministre malien de la jeunesse) à l’encontre des manifestants de la diaspora malienne des États Unis d’Amérique et ceux de Paris lors du fameux voyage de IBK avec une délégation composée de plusieurs personnes. Alors que ces manifestants demandaient tout simplement à IBK de réduire ses voyages à des coûts exorbitant pendant que son peuple malien ne dispose pas d’hôpitaux dignes de ce nom, pas d’infrastructures, des structures sociales en état d’alerte, le problème de Kidal non résolu. Demander cela est normal mais IBK n’a écouté personne, il a juste invité les membres du RPM de New York dans son hôtel faisant croire qu’il rencontrait la diaspora, ceux-ci sont allés lui chanter des louanges et que tout va bien au Mali. A croire que IBK ne tire jamais leçon de rien, il est à Paris pour la commémoration de l’Armistice qui symbolise la fin de la guerre de 14-18 alors donc la paix alors que son propre pays est plongé dans un chaos sans précédent, certaines parties de son pays échappent à son contrôle.
Pour revenir en arrière, nous constatons donc que aussitôt élu, le président devient comme le dit cet adage bambara «le crocodile qui jaillit de l’urine pour attaquer le pisseur lui-même». Au sens que ce dernier se comporte comme un souverain au détriment du peuple qui lui a confié l’organisation et la destinée de la machine étatique pour un mandat.
En réalité cela ne se passe pas sans le peuple lui-même. La principale raison à cela est la méconnaissance du peuple donc qu’il est le souverain et non le président, ce qui fait
que ce dernier détourne la souveraineté en sa faveur. Il n’y a pas deux souverains, le seul et unique est le peuple.
Mais cette confusion est ancrés dans les mentalités à tel point que même l’appellation du président de la République couramment utilisée à tord ( Jamana tigui : souverain), en dit long sur cette méconnaissance. En allant dans ce sens, nous remarquons dans les comportements et propos électoraux l’idée qu’une fois élu pour un mandat, le second mandat d’un président sortant est d’office ou qu’il est imbattable dans une élection organisée par lui-même et d’où l’acceptation si facile par le peuple de certains résultats électoraux de complaisance en Afrique.
Ce mythe de président sortant organisateur des élections imbattable est dans l’inconscient général hormis quelques exceptions près où le peuple a pu s’opposer et déloger à travers les urnes un président candidat à sa propre succession. Il ne faudrait même pas comparer cela au cas malien puisqu’en réalité il s’agit pour ces exemples d’une candidature pour au moins un troisième mandat. On pense naturellement au cas du Sénégal avec Abdoulaye Wade en 2007 et du Burkina Faso avec Blaise Compaoré en 2015.
Cependant une alternance politique réelle sur la base de compétition entre candidats que l’on recherche au Mali repose sur trois piliers et n’arrivera que lorsque ceux-ci sont en place.
– Premièrement le peuple doit avoir ou doit s’acquérir d’une culture politique et démocratique suffisante au sens large. Chaque citoyen acceptera ainsi le sacrifice individuel et mettra en avant l’intérêt commun en refusant de monnayer sa voix dans les urnes. Ensuite il y aura moins d’associations partisanes qu’on voit aujourd’hui, la plupart ne vivant qu’à la veille des élections, à croire que ce n’est pas pour la cause sociale qu’elles se créent. Les quelques éclairés manipulent nos frères et sœurs à des fins électoralistes pour se faire une place ou tout simplement les envoyer vers le plus offrant des candidats lors des élections.
– Deuxièmement, les partis politiques du moins ceux qui ne sont pas fantaisistes, doivent davantage se mobiliser sur le terrain, aller à la rencontre du peuple, faire tout pour balayer ce mythe de grandes personnes (représentants) et petites personnes (administrés) dans la conscience collective, rétrécir le fossé et acquérir à nouveau cette confiance du peuple totalement perdue aujourd’hui par la classe politique. Mais avant tout, ces partis doivent se démocratiser en permettant le renouvellement pour que le peuple puisse se reconnaître en eux et se sentir concerné. Un parti se base sur une idéologie politique ou une façon de faire les choses et non sur une personne.
– Il faut en dernier lieu que la voix de l’électeur soit prise en compte. Ce n’est qu’une
question de respect envers le peuple. Si ce n’est pas fait par les institutions, c’est le peuple lui-même qui doit l’exiger.
Rappelons nous que IBK a été plébiscité par le peuple malien en 2013 avec 77 % des voix exprimés. Lorsqu’on est élu avec une telle admiration, on se doit de respecter cet électorat en lui rendant des comptes à l’issu du mandat confié. L’honnêteté l’exige, la dignité l’exige et la gratitude l’exige. Il s’est présenté cette année comme candidat sans programme, on ne sait même pas où est-ce qu’il compte amener le bateau Mali durant ces cinq prochaines années. C’est plutôt la posture d’un prince qui aurait hérité son pouvoir et qui en fait ce qu’il veut.
Les deux tours de cette élection présidentielle ont été vivement contestés avec une touche de plus pour le second tour, l’enjeu étant crucial. Au vu des affirmations sur la fraude électorale que l’on observe depuis la proclamation des résultats provisoires le 16 Août, ces contestations sont à prendre au sérieux si l’on veut que le futur président arrive à rassembler et qu’il soit accepté de tous les citoyens. La Cour Constitutionnelle du Mali s’est engagé sur une voie sans issu en ignorant les principes qui font d’elle une institution sacrée. Cela met à mal le peu de crédibilité que le peuple avait à son égard mais aussi du retour de la paix durable pour laisser le peuple faire face aux défis majeurs de l’avenir de notre Nation. Un mandat obtenu dans de telle confusion ne peut assurer la justice et sans justice, il n’y a pas de paix. La question n’est pas ici pour qui des deux candidats Ibrahim Boubacar Keita (IBK) ou Soumaila Cissé on est favorable, mais plutôt le respect du vote, du respect de l’État de droit et la préservation de notre démocratie qui a été acquise si chèrement au prix du sang de nos pères mères, grands frères et grandes sœurs en 1991 faisant échec au régime dictatorial de Moussa Taroré.
Sur cette question de fraude électorale en faveur du président sortant, on peut prendre l’exemple sur le fait qu’il aurait obtenu plus de voix que le nombre maximum d’électeurs inscrits dans un bureau de vote qui est de 500 personnes alors qu’aucune dérogation spéciale à la loi électorale dans ce sens n’a été constatée. Du vote à 100% pour lui dans certaines zones du pays et notamment celles qui sont sous une tempête d’insécurité où il n’y a pas de représentants des partis de l’opposition entre autres.
Il faut dire que le calcul d’intérêt personnel, l’argent et la manipulation ont beaucoup joué dans cette élection.
Le nom du fils du président IBK Karim est cité dans beaucoup d’affaires troublantes sans démenti, tout laisse croire que c’est lui qui gouverne le pays et non son père ce n’est pas démocratique tout ça. Si nous voulons la paix, il faut une image digne des institutions de la République et ceux qui les incarnent. Le Mali a besoin de la paix mais d’une paix fondée sur la vérité et transparence.
La réélection de IBK avec un bilan pareil, incapable même du minimum qui est de délivrer une simple pièce d’identité nationale (NINA) aux citoyens, en les privant ainsi de leur liberté de va-et-vient est quand même gravissime. Et jamais la corruption n’avait atteint un tel niveau au Mali. De graves crises dans plusieurs secteurs: la santé, l’école, les syndicats des travailleurs ont grevé, les enseignants, les médecins (avec des morts dans les hôpitaux, les magistrats, les commerçants, et même les maliens d’ailleurs en l’occurrence la diaspora, cette dernière confrontée à plusieurs difficultés d’ordre administratif n’a eu d’autre choix que de bloquer le consulat du Mali à Paris pendant une semaine, la liste est longue.
Face à tous ces problèmes le pouvoir est resté dans son inertie et s’est réfugié derrière des jeunes activistes ou artistes pour faire la campagne sans jamais évoquer le bilan du quinquennat écoulé tout en sachant qu’il se doit de rendre compte au peuple. On se pose finalement la question de ce que cette réélection de IBK va coûter au Mali et aux maliens. La facture sera à mon avis sans doute très salée pour le contribuable malien. Que pourra t-il faire durant ce second mandat après le premier infructueux alors qu’il n’espère normalement plus sur un autre mandat.
Si IBK ne veut pas entraîner le Mali dans un trou encore plus profond, il doit parler au peuple, accepter de rendre compte et aussi accepter qu’aucun titre ne saurait être supérieur à celui du peuple.
Nouhoun DOUMBIA Université de Rouen