En Afrique de l’Ouest, le Mali a longtemps été considéré comme l’un des pays de référence en matière de démocratie, de stabilité et de cohésion sociale. En 2012, nous avons assisté à un revirement du contexte national avec coup d’Etat militaire, à quelques mois des élections du Président de la République. Depuis ce putsch, une crise multidimensionnelle fait tourmenter le pays, ébranlant tous les secteurs de sa sécurité malgré l’appui des partenaires techniques financiers et militaires. Vraisemblablement, de 2012 à nos jours le Mali a connu quatre changements ou tentatives de changement de Présidents en cours de mandat, dont le dernier en date du 25 Mai 2021, tous sur fond d’incapacité de gestion des affaires les plus essentielles au fonctionnement du pays comme le fait croire les différents putschistes.
En Aout 2020, le Président Ibrahim Boubacar KEITA (IBK) quittait le pouvoir après avoir dissout l’Assemblée Nationale (majoritairement contestée) et la Cour Constitutionnelle, suite à des multiples manifestations populaires, parachevées par l’action d’une partie de l’armée, constituée essentiellement d’officiers supérieurs (CNSP), tous se plaignant de sa politique de gouvernance à tous les niveaux. Cette vacance de poste a débouché à une transition civile de dix-huit mois, grâce à la médiation de la CEDEAO.
Du point de vue où il est inadmissible de s’emparer du pouvoir par tout autre voie ou moyen autre que les élections, selon les textes pertinents en vigueur sur le plan national et supra national notamment le protocole de 2001de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, une frange importante de l’opinion nationale et internationale n’a pas accordé légitimité à la junte militaire (CNSP) à cause de moyens non légaux utilisés pour accéder au pouvoir. Nonobstant, le Mali, avec l’accompagnement de la médiation de la CEDEAO, a procédé au remembrement de la Cour Constitutionnelle et la mise en place d’un Conseil National de Transition aux fins d’accompagner et légitimer la transition. Cette équation est arrivée à rallier les maliens derrière les autorités de la transition et son gouvernement inclusif à l’exception du mouvement M5RFP qui s’est senti lésé dans la constitution du gouvernement.
Après éviction du Président de la transition (désigné par consensus national) et son gouvernement par le Vice-président, ce dernier préconise de nommer le Premier Ministre du rang du M5RFP au lieu d’un technocrate dépourvu de coloration et ambitions politiques. Il faut retenir que ce mouvement tirait sa notoriété de la présence de l’Imam DICKO en son sein, qui reste silencieux depuis belle lurette. De même, le M5RFP regorge de figures politiques qui n’incarnent pas l’alternance du pouvoir par le fait qu’ils sont la plupart membres de partis politiques qu’ils ont eux-mêmes crée et se maintiennent à la tête de ces partis depuis leur création et en demeurent les éternels candidats lors des élections. Sans oublier qu’une partie du même mouvement s’est dissociée, tout en condamnant et qualifiant de coup d’Etat ce qui a été nommé ‘’mettre en hors de ses prérogatives’’ par le Vice-président dans sa toute 1ère déclaration. Ce qui nous amène à douter de toute acceptation nationale et profonde d’un Chef de gouvernement du rang dudit mouvement. Aussi, à ce poste est pressenti M. Choguel K MAIGA, hostile aux groupes (armés signataires et non signataires) à l’accord pour la paix issu du processus d’Alger. Ce dernier devra soit se dédire et inclure des membres des groupes partis à l’accord pour la paix comme dans le Gouvernement déchu, tel demandé par la CEDEAO, ou leur tourner le dos en même temps que ledit accord. Surtout que la CMA, un des principaux mouvements signataire de l’accord pour la paix a déclaré ne pas accompagner la nouvelle transition, sans une garantie de compromis sur ses priorités, et demande la ténue d’une réunion internationale pour réaffirmer les positions des signataires à l’accord lors de sa session extraordinaire tenue du 29 au 31 Mai 2021. Chose qui est déconseillée au regard de la sécurité fragile au Mali et dans le Liptako-Gourma mais aussi pour la tenue des élections dans le délai imparti (début 2022).
Toutefois, il serait pertinent de tirer l’attention sur une partie de la classe politique et de la société civile qui n’ayant jamais décrié ni contre-proposé la gouvernance du Président Bah N’DAW, se dresse dans la logique du coup de force ayant conduit au renversement du pouvoir en faisant des hommages au Colonel A. GOITA, désigné Président de la transition par l’arrêté No2021-02 de la Cour Constitutionnelle du Mali. Ce qui porte à penser que cette partie de la classe politique et de la société civile viserait uniquement les opportunités pour accéder aux affaires. Et de ce fait, le Mali risque de se retrouver soit dans un pouvoir sans contre-pouvoir ni contre-propositions, ce qui va atténuer le débat politique et rendre donc la transition contreproductive et inefficace.
Par ailleurs, la CEDEAO dans son communiqué du sommet extraordinaire sur la situation politique au Mali (Accra 30 mai 2021), tout en réaffirmant le recours démocratique pour accéder au pouvoir, a appelé à la nomination d’un Premier Ministre civil pour former un gouvernement inclusif, réaffirmé la nécessité du respect du délais (18 mois). Par la suite la CEDEAO, au détriment de ses textes, a fait montre de souplesse pour donner une chance au nouveau Président de la transition, en réaffirmant sa volonté à soutenir et accompagner le Mali ; et ne procédant ni à une sanction économique ou fermeture de frontières comme c’est fut le cas par le passé. Même si cela pourrait être une perspective permettant l’ouverture du champ politique aux militaires et la tolérance face aux putschs dans l’espace CEDEAO et en Afrique. L’on peut déduire, par-là, la volonté de la CEDEAO à soutenir le peuple malien et le processus de transition pour une stabilité effective dans la sous-région.
Il serait donc judicieux pour le nouveau Président de la transition de : diligenter le caractère civil de la transition tout en nommant un Premier Ministre qui va former un gouvernement essentiellement composé de technocrates et spécialistes avérés ; continuer la mise en œuvre du calendrier des élections générales pour rester dans le délai déjà prévu en prélude. Il est notoire à ce jour qu’au Mali l’Etat a perdu toute estime de la nation et sa crédibilité avec, c’est pourquoi il importe de faire une priorité : la sécurité humaine, la justice et la justice sociale, la lutte contre l’impunité et le partage équitable des ressources sur l’ensemble du territoire national et entre les populations.
Au Mali, une partie de la population a pour habitude de suivre les hommes (leaders) et d’attendre d’eux la solution du pays à coup de baguette magique. Il serait une erreur d’attendre la solution définitive de la seule transition et de son Président puisse qu’il faut entendre par transition les bases du processus de changement durable issu d’un changement de comportement où chaque malien est acteur principal. Au risque de se retrouver dans le même labyrinthe de crises politiques, de coup d’Etat et de conflit de leadership.
Mahamadou A TRAORE