Je suis une mère, et comme toutes les mères du Mali je m’inquiète. Je m’inquiète pour mon pays, mais aussi pour ses fils, et pour mes fils. La guerre fait de nos enfants des adultes trop tôt, de jeunes adultes qu’il est facile de transformer en meurtriers avec des idées simples et terribles. Et de tourner contre leurs proches, leurs familles, leurs mères…
Des frères et sœurs du Nord m’ont parlé de ceux qui profitent de la naïveté des jeunes, et de notre aveuglement. Et mon inquiétude est devenue colère. Mais la colère ne fait pas tout : il fallait que je sache. Alors j’ai demandé, j’ai cherché…
Ce drame n’est pas nouveau : pour preuve ce témoignage, relevé par Amnesty International, d’un enfant soldat ayant combattu en 2013 au Nord Mali lorsque les prétendus « combattants du jihad » y régnaient
« J’étudiais avec 23 autres élèves auprès d’un maître coranique. Il y a deux mois, le petit-fils de mon maître nous a vendus aux islamistes. Nous avons rejoint un groupe de 14 autres jeunes armés. Au début, on m’a fait travailler aux cuisines. Les rebelles nous frappaient [avec une ceinture en caoutchouc] pendant les leçons coraniques parce qu’ […] ils voulaient que nous prononcions l’arabe comme eux. »
Et ensuite ? L’enfant devient un petit soldat, l’esprit déformé par la haine, les faux enseignements, et la drogue…
« Ils nous ont entraînés à tirer, en visant le cœur ou les pieds. Avant les combats, nous devions manger du riz mêlé à une poudre blanche, ainsi qu’une sauce mélangée à une poudre rouge. On nous faisait aussi des injections. On m’en a fait trois. Après les piqûres et le riz mélangé à la poudre, on pouvait me manœuvrer comme une voiture, je faisais n’importe quoi pour mes maîtres. Je considérais nos ennemis comme des chiens et je n’avais qu’une idée en tête : leur tirer dessus».
Deux ans plus tard, ces narco terroristes comme certains les appellent n’ont heureusement plus la mainmise sur le Nord. Leurs mouvements peinent de plus en plus à recruter, leurs membres les plus importants ont fui ou sont morts, et les derniers ont rejoint définitivement ce que tout le monde sait désormais être un vaste trafic de drogue. Le cauchemar de ces enfants est donc terminé ? Non ! Ne le croyez pas ! Car pour ces mouvements comme AQMI ou Ansar Eddine, pour des terroristes comme Iyad AG GHALY, il faut continuer à exister! En tentant, derrière de faux prétextes, de « recruter », insensiblement, des jeunes qui ensuite tombent sous leur influence. Quand les familles s’en aperçoivent, il est trop tard…
Je n’avais pas encore vraiment compris, et je doutais. Mais quelle utilité, ai-je demandé, peuvent avoir pour les narcoterroristes ces jeunes de 12 ou 14 ans inexpérimentés comme de jeunes chiots ? La réponse a été : parce que ces mouvements n’ont plus de soldats ! Tant pis pour l’efficacité m’a-t-on dit: faute d’adultes qui ont déserté leur cause, ils en sont réduits à faire utiliser leurs armes, par ces quelques jeunes sans aucune expérience, à peine encadrés par de rares « anciens » qui les envoient au combat en restant derrière.
Vous ne me croyez pas ? Demandez à ceux de Kidal ce qui s’est passé il y a un mois ! Est-ce possible de faire poser un explosif à des apprentis terroristes, sur une route où hier encore ils roulaient à moto ? Est-ce possible de leur faire tirer sur le camp des « Blancs », de la Minusma et des Français? Rien de plus facile de tenter de tirer sur ceux qu’on leur a appris à être « leur ennemi » … mais avec des yeux qui devaient être emplis de peur et d’incompréhension, d’idées fausses et de drogue. Mais surtout sans savoir si l’obus allait tomber sur une maison de leurs proches, si la mine allait faire exploser la voiture de leur père ou de leur frère, ou de leur ami d’enfance ou du père de celui-ci.
Vous ne me croyez toujours pas ? C’est ce qui s’est passé à Kidal début mai: un conducteur innocent est devenu infirme, la maison d’une famille a été détruite par des obus tirés au hasard. Parce que quelques petits soldats de Kidal recruté sur place et endoctrinés dans la crédulité de leur jeunesse par ces terroristes ont tué sur l’ordre de leurs nouveaux maîtres. Sans toucher la cible voulue, mais tant pis pour la population de la ville! On tue sans savoir, un inconnu de sa ville. Qui peut être son père. Ou son frère. Ou sa mère.
Je calme ma colère, et je retrouve la tristesse
Je ne suis pas une mère de Kidal, mais si j’en étais une, je ne voudrais pas avoir peur de mon fils…
Aïcha SANGARE
L’éducation est obligatoire au Mali
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