Dans une contribution intitulée «Code des personnes et de la famille : Autocensure et manque de courage », publiée le 14 octobre 2010 dans le journal « la Nouvelle République », reprise sur Maliweb, l’auteur Monsieur Mohomodou Houssouba n’a pas mis de gants pour fustiger le comportement des intellectuels au fort de la controverse. Il faut tout de même féliciter l’auteur qui n’est plus à présenter, tant pour ses prises de position régulières sur les sujets d’intérêt national, que pour son apport dans le rayonnement de la littérature malienne au delà des frontières du Mali. L’importance et la sensibilité des thèmes clés traités dans l’article que je qualifie d’essai politique, à savoir : la posture des intellectuels, le manque de leadership des députés et le rôle de la religion dans la politique, ne laissent personne indifférente. Aussi m’en voudrais-je si je ne m’appesantisse pas sur les points susmentionnés.
D’entrée de jeu, l’auteur Mohomoudou Houssouba pointe un doigt accusateur vers les intellectuels qui, je le cite « se sont plutôt tus ; ils n’ont pris la parole ni pour supporter la loi, ni pour justifier son rejet. Ils ont été des spectateurs, à tous égards intéressés, mais passifs et distants », avant d’ajouter : «La loi n’a pas eu beaucoup de porteurs d’eau.. »
En son temps, comme l’auteur, nous nous sommes posé des questions sur le silence de nos intellectuels et surtout de nos hommes politiques. Mais à y voir de près, on se rend compte qu’au moment des faits, toute contestation anti-contestation des militants du Haut Conseil Islamique, HCI serait comme chercher une aiguille dans un foin de paille. Il faut admettre que la gestion chaotique du code a été pour beaucoup dans le silence au moins des hommes politiques. D’ailleurs quelle que soit la mouture du code qui sera adopté en seconde lecture par le Parlement, il sera pour longtemps ce «To kalaman » dans les mains des politiciens. Un code qui a mis à nu la fracture entre le politique et le citoyen lambda. Sous d’autres cieux, le renvoi en seconde lecture du code serait analysé comme un signe de vitalité de la démocratie. Mais chez nous, certains ont vite fait d’assimiler le Haut Conseil Islamique et ses partisans porteurs de chapelets à des « islamistes intégristes » dangereux pour la démocratie.
Contrairement à l’auteur qui soutient la thèse selon laquelle, je le cite : « le non-débat sur le code reflète la nouvelle culture de l’autocensure dont l’emprise ne fait que croître ces dernières années. Beaucoup de gens ont simplement manqué le courage de dire tout haut ce qu’ils murmurent entre eux, en attendant que le tourbillon passe… » Nous persistons et signons que les manifestations du HCI sur l’ensemble du territoire sont une expression de débats qu’on ne peut ignorer. Car pour nous le débat ne saurait être le seul apanage d’une classe privilégiée appelée « intellectuels » Comme débats de société, c’en est un et un constat s’impose désormais: la recréation est terminée pour nos hommes politiques de faire comme bon leur semble. L’appropriation du débat non pas par les « intellectuels » mais par le HCI, une frange importante de la société civile, n’en déplaise à ceux-là qui les excluent, est une bonne nouvelle pour notre démocratie chiffonnée. Nous avons besoin d’une société civile forte qui puisse servir de sentinelle de la démocratie face à un Exécutif aux pouvoirs illimités. Si seulement chaque composante de la société civile quelle soit confessionnelle, professionnelle ou associative pouvait être une sentinelle, le Tout Puissant Exécutif réfléchirait murement avant de soumettre tout projet de loi à un parlement étiqueté à tort ou à raison de « caisse de résonnance »
L’exemple récent du dénouement des revendications de l’enseignement supérieur, après un bras de fer entre le syndicat enseignant et le Gouvernement, confirme si besoin est, du réveil en force d’une société civile. C’est tant mieux pour notre démocratie.
C’est peut-être cela qui expliquerait le mutisme de nos députés sur la question du code au point qu’ils sont entrés en « hibernation, une fois qu’ils se sont acquittés en catimini de la besogne confiée par l’exécutif… » Dixit Mohomoudou Houssouba. Même après une année d’hibernation forcée, rien ne nous dit si les somptueuses célébrations du cinquantenaire ont donné des ailes à nos illustres politiciens pour affronter de nouveau l’œil de Caen, ce code qui les suit partout. Les langues commencent à se délier, car 2012 c’est déjà demain, il faut attaquer de front ce « trouble élection » qui risquerait de transformer les rêves de certains politiciens en cauchemars. Diouncounda Traoré, Patron des honorables députés, ci-devant Président du parti de l’abeille solitaire, n’a-t-il pas donné le ton à l’ouverture de la présente session budgétaire en déclarant que le code sera voté. Fait-il un pied de nez à ses pairs députés ou a-t-il simplement compris que l’Assemblée nationale qui est l’émanation du peuple, doit rester à l’écoute de la population.
Cela nous autorise t-il pourtant d’accuser les députés de « manquer de leadership » comme l’écrit Mohomoudou Houssouba ? Difficile de ne pas franchir le pas, quand on sait que le Tout Puissant Exécutif continue de garder d’une main de maitre dans l’enclos les législateurs à sa cause. Des députés toujours aussi dociles et gentils, prompts à secourir l’Exécutif si besoin, même s’ils doivent se sacrifier en bouc émissaires ou moutons de panurge. N’est-ce pas ce qui est arrivé à nos honorables députés dans la gestion que l’on sait du désormais fameux code de la discorde. On les a accablés de tous les péchés d’Israël, sans prendre le temps et les précautions d’analyser la responsabilité de l’Exécutif. Sur ce l’ancien ministre d’Alpha Oumar Konaré, Ousmane Sy, secrétaire politique de l’ADEMA confiait dans une interview en 2009, je le cite : «… nous-mêmes en 2002, nous avons adopté ce texte en conseil des ministres et nous étions persuadés que les députés le voteraient, il fallait prendre la précaution de s’assurer que ce que contient le texte est compris et accepté par la majorité ».
Cet aveu d’un baron de l’ADEMA sonne non seulement comme une décharge en faveur de nos honorables députés, mais aussi comme un argumentaire de communication de taille sur lequel s’est bâtie en partie la contestation du HCI. Mohomoudou a vu juste en disant, je le cite : « L’opposition à la loi a su profiter de la faille qu’offre la perception que la loi est une « trouvaille » de l’exécutif, une caution auprès des bailleurs de fonds pour de nouvelles subventions… » Il faut admettre que les agissements en coulisse et en public de certains partenaires puissants du Mali ne sont un secret pour personne y sont pour beaucoup. En son temps, les medias influents des partenaires favorables au code version votée par le parlement, ont fait leurs choux gras dans leurs «Une». Prenant faits et causes pour le code « ces bailleurs de fonds » se sont institués en « donneurs de leçons » de démocratie. En effet, ils n’ont pas cessé de mettre la pression sur un Exécutif pris entre leur marteau et l’enclume « du peuple » Combien de fois, a-t-on assisté dans les pays de nos bailleurs de fonds, donneurs de leçon de démocratie, des pressions de la rue qui ont conduit à des changements de politique ? Nous avions encore en mémoire les manifestations de rue qui ont conduit en 2008 le Gouvernement français à revoir sa copie sur le fameux CPE, contrat première embauche. Là-bas et ailleurs, des homosexuels manifestent pour le droit au mariage et l’adoption d’enfants sans être marginalisés ou étiquetés de dangereux. Mais, ici chez nous, même une frange aussi importante de la société civile qu’est le HCI ne peut manifester pour la défense de ses droits sans qu’on ne crie haro sur le baudet, sur le « lobby religieux » sur le « méchant intégriste »
Là-bas et ailleurs, les lobbyings confessionnels ou professionnels constituent des forces de pression sur les pouvoirs décisionnels, mais ici dans le pays du « koura Kanfouga » le HCI est un lobbying religieux à surveiller de près. Il ne me sied pas de défendre le HCI, mais force est de reconnaitre qu’il a drainé des foules qu’aucun parti politique fut-il l’ADEMA au firmament de son pouvoir n’aie jamais mobilisé. Une mobilisation aussi forte ne saurait se justifier par une manipulation que Mohomoudou Houssouba tente d’argumenter en écrivant: « La nomenklatura cléricale qui, avec véhémence, instrumentalise le Haut conseil islamique ne rate pas la moindre occasion pour rappeler qu’elle parle au nom de « l’écrasante majorité », de « la majorité absolue » de la population malienne.. » Son chef s’est érigé en défenseur suprême et dernier rempart des « valeurs » et « traditions » – nationales… »
Le déploiement du Haut conseil islamique ne doit pas être vu « comme front de refus à toute libéralisation de lois (de l’abolition de la peine de mort à l’égalité des chances pour les filles et le droit à l’héritage des enfants non issus de mariage, l’encadrement légal même du mariage… » Dixit Mohomoudou. En mon humble avis le déploiement du HCI doit être vu comme une ode à la démocratie. Nous devons nous habituer désormais à la démocratie du nombre car au Mali, contrairement à ceux que pensent certains milieux intellectuels, ce n’est pas seulement les musulmans qui sont opposés au code mais bien plus. Ce sont tous ceux qui pensent que leurs traditions, leurs valeurs culturelles en un mot leur maya seraient dépouillés de leurs substances. Le citoyen que je suis, qui a eu l’opportunité et l’immense chance de parcourir le Mali dans toute sa diversité géographique et culturelle, sait par exemple que le droit à la succession et le droit de l’enfant hors mariage sont des sujets sensibles en milieu traditionnel indépendamment de toute considération confessionnelle
Le débat autour du code des personnes et de la famille ne doit pas être le débat des intellectuels entre quatre murs, mais un débat inclusif dans lequel tous les acteurs y compris les intellectuels apporteront leurs contributions pour parvenir à un code consensuel, un code dans lequel nous avec notre société, avançons dans la modernité sans fracture, avec nos valeurs qui font notre fierté, et qui nous différencient des autres.
Yachim Maiga
Port-au Prince, le 18 Octobre 2010 |