Code des personnes et de la famille : Autocensure et manque de courage

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Il y a un peu plus d’un an, l’Assemblée nationale du Mali vote une loi censée réformer plusieurs dispositions fondamentales sur la personne et la famille. Intitulée « Code des personnes et de la famille », la nouvelle loi, sans être révolutionnaire, a le potentiel de rehausser le statut légal de la femme dans le foyer et de formaliser le support des enfants nés hors mariage. Elle comporte plusieurs autres dispositions significatives, qui  ont été occultées ou noyées dans le débat vif et véhément qui s’en suit. Pour le moment, il s’agit surtout d’examiner la dynamique de la contestation efficace qui a conduit au retrait de la loi ; ce qu’elle nous apprend de l’état des forces politiques, du fonctionnement du corps législatif, du rôle de la religion dans le jeu politique actuel, de l’état des points d’appui de l’exécutif au sein du parlement ou de la population, et surtout de la posture des intellectuels au fort de la controverse

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Commençons par une observation sur ce dernier point. Il serait difficile, sinon impossible de rendre justice à tous ceux qui sont intervenus dans le débat, quelles que soient leurs positions et attitudes. Je ne nie pas non plus le courage, la profondeur et la clarté de nombreuses interventions que j’ai relues tout récemment. Tout de même, ce que j’ai remarqué en gros plan, c’est qu’entre la prise de parole et le choix du silence, le déséquilibre reste énorme. Ceux qui ont trouvé de bonnes raisons pour accompagner le refus bruyant de la nouvelle loi ont eu le courage de leurs opinions. D’autre part, il ne serait  guère injuste de dire que beaucoup d’intellectuels se sont plutôt tus ; ils n’ont pris la parole ni  pour supporter la loi, ni pour justifier son rejet. Ils ont été des spectateurs, à tous égards intéressés, mais passifs et distants. Certains ont cédé à la tentation des forums et microphones, mais au fond, ils n’auront pas dit grand chose de mémorable. Dans les circonstances, leur pondération équivaut à un exercice de louvoiements et murmures inaudibles, alors même que l’autre côté sort l’artillerie lourde et ne lésine ni sur les images fortes, ni sur les menaces directes pour se faire entendre.  La loi n’a pas eu beaucoup de porteurs d’eau ; c’est un euphémisme de formuler la chose de la sorte. Et pourtant, beaucoup d’échanges privés m’ont appris que les gens ne sont pas si indifférents ou apathiques ; qu’ils suivent et « prient » que la bourrasque n’emporte pas la concordance nationale, la « culture de paix » et d’harmonie, qu’ils considèrent les emblèmes de fait de notre république. Ont-ils raison ou tort ? Ce n’est peut-être pas la bonne question, mais je vais risquer une mauvaise réponse tout de même. Je pense qu’ils ont eu tort et que le blocage actuel est également à leur passif. Car, lorsque les grands enjeux nationaux sont à l’ordre du jour, la timidité et l’effacement ne sont en aucune façon une vertu. C’est l’essence de cette phrase terrible de Wole Soyinka, dans The Man Died (L’homme est mort) : « L’homme [l’humain] meurt en tout un chacun qui se tait en face de la tyrannie. » Je ne serai pas surpris que certains intellectuels maliens  sursautent à cette analogie ou voient en mon allusion le réflexe de celui qui se saisit d’une hache pour tuer la mouche qui s’est posée sur la tête d’un enfant. Je comprends une telle objection, mais je dirai que parfois la posture de l’homme raisonnable est la plus dangereuse – celle que nous devons combattre avec la plus grande détermination. Et cela ne signifie pas seulement insuffler un sentiment de culpabilité. Bien au contraire, c’est là l’objet de moindre intérêt. Ce qui importe vraiment est que les intellectuels maliens prennent conscience de leur responsabilité, même leur obligation à participer aux affaires publiques, surtout lorsque l’avenir de la société malienne est en jeu. Quelle que soit sa couleur politique, l’intellectuel malien doit prendre à cœur la nécessité de maintenir une société ouverte, où le débat public reste ouvert à tous, sans censure, autocensure ou stigmatisation. Or, le non-débat sur le code reflète la nouvelle culture de l’autocensure dont l’emprise ne fait que croître ces dernières années. Beaucoup de gens ont simplement manqué le courage de dire tout haut ce qu’ils murmurent entre eux, en attendant que le tourbillon passe. Ils seront peut-être heurtés de l’apprendre ainsi. Tant mieux. Parce que les actes ont des causes et des conséquences. Lorsqu’on acquiesce ou se tait par opportunisme ou par conformisme, on est libre de son choix ; mais rien n’empêche les autres de dénoncer, critiquer ou même stigmatiser ce « choix » de déserter le front en temps de service.

Le manque de leadership des députés

Ce point est d’autant plus critique que l’attitude mise en cause est particulièrement dommageable au parlement qui comprend dans ses rangs des personnes de grandes capacités de pensée et d’analyse. Mais, le vote aussi bien que le report de la promulgation ont donné lieu à des spectacles curieux, sinon déprimants, pour la notion de représentation nationale. Après avoir voté la loi, les parlementaires sont pratiquement descendus en apnée. Ils se sont acquittés en catimini de la besogne confiée par l’exécutif et vivement l’hibernation ! Lorsque les choses se compliquent, l’opposition religieuse se mobilise, le parlement se terre. Il a reçu une proposition de loi, l’a votée en loi et remise au président pour la prononcer définitivement. Mais, apparemment, aucun plan B, en cas de controverse et visiblement aucune trace de leadership, même du simple orgueil intellectuel et moral qu’on est en droit d’attendre de tous ces députés, chefs de fractions et prétendants à de postes supérieurs comme défendeurs audibles de l’intégrité du travail parlementaire. Emblématique de l’état du courage politique dans cette maison, la confession de Me Mountaga Tall qui, dès que le président suspend la promulgation de la loi, se morfond en regrets, en disant qu’ils ont été victimes de « paresse intellectuelle ». En l’état, je serai le dernier à le contredire. Cependant, c’est une drôle de façon de rationaliser le renoncement, surtout sans coup férir. Me Tall ne doit pas porter à lui seul le bonnet. Seulement, il illustre le caractère brouillon du travail d’un parlement apparemment inféodé à un exécutif qui n’a même pas les ressources objectives pour le contrôler. Le parlement et ses chefs (Dioncounda Traoré, Ibrahim Boubacar Keïta, Mountaga Tall, Oumar Mariko, entre autres) ont fait preuve d’une passivité et d’un attentisme inexplicables, qui ont miné la position d’une représentation nationale déjà rabotée par les affaires de budget (augmentation de salaires et primes, fonds discrétionnaires) qui ne rassurent pas une population fragilisée et très demandeuse de transparence financière.


Ainsi, en subissant la critique de son travail sans réponse structurée, le parlement a raté l’occasion de se défendre et même partiellement réparer une image abîmée. Mais, soyons clairs à ce sujet. Toute argumentation est un effort laborieux. Dans ce cas, il aurait été préférable d’avoir un débat véritablement contradictoire avant le vote. Le déficit en la matière fait que presque tout le monde s’est précipité sur la défensive ou le banc de touche dès que la contestation s’est manifestée. Il faut dorénavant apprendre quelque chose de cette leçon pénible et instaurer une discipline de préparation rigoureuse des propositions de loi. Bien sûr, il s’agit d’aller contre le grain du système actuel, dont l’exécutif et le législatif s’accommodent d’ailleurs bien. Malheureusement, derrière l’unanimité de façade, il existe une grande vulnérabilité, dont l’appauvrissement intellectuel du débat parlementaire, qui nourrit, à son tour, l’apathie de l’électorat et résulte récemment en taux de participation statistiquement nuls.

 

L’opposition à la loi a su profiter de la faille qu’offre la perception que la loi est une « trouvaille » de l’exécutif, une caution auprès des bailleurs de fonds pour de nouvelles subventions. Comme si le parlement ne fait aucun investissement intellectuel et déontologique dans une législation aussi massive qu’il s’est appliqué à lire, annoter et adopter. Tout de même, lorsque la balle est revenue à l’exécutif, aucune ligne de force (sous forme d’argumentaire) ne s’est dégagée. Dès le début, le gouvernement s’est replié sur un plaidoyer assez familier. Le Mali est un pays de dialogue et de concorde ; nous trouverons les moyens de sortir de l’impasse. Personne ne met en cause ce système de valeurs, mais les circonstances ne jouent pas en faveur d’une profession de foi, qui somme comme une simple litanie. A l’intérieur, comme à l’étranger, la non-promulgation de la loi votée par l’Assemblée nationale a été perçue comme un recul de l’exécutif face à une opposition ad hoc dite de la « société civile ». Ce qui n’est pas un succès politique est de fait devenu un échec et avec le temps une défaite des classes politique et intellectuelle. Nous sommes bien à ce stade, un an après. Le débat national promis n’ayant pas eu lieu, l’affaire a été de fait « rangée », avec des rumeurs sporadiques dans la presse de consultations autour de la loi ou de sa promulgation imminente. Cependant, force est de reconnaître qu’aucune résolution cohérente ne peut sortir de la concertation par défaut, de nature para- ou extra-parlementaire, imposée par un lobby religieux. Surtout que le non-débat tant dénoncé n’a pas été pallié de façon appréciable. Le Haut conseil islamique a remis ses doléances et beaucoup d’observateurs s’attendent à leur « prise en compte » pour rendre la loi digestible, quitte à la vider de son essence. Certes, tout document législatif est un objet de débat et même de marchandage légitime, mais ici il y a une revendication sectaire explicite au nom des « musulmans » et l’exigence que l’exécutif et le législatif s’y conforment. Apparemment, c’est aussi une démarche démocratique, puisque les foules ont marché.

La religion et la politique

Ce qui m’amène à l’acteur central de ce bras de fer et le grand bénéficiaire de l’incurie conjuguée des trois acteurs précédents. Le Haut conseil islamique du Mali (HCIM)a été créé il y a moins de dix ans par le gouvernement pour faire mieux que l’Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam (AMUPI) en matière d’organisation des activités fédératrices du culte musulman. Car bien que prétendant à l’écrasante majorité des croyants, les statistiques fréquentes sont largement fictives, du fait même qu’au Mali on ne retient même pas la religion dans les registres ordinaires. Donc, chacun se débrouille avec ses projections ou fabrique ses propres chiffres. La grande majorité des Maliens naît dans une appartenance traditionnelle musulmane, une autre partie devient musulmane par conversion, surtout dans les régions encore « animistes » au centre et au sud du pays, sans cesse grignotées par le prosélytisme monothéiste (musulman ou chrétien). Les statistiques existantes ne disent pas mieux que tel porte un nom arabe ou français, pour dire qu’il est musulman ou chrétien. Ou « traditionaliste », car dans certaines localités, le seul fait de porter un nom « d’origine » devient une source de vexation au quotidien. C’est-à-dire, qu’on est païen ! L’expression identitaire se cristallise et se crispe de plus en plus comme revendication d’une préséance confessionnelle. La reprise en main sectaire du HCIM procède de cette logique. On débite facilement la liste des innombrables pays du monde (occidental) où les droits des musulmans sont brimés ou directement visés par populistes et opportunistes de tous bords. Mais, on n’évoque pas le corollaire : ce qui va advenir de notre société malienne telle que nous l’avons connue jusque-là, si nous cédons à l’imitation des pratiques sous d’autres cieux. Même si l’opposition à la réforme se justifie par le refus de l’imitation.
Donc, la convocation des statistiques communautaires se joue sur ce terrain glissant. La nomenklatura cléricale qui, avec véhémence, instrumentalise le Haut conseil islamique ne rate pas la moindre occasion pour rappeler qu’elle parle au nom de « l’écrasante majorité », de « la majorité absolue » de la population malienne ; son chef s’est érigé en défenseur suprême et dernier rempart des « valeurs » et « traditions » – nationales –. Il est loin d’être nouveau sur la scène publique du Mali pour ceux qui se rappellent de quelques bribes de la présidentielle de 2002. Ceux-ci se souviendraient certainement des tentatives de certains candidats – pour ne pas les nommer, Mountaga Tall et Ibrahim Boubacar Keïta – d’avoir essayé pas très subtilement la carte « musulmane » apparemment sans succès éblouissant. Sinon, il est temps de sortir les aide-mémoire, surtout pour comprendre pourquoi la plupart des parlementaires les plus loquaces sont restés bouches cousues entre août et septembre 2009. Vu l’accommodation, même la sollicitude d’une grande partie du monde politique et médiatique, le conformisme caricatural de nombreux intellectuels maliens face à ce nouveau cléricalisme, le déploiement du Haut conseil islamique comme front de refus à toute libéralisation de lois (de l’abolition de la peine de mort à l’égalité des chances pour les filles et le droit à l’héritage des enfants non issus de mariage, l’encadrement légal même du mariage) est un développement sociopolitique qui a besoin d’un regard plus rapproché.
Nous l’examinerons dans le texte, c’est-à-dire, à travers les propos publics et les clés de l’argumentation de ses porte-parole, dans les deux prochains essais de cette série.

29 septembre 2010

Mohomodou Houssouba

Ndlr : Le titre et les intertitres sont de la rédaction

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