En guise d’entrée en matière…
En quittant Bamako en ce début du mois d’août 2022 pour le pays des Buwa, communément appelé le Buwatun, je suis anxieux avec une peur panique au ventre : les nouvelles, tout au long de l’année n’ont pas été bonnes : on parle de famine « incompressible », d’insécurité non maîtrisée. Les rares coups de fils reçus (rares pour raisons d’antennes saccagées à travers la région bo) sont des complaintes qui n’augurent rien de bon quant à l’implacable famine qui est tombée sur ces populations depuis plusieurs mois en raison de la mauvaise pluviométrie de la campagne 2021. Les pluies capricieuses, se sont pratiquement arrêtées au mois d’août, alors qu’au meilleur des cas, elles auraient dû déborder largement le mois de septembre pour espérer une campagne quelque peu normale.
La voiture, lancée à plein régime, avale les kilomètres avec une régularité métronomique sur le tronçon Bamako-Ségou. En moins de deux heures nous sommes rendus à Ségou. Il nous faudra un peu plus pour rallier San, le tronçon étant déjà largement dégradé avec de dangereux nids-de-poule. Après quelques courses (condiments, légumes, sucre et gasoil) nous prenons la route pour le Buwatun proprement dit. Notre première impression est que l’hivernage largement entamé est prometteur, les champs sont tout verts et le ciel est couvert de nuages menaçants depuis ce matin. Lorsque nous débarquons, vers 15 heures dans un village aux confins sud du Buwatun, à la lisière du Burkina Faso, nous sommes exténués et pourtant, il nous faut encore nettoyer pour loger. Au brouhaha des salutations de bienvenue : Mi bεre mian, succèdent les propos accusateurs des plus téméraires : Hee, tant d’années sans venir nous voir ! Mes explications et justifications sont laconiques et gênées, et pour cause ! Un natif du pays peut-il sincèrement justifier son absence de son terroir par ses occupations ou sa peur des terroristes[1] qui ont désormais pignon sur rue dans pratiquement toutes les communes du Buwatun, voire, du Mali ?
En débarquant ce 4 août 2022 au pays, je me fais fort d’être toute ouïe et toute oreille pendant ces quelques jours de vacances, histoire de m’imprégner des réalités vécues au quotidien par le Bo[2] lambda. En effet, des impondérables se sont conjugués (terrorisme, mauvaise pluviométrie, mais mauvaise gouvernance aussi) pour provoquer une famine qui n’a égale que celle de 1973 ou celle de 1984 où l’agriculteur Bo, malgré son ardeur au travail, a fini par se tourner vers des Organismes d’Aide d’Urgence pour survivre. La présente famine, s’inscrit malheureusement dans un régime d’insécurité totale et d’inflation mondiale si bien que les Buwa se demandent si les dieux ne sont pas tombés sur la tête ! Ces chroniques sont un cri de compassion et la colère de l’impuissance vécue au milieu d’eux pendant ces quelques jours.
Pourquoi et comment des chroniques du Buwatun ?
Les chroniques du Bwamu de Nazi Boni, à la veille des indépendances, présentent un pays Bo ivre d’amour et de courtisanerie. Les jeunes Buwa, le soir, après les travaux champêtres, s’adonnent aux jeux de l’amour jusque tard dans la nuit, tandis que pinhoun/la lune, complice, auréolée d’un jaune scintillant, enveloppe tout cela d’un voile laiteux et poudreux. Ah, l’amour quand tu nous tiens ! Peuple guerrier, habitué aux luttes et aux guerres vicinales modératrices de passion, dressé contre le colonisateur dès son apparition. Peuple guerrier dressé comme un seul homme contre le colonisateur français dissimulateur et hypocrite.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors : les indépendances sont arrivées avec leurs cortèges hérissés d’espoir et d’attentes inassouvies ; des coups d’État militaires ont éclaté, injustifiés, parfois auréolés de noblesse, éternellement boudés par une prétendue communauté internationale ; la démocratie est arrivée dans les rappels à l’ordre d’Occidentaux dominateurs et les Maliens l’ont transformée en une grande farce de scrutins électoraux hilarants et inopérants ; des révolutions ont grondé, étouffées et détournées dans leurs objectifs parfois nobles et novateurs ; le terrorisme est arrivé dans la « bêtise et l’arrogance » des Occidentaux, colonisant d’abord le Nord du pays, puis le Centre et enfin, le Sud, avec son cortège de morts et de blessés à vie, ses déplacés, mais aussi ses opportunistes de tout poil… En tout cela le Buwatun a suivi la marche cadencée du Mali indépendant, s’abimant dans des joutes politiques stériles, s’abrutissant dans des vallées de dolo, s’acculturant dans des religions révélées inopérantes, accroché à des terres ingrates et infertiles.
Comment ces populations malmenées par la famine 2022 ont-elles essayé de résister et de survivre dans une ambiance d’inflation mondiale insupportable ? Quelles stratégies les plus pauvres ont-ils mises en œuvre pour faire face à ce fléau tant redouté de la disette ? En bref, quelle « résilience du pauvre » ?
Le terrorisme, après avoir malmené les populations du Nord a migré doucement jusqu’aux confins Sud du Buwatun, à la lisière du Burkina Faso, cette région complètement enclavée, laissée à elle-même au point qu’un habitant me disait l’autre jour : Nous sommes tellement abandonnés par le Mali que nous ne savons plus si nous sommes du Mali ou du Burkina Faso ; validant sans le savoir ces propos du géographe Jean Gallais lorsqu’il appelait cette région la part inutile du Mali [3]! Au-delà de cette boutade qui en dit long sur un ressentiment ravalé, nous
verrons comment ces populations, pour leur survie « composent » avec le terroriste, comment elles louvoient et choisissent les solutions du moindre mal pour survivre !
Comment gouverner loin des yeux du Mali ? Depuis quelques temps, on ne parle que du Mali kura, lutte contre la corruption. Mais, il faut savoir que ce sont les petites rivières qui alimentent les grands fleuves, qui alimentent les mers et les océans ! Ce sont les petites corruptions qui alimentent la grande corruption au niveau national et tant qu’on n’aura pas éradiqué les petites rivières de la corruption municipale, sous-préfectorale, et préfectorale, on ne tuera pas ce serpent de mer. Il y a quelques années, je lisais sous la plume d’un chroniqueur que dans nos provinces rurales, certains maires, sous-préfets et préfets se vivaient encore comme les administrateurs coloniaux de sinistre mémoire. Je suis étonné que dans nos provinces si pauvres à tous les points de vue, on continue à voler les populations à qui mieux mieux, et ce, parfois par des élus locaux. Où sommes-nous et où allons-nous-là ?
5 au 10 septembre 2022
À suivre
Le Gallican
[1] Cette nébuleuse apparue il y a quelques temps ne peut plus être caractérisée simplement de djihadiste, car beaucoup de brigands des grands chemins, beaucoup de délinquants et d’opportunistes de nos localités en sont désormais, sans compter les véritables coupeurs de routes qui sévissent concomitamment. Ce concept globalisant nous convient parfaitement.
[2] Nous nous évertuons à informer le commun des Maliens qu’il faut appeler les gens par le nom qu’eux-mêmes se donnent, mais nous voyons que la conceptualisation coloniale a encore de beaux jours devant elle ! N’en déplaise aux puristes, il faut dire un Bo des Buwa(Bwa), au lieu du Bobo des ethnologues Blancs qui n’a plus sa raison d’avoir cours dans nos discours désormais !