Cas Kissima Gakou, un innocent derrière les barreaux

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Mensonges ou manipulations, une affaire beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît

Si beaucoup de Maliens étaient d’avis qu’il faut poursuivre les auteurs de corruption et de délinquance financière, on peut d’ores et déjà entendre que cet objectif est devenu plus politique que social, sélectif et peut être même plus, une affaire d’Etat qu’une affaire publique. Cela, au sens qu’il ne vise pas toujours les vrais coupables, et que, pour maintenir la fièvre populaire, on peut parfois, bien incarcérer des innocents, quand ils sont gênants.

La récente vague d’interpellations, recèle certes, pour la plupart des présumés coupables, de nombreux indices de corruptions. Cependant, dans l’affaire Kissima Gakou, des incohérences multiples ont retenu notre attention.

D’abord, en date du 23 et du 26 novembre 2019, les journaux Mali Actu et Maliweb.net, ainsi que certaines presses locales, annoncent que le “Professeur Kissima Gakou est accusé d’un détournement dont le montant atteindrait 200 millions” (Par maliweb.net – 26 novembre 2019/Mali Actu 26 novembre 2019).

Quelques heures plus tard, la presse malienne 30minutes, sur son site officiel, revient sur cette information et reconnaît :

“Nous avions annoncé à chaud la garde à vue du Dr. Kissima Gakou dans une affaire de détournement d’argent. Ils sont trois à être inculpés pour ‘atteinte aux biens publics, faux et usage de faux, détournements et complicité de détournement’. L’ex-doyen de la Faculté de droit privé (FDPri) et non Faculté des sciences juridiques et politiques (FSJP comme précédemment annoncé dans notre dernière parution), Dr. Kissima Gakou, et son comptable dont nous ignorons le patronyme, ont été placés sous mandat de dépôt. Le troisième, qui n’est autre que le comptable sortant est poursuivi mais non détenu. Les faits qui leur sont reprochés portent sur un préjudice de 59 millions de F CFA au détriment de la FDPri”.  (Par la rédaction 30minutes – 26 novembre 2019)

Ensuite, la rédaction affirme que :

“Kissima Gakou qui est encore présumé innocent au regard de la loi, comme d’ailleurs tous ceux qui sont inculpés sans être jugés et condamnés, s’est rendu coupable du recrutement dans des conditions douteuses, d’un nouveau comptable”.

C’est par ce premier paradoxe que nous allons commencer. Techniquement et aucunement, le professeur Gakou n’aurait pu nommer un comptable. Tout simplement parce qu’il n’en a ni la compétence ni la responsabilité.

Dans une révélation faite par le Journal “Le Focus”, suite à une enquête et datant du 2 décembre 2019, il apparaît que l’agent comptable visé par les accusations avait été nommé à un nouveau poste au ministère de l’Economie numérique et des Finances.

Ce dernier a toutefois continué à exercer sa fonction à la FDPri de janvier à novembre 2019. Et pour preuve, c’est le même comptable qui a procédé au paiement des salaires des contractuels et des heures supplémentaires des enseignants, de janvier à octobre 2019.

Tous les documents attestent ce fait et portent les signatures du comptable en question, du doyen et du chef du service des finances du rectorat, sans lesquels, tout acte comptable sera nul et sans effet.

Les suspicions contre le Pr. Gakou sont-elles fondées ou totalement absurdes ?

Toujours selon les révélations du journal “Le Focus”, le comptable de la FDPri, contraint de prendre service au ministère de l’Economie numérique a saisi officiellement le doyen Gakou, pour lui faire part de l’inactivité du rectorat quant à ses requêtes multiples et vérifiables de nommer un nouveau comptable. Et c’est en dépit que le comptable sortant a fait une note officielle recommandant Monsieur Souleymane Sidibé dit Binké, qui s’est engagé à continuer le service comptable jusqu’à la passation de service avec le comptable rentrant. Ne s’agit-il pas ainsi, plutôt, d’une tentative de parer à la défaillance du rectorat, que d’usurpation de titre ou de fonction ?

Pendant cette transition, monsieur Souleymane Sidibé s’est rendu coupable de détournement de 25 millions de FCFA, de faux et usage de faux sur les quittances de l’Etat, notamment en émettant des reçus non officiels.

Le comble dans cette histoire, c’est que le professeur Gakou est incarcéré sans preuve et accusé des actes commis par Monsieur Sidibé, dans un contexte dont les circonstances ont été provoqué, par les plus hauts services décisionnels de l’Université.

Quoi qu’il en soit cette affaire peut conduire à des nouvelles orientations de la lutte anti-corruption qui devrait avec plus de prudence se poursuivre afin de ne pas au nom d’une cause juste, emprisonner, des hommes justes. Cela n’est pas improbable, la justice peut se tromper, mais dans le cas présent, détenir un homme présumé innocent, sans preuves palpables de son implication, mettrait à mal la crédibilité de cette grande initiative que les Maliens ont de tout temps, réclamée.

Pour l’heure, on peut faire trois remarques concernant le cas Gakou qui méritent l’attention du Pôle économique.

  1. En droit, la faute est personnelle. En conséquence, dès lors que l’ancien comptable n’a jamais arrêté son travail, que c’est le même comptable qui a désigné l’informaticien, et qu’il est établi et reconnu par contre informaticien d’avoir seul fait le faux et usage de faux, on est en droit de poser la question de savoir sur quel élément légal le doyen, un haut cadre, a été privé de sa liberté ?
  2. Pourquoi le recteur, chef hiérarchique du doyen, n’a simplement pas fait comparaître devant son autorité le doyen, le comptable et l’informaticien pour s’informer sur la réalité des faits avant de porter plainte directement devant la justice ?
  3. N’était-il pas plus pratique et raisonnable, vu les services rendus et la redynamisation évidente des activités de la FDPri sous les initiatives du doyen, de le mettre simplement sous contrôle judiciaire tout en continuant l’enquête ?

Assurément, nous pouvons dire que cette affaire Kissima Gakou, qui a fait la “Une” de certains journaux, ressemble davantage à une véritable cabale quand on constate que le montant du préjudice clamé est passé de 200 millions, à 60 millions puis à 25 millions de F CFA.

Ousmane Diarra, enseignant chercheur à Moscou (Russie)

 

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