Brève sur l’autodétermination des peuples

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Dans le concert des peuples, il est naïf de croire qu’il existe une harmonie universelle des intérêts au sens économique, politique et même ontologique du terme. Les intérêts sont le fruit des circonstances. La pyramide de satisfaction des besoins de Maslow (1) montre avec suffisance que les peuples comme les individus sont à différentes étapes de satisfaction de leurs besoins. C’est pourquoi il est peu productif de pointer du doigt éternellement la mauvaise volonté de certains de nos partenaires. Il est plus actuel d’identifier nos besoins et nos intérêts et nous engager dans les alliances, les partenariats et autres relations dynamiques. L’activité diplomatique n’est pas une activité humanitaire, elle n’est pas le résultat d’émotions nés de la condition humaine, mais bien plus une notion réfléchie et habile pour garantir les intérêts des Etats. Il est nécessaire d’investir dans la confiance, la crédibilité et la coopération.

L’auto détermination des peuples est consacrée par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui a été adoptée en1981 (3). L’article 20 de la charte africaine révèle que « Tout peuple à droit à l’existence. Tout peuple a un droit imprescriptible et inaliénable à l’autodétermination. Il détermine librement son statut politique et assure son développement économique et social selon la voie qu’il a librement choisie. Les peuples colonisés ou opprimés ont le droit de se libérer de leur  état de domination en recourant à tous moyens reconnus par la Communauté internationale…».

Il ne s‘agit pas de conglomérat ethnique mais un concert de peuple qui vivent en harmonie sur un territoire reconnu comme une entité socio-culturelle.

Le nouveau Mali dont il est question dans l’accord d’Alger devra donc faciliter la fédération ou le retour des entités socioculturelles et identitaires avec leurs semblables des régions ou entités limitrophes. Surtout pour les peuples ou l’intégration ou la fusion dans le cadre d’un l’Etat fédéral s’avère difficile à cause des pratiques culturelles essentielles pour leur existence comme la religion par exemple.  A en croire la définition de l’expert onusien Aureliu Cristescu selon lequel le terme « peuple » désigne une entité sociale possédant une évidente identité et ayant des caractéristiques propres, l’idée de peuple implique une relation avec un territoire, même si le peuple en question en avait été injustement expulsé et artificiellement remplacé par une autre population. Le peuple ne se confond pas avec les minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, dont l’existence et les droits sont reconnus à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques». Cette définition des peuples suggérée par Aureliu Cristescu a été actualisée à plusieurs reprises par les nationalistes du Nord du Mali et autres partisans de l’autodétermination des peuples.  Ces dernières décennies, plusieurs dizaines d’Etats ont été créés sur cette base comme pour concrétiser le droit à l’autodétermination des peuples. D’ ailleurs l’article 20 révèle d’ avantage que les Etats parties au pacte en question, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies ».

L’Acte final d’Helsinki (4), en vertu du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes,  soutient que ‘’tous les peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de déterminer, lorsqu’ils le désirent et comme ils le désirent, leur statut politique interne et externe, sans ingérence extérieure, et de poursuivre à leur gré leur développement politique, économique, social et culturel’’.

Comme pour corroborer le reste, la Charte de l’Organisation des Nations Unies (5) assure « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ». Aussi les Pactes –international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (6) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques – assurent d’avantage le droit des peuples à l’autodétermination (7). L’article 1er commun aux deux Pactes rassure en ces termes « tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

Cristescu  dira d’ ailleurs qu’ en tant qu’un des droits fondamentaux de l’homme, la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est liée à la reconnaissance de la dignité humaine des peuples, car il existe un rapport entre le principe de l’égalité de droits et de l’autodétermination des peuples et le respect des droits fondamentaux de l’homme et de la justice. Le principe de l’autodétermination est le corollaire naturel du principe de la liberté individuelle et la sujétion des peuples à une domination étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme ».  C’est peut-être pourquoi le Président du Mali son excellence Ibrahim Boubacar Keita dira que L’Accord d’ Alger dont l’essence procède des droits de l’homme n’a rien d’anti national. Cependant la question de la hiérarchie des normes juridiques et institutionnelles se trouve actualisée par l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger  et la révision constitutionnelle rendu nécessaire pour plusieurs raison.   Au fond il s’agit de savoir qui prime sur qui ? De l’accord d’Alger ou de la Constitution ?  L’autodétermination des peuples telle que prônée par les nationalistes du Nord a suffisamment ébranlé les fondements de l’Etat moderne du Mali et nul ne peux douter que le Mali ne sera plus jamais le même au sortir de la présente crise.

Notes et références

  1. Abraham Maslow, « A Theory of Human Motivation », Psychological Review, no 50, 1943, p. 370-396 (page consultée le 21 juin 2019).
  2. « La vie sociologique de Pierre Bourdieu, L.Wacquant, automne 2002. », sur www.homme-moderne.org (consulté le 21 juin 2019).
  3. Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, charte africaine des droits de l’ Homme et des peuples sur http://www.achpr.org/fr/instruments/achpr/ (consulté 21 juin 2019).
  4. Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe sur http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1450 (consulté 23.06.2019) : Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, également appelée conférence d’Helsinki (Finlande). Il est signé par les 35 États représentés. On y retrouve les pays européens de même que les États-Unis, l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et le Canada. Chacun s’engage à respecter l’intégrité frontalière des autres, à s’abstenir d’intervenir dans les affaires intérieures et à garantir le respect des droits de l’Homme. Les accords d’Helsinki contiennent également des dispositions favorisant la coopération économique, scientifique et technique entre les signataires.
  5. la Charte de l’Organisation des Nations Unies sur https://www.un.org/fr/charter-united-nations/ (consulté le 23.062019).
  6. Le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels sur https://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=4c0f50a22 (consulte le 23.06.2019).
  7. Pacte international relatif aux droits civils et politiques sur http://www.eods.eu/library/UN_ICCPR_1966_FR.pdf (consulté le 23.062019).
Dr. jur. Nouhoum Salif MOUNKORO
Professeur de l’ Enseign. Sup USJPB
Ancien chargé de formation Minusma
Ancien journaliste-reporter (radio klédu).

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