Bref rappel des éléments de responsabilité pénale du Président de la République et des ministres du gouvernement en République du Mali

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1- L’Ancien Président de la République du Niger, Mamadou Tandja, renversé par un coup d’Etat militaire survenu en 2010, a été libéré de prison par une décision rendue par la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Niamey. Cette juridiction a annulé tous les actes de procédure établis par le doyen des juges d’instruction jusque là en charge du dossier Tandja Une telle situation peut a priori paraître ubuesque aux yeux des non initiés, notamment lorsque l’on sait que le Président Tandja avait été inculpé, mis en état d’arrestation et poursuivi pour des faits qualifiés de crime tenant à : la " résistance à l’exécution d’une décision de justice, délit de favoritisme, détournement de deniers publics ".

1-1 Contre la décision du juge d’instruction qui a non seulement inculpé mais mis sous mandat de dépôt le Président Mamadou Tandja, les conseils de dernier ont contesté la compétence du juge ainsi que sa décision. Ils ont estimé que les faits reprochés à leur client auraient été, à les supposer, commis que dans le cadre ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions de Président de la République. Sur cette base, ils ont indiqué que le Président Tandja bénéficie, de par sa qualité même de Président de la République, d’une " immunité et d’un " privilège de juridiction ". En conséquence, le concernant, les actes et faits incriminés ne pouvaient être poursuivis.

1-2 En réponse, Monsieur le doyen des juges d’instruction a contesté cette argumentation et retenu sa compétence. Il a indiqué au sujet de la question de la compétence soulevée par les conseils de M Tandja que la Cour d’Etat de Niamey y avait déjà répondu dans un arrêt du 14 décembre 2010 et que cette juridiction avait d’ailleurs débouté Mamadou Tandja de cette demande.

1-3 Les conseils de Mamadou Tandja ont relevé appel. C’est ce qui a permis à la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Niamey d’examiner  l’affaire Tandja en phase d’appel.

1-3-1 Dans son arrêt, se fondant sur les dispositions de l’article 118 de la Constitution nigérienne du 09 aout 1999 sous l’empire desquelles les faits ont été commis, la chambre d’accusation a rappelé qu’au Niger, " le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ". Elle a précisé que le Président de la République " est jugé par la Haute Cour de Justice " qu’en cas de haute trahison. Cette disposition est la même qui est reprise à l’article 142 de la nouvelle constitution " post " Mamadou Tandja du 25 novembre 2010 en vigueur au Niger.

Plus spécifiquement, les magistrats de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Niamey ont estimé que les faits incriminés, malgré la levée de l’immunité de Tandjapar la Cour d’Etat , ont été commis pendant que celui-ci " exerçait les fonctions de Présent de la République du Niger".

1-3-1-1 Dans un " attendu " de principe clair et précis, cette juridiction affirme que la levée de l’immunité de Mamadou Tandja, " si elle permet d’engager contre lui (des poursuites), celles-ci ne peuvent porter sur les " actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions que sur ceux constitutifs de haute trahison, en tout cas, ceux définis et rangés comme tels ".  La chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Niamey indique qu’en agissant comme il l’a fait, le doyen des juges d’instruction de Niamey a statué en violation de la loi. Elle a en conséquence ordonné d’office la mise en liberté de Mamadou Tandja.

1-4 La disposition visée au Niger est la même qui existe au Mali dans le texte de la Constitution du 25 février 1992. Une telle disposition signifie que les actes accomplis aussi bien par le Président de la République du Niger que celui du Mali, notamment dans le cadre de l’exercice de leurs " fonctions " ou à son occasion ne peuvent faire l’objet d’aucune poursuite sauf, précisément, en cas de " haute trahison ". Au sujet de la responsabilité pénale du Chef de l’Etat, nous pouvons légitiment nous interroger sur le bien-fondé d’une telle disposition, pénalement protectrice des Chefs de l’Etat du Niger et du Mali. Nous pouvons d’autant plus nous interroger au Mali, dans un contexte de " réformes juridiques, institutionnelles et constitutionnelles " entreprises à l’initiative du Chef de l’Etat lui même. Est-ce encore acceptable dans nos pays, voire raisonnable au plan des acquis et de l’avancée démocratiques dans un Etat de droit en construction que la responsabilité pénale du Président de la République ne soit envisagée que sous le seul angle de la " haute trahison ", à l’exception de toutes autres infractions à connotation pénale ? Qui plus est, au plan pratique, aucun texte de loi ne vient à définir la haute trahison : s’agit-il de faits que la loi pénale qualifie crimes ou délits ou faut-il rattacher à ce concept toutes les fautes qu’aucune loi n’incrimine ?

1-5 Dans le cadre de cet article, nous n’évoquons que les seuls faits criminels ou délictuels commis dans le cadre des fonctions présidentielles. Nous étendons la présente analyse aux infractions mettant en cause les ministres, dans le cadre de leurs fonctions, ce, pour cerner au plan pénal les deux composantes du pouvoir exécutif.

1-6 En termes de droit comparé, le cas malien est bien différent de celui de la France. En France par exemple, depuis l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle du 25 juillet 1993, contrairement au Président de la République dans ce pays, les Ministres ne bénéficient plus que d’une immunité judiciaire qui s’applique aux faits et actes commis dans l’exercice de leurs fonctions à l’exception de ceux relevant de leur vie privée ou de leurs mandats électifs locaux.  Les actes criminels ou délictuels commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions relèvent désormais de la compétence de la Cour de Justice de la République en France.

1-6-1 D’ailleurs sur ce point, la Cour de cassation française a eu à se prononcer sur la compétence de la Cour de Justice de la République dans l’affaire Roland DUMAS. Il était reproché à celui-ci d’avoir provoqué, alors qu’il était Ministre des Affaires étrangères, l’embauche de Madame Christine DEVIERS-JONCOUR alors sa maîtresse par la société Elf Aquitaine. De nombreux observateurs ont pensé dans le cadre de cette affaire que cette embauche n’avait été rendue possible que grâce aux fonctions ministérielles de Roland Dumas. Du coup, en sa qualité de Ministre naturellement, il devrait être déféré devant la Cour de Justice de la République, compétente pour juger les actes commis à l’occasion d’une fonction ministérielle.

1-6-2 Or, la cour de cassation en a décidé autrement. Elle a considéré que la Cour de Justice de la République était incompétente pour juger des faits poursuivis à l’égard de Roland Dumas. Elle a, en effet, estimé que les actes de Roland Dumas qui n’avait pas dans ses attributions la tutelle de la société incriminée, n’avaient " aucun lien direct avec la détermination et la conduite de la politique de la Nation et les Affaires de l’Etat même si la commission de ces faits est concomitante à l’exercice d’une activité ministérielle ". 

1-7 En lieu et place de la Cour de Justice de la République, le Mali dispose d’une Haute Cour de Justice. Cette dernière est compétente pour juger le Président de la République en cas de haute trahison et les Ministres pour crimes ou délits, le tout commis dans le cadre de l’exercice de leurs "fonctions ". Hormis ces cas, la justice de droit commun reste compétente : Dans un passé récent, un ministre de la République a déjà été mis en cause au Mali par rapport à des faits criminels. Mais dans la mesure où ces faits n’avaient aucun lien avec ses fonctions ou ses activités ministérielles, ce Ministre a été traduit par-devant les juridictions de droit commun. Il a été jugé par la cour d’assises en session à Bamako. Le cas d’un autre Ministre de la République fait en ce moment l’objet de poursuites. Le dossier le concernant est semble t-il " parti " d’un Cabinet d’instruction au Parquet général de la Cour suprême du Mali puis vers le Bureau de cette haute juridiction. Une chambre civile de la Cour suprême a été désignée. Elle semble avoir déjà procédé à l’inculpation du Ministre qu’il a d’ailleurs soumis sous un contrôle judiciaire.

Est-ce bien la bonne procédure que de désigner une chambre civile de la Cour suprême ? Si oui, quelle est la base juridique de cette saisine ? Quelle est la base légale de la poursuite ainsi mise en œuvre? 

D’un point de vue strictement procédural, il semble que cette poursuite se fonde,  bien à tort, sur les dispositions de l’article 616 du code de procédure pénale du Mali. 

1-8 Ce texte indique que " lorsqu’une personnalité ayant rang et prérogatives de ministre…est susceptible d’être inculpé d’un crime ou d’un délit dans l’exercice de ses fonctions, le Procureur de la République compétent ou le magistrat qui le remplace réunit les éléments d’enquête et transmet sans délai le dossier au Procureur général près la Cour suprême qui apprécie la suite à donner.

S’il estime qu’il y a lieu à poursuivre, le Procureur général requiert l’ouverture d’une information.

A cet effet, il saisit le bureau de la Cour suprême aux fins de désignation d’une chambre civile pour connaître de l’affaire".

La démarche " judiciaire " décrite ci-dessus, si elle est véritablement celle qui est réellement mise en œuvre, serait totalement erronée en droit mais aussi contraire à la loi pénale qu’elle viole, notamment dans ces dispositions relatives à la compétence qui est dans cette matière, d’ordre public et strict. De plus, une telle démarche procède d’une méconnaissance de la disposition contenue dans l’article 613. Ce texte, le seul applicable aux Ministres lorsqu’ils sont " …susceptibles d’être inculpés à raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que leurs complices en cas de complot contre la sûreté intérieure de l’Etat sont justiciables de la Haute Cour de Justice dans les formes et conditions définies par la loi fixant la composition, les règles de fonctionnement de la Haute Cour de Justice et la procédure suivie devant elle ". Peut on soutenir la " non effectivité " de la Haute Cour de Justice pour violer la loi ? La Haute Cour de Justice existe dans notre pays et devrait se mettre en place et siéger à l’occasion.

 2- D’ailleurs, il ne saurait en être autrement au sujet d’un ministre mis en cause pour des actes criminels ou délictuels, pris dans le cadre de l’exercice de ces fonctions. Les dispositions de l’article 95 de la Constitution malienne du 25 février 1992 sont claires à propos de la Haute Cour de Justice. Elles précisent que le Président de la République et les Ministres du Gouvernement ne sont justiciables d’aucune autre juridiction que de la Haute Cour de Justice. C’est cette seule juridiction qui est et demeure compétente pour juger le " Président de la République et les Ministres " chaque fois que ceux-ci sont " mis en accusation " dans les conditions fixées par la loi pour l’ensemble des " faits qualifiés de crime ou délit " commis " dans l’exercice de leur fonction ". Ces dispositions s’appliquent également à leurs " complices " mais dans la seule hypothèse de " complot contre la sureté de l’Etat ".

2-1 Aucune autre procédure ne peut être envisagée et n’est d’ailleurs envisageable à l’égard d’un ministre de la République poursuivi pour des faits qualifiés de crimes ou délits dans l’exercice de ces fonction que celle contenue dans les dispositions pertinentes de l’article 613 du code de procédure pénale citées plus haut.

2-1-2 L’article 15 de la loi sur la Haute Cour de Justice est conforme au texte précité en ce qu’il précise que " lorsque le Président de la République est susceptible d’être inculpé à raison de faits qualifiés de haute trahison, l’Assemblée Nationale en est saisie par son Président ". Le même texte poursuit que " lorsqu’un ministre est susceptible d’être inculpé à raison de faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de ses fonctions, le Procureur de la République compétent transmet le dossier au Procureur Général près la Cour Suprême chargée de l’acheminer au Président de l’Assemblée Nationale ". En application de cette disposition légale, " la procédure ci-dessus spécifiée s’applique également aux ministres et à leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’Etat".

2-1-2-1 Bien évidemment, l’hypothèse envisagée ici est celle du Président de la République mis en cause pour haute trahison et des ministres poursuivis pour des faits qualifiés de crimes et délits se rapportant à l’exercice leurs " fonctions ministérielles ". Cette hypothèse est bien distincte une fois encore de celle où les ministres sont poursuivis par exemple pour des actes ou des faits commis en dehors de l’exercice ministériel. A ce propos, les dispositions de l’article 614 du code de procédure pénale restent et démurent applicables. Il est clair que l’on ne saurait faire de confusion entre ces deux types de poursuites. S’agissant des actes accomplis en dehors des fonctions ou activités ministérielles, les juridictions de droit commun restent entièrement compétentes. Ce fut le cas en France dans les dossiers Roland Dumas et Alain Carignon, tous deux anciens ministres.

2-1-3 S’agissant des ministres en activité ou non, poursuivis ou mis en cause pour des actes relevant de leur ministère, la juridiction compétente reste, comme indiqué plus haut, la Haute Cour de Justice. Aux termes des dispositions susvisées de la Constitution du 25 février 1992 rappelées ci-dessus, la mise en accusation est dans ce cas votée le cas échéant par scrutin public à la majorité des deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée Nationale. Le dossier de l’affaire, accompagné de la résolution de mise en accusation est transmis par le Président de l’Assemblée Nationale au Procureur Général près la Cour Suprême qui en accuse réception. L’avis de cette transmission est donné au Président de la Haute Cour de Justice. La loi indique que dans les vingt quatre (24) heures de la réception du dossier et de la résolution de mise en accusation, le Procureur Général près la Cour Suprême les fait parvenir au Président de la commission d’instruction désignée à cet effet.

2-1-4 Les dispositions de l’article 19 de la loi N°97-001 du 13 janvier 1997 fixant la composition et les règles de fonctionnement de la Haute Cour de Justice ainsi que la procédure suivie devant elle, indiquent que la commission d’instruction (seule chargée d’instruire) est convoquée sans délai par son Président qui peut, jusqu’à la première réunion, accomplir tous les actes d’instruction nécessaires à la manifestation de la vérité et peut décerner mandat contre le ou les accusés, la commission pouvant confirmer le cas échéant les mandats décernés par son Président.

Une question se pose : Allons-nous prendre dans notre pays le risque de violer la loi par une mauvaise et imprudente démarche juridique pour simplement satisfaire des demandes venues du ciel sans que leurs expressions ne soient ni perceptibles encore moins audibles. Le juge ne devrait servir à rien d’autre dans notre pays qu’à dire et appliquer le droit, sans aucune autre considération que les faits qui lui sont soumis. Le bandeau qui couvre les yeux de Thémis est un symbole d’impartialité. Il indique que la justice est (ou devrait être) rendue objectivement, sans crainte ni faveur, indépendamment de l’identité, de la puissance ou de la faiblesse des accusés : la justice comme l’impartialité est aveugle.

Mamadou I KONATE, Avocat à la Cour



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