Bonne gouvernance au Mali : L’architecture des structures de contrôle des finances publiques

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La conférence des donateurs internationaux, tenue à Bruxelles (Belgique) le 15 courant a abouti à une promesse de mobilisation globale en faveur de notre pays de 3,25 milliards d’euros pour reconstruire/relancer le Mali. Ce chiffre a dépassé toutes les attentes. Le montant est très important et le geste bien louable par ces temps  de rareté des ressources sous tous les cieux. Si cette mobilisation a été une réussite, L’utilisation rationnelle de ces fonds constituera sans doute  un autre défi majeur à relever en premier  lieu par les nouvelles autorités qui seront mises en place. Confronté à de sérieux problèmes de mobilisation des ressources, tant internes qu’externes, pour faire face aux besoins en matière de développement humain durable en général et de réduction de la pauvreté en particulier, le Mali peut-il s’appuyer, en leur état actuel, sur ses structures de contrôle des finances publique ?  Sont-elles à même, de veiller à une gestion efficiente de ces fonds supplémentaires qui n’échappent point,  à leur champ de compétence? Dans nos prochaines parutions, nous comptons traiter une série d’articles sur le contrôle des finances publiques au Mali pour partager des points de vue tout en espérant sur des contributions/des éléments de réponses aux interrogations qui seront soulevées.

La première partie sera consacrée à une vue d’ensemble, à une présentation de l’architecture des structures de contrôle des finances publiques au Mali.

Un système de contrôle des finances publiques revêtant trois formes (le contrôle administratif ; et le contrôle parlementaire ; le contrôle juridictionnel) a été mis en place par notre pays afin de s’assurer et de veiller à l’utilisation appropriée et efficace des fonds publics et à la recherche d’une gestion financière rigoureuse.

Les objectifs de ce système sont : la sauvegarde du droit des citoyens et des contribuables contre les éventuels abus de l’administration et des gestionnaires ; le respect du principe de transparence de l’administration et de l’obligation de rendre compte du Gouvernement ; la communication des résultats des contrôles (à la société civile et au citoyen ; aux élus et aux parlementaires qui sont les représentants de la population et à l’administration en tant que puissance publique).

Plusieurs textes consacrent le contrôle des finances publiques au Mali tout en déterminant l’organisation structurelle.

Cadre légal

Le référentiel de base du système de contrôle au Mali, est consacré dans la Constitution à travers l’Article 83 relatif à la Cour Suprême. Qui comprend trois sections dont la Section des Comptes. La loi organique n° 96-071 du 16 décembre 1996 fixe son organisation, les règles de son fonctionnement ainsi que la procédure suivie devant elle. Le deuxième texte majeur est la loi n° 96-061 portant principes fondamentaux de la comptabilité publique, notamment en ses articles 38 à 43.

Le troisième lot de textes  est relatif aux différentes lois créant les autres structures de contrôle.

Dispositif actuel

Les trois formes de contrôle citées plus haut (contrôles administratif, parlementaire et juridictionnel) s’exercent à travers trois types de contrôle : le contrôle a priori (ou contrôle préalable) ; le contrôle concomitant et le contrôle a posteriori.

Le contrôle administratif, porte essentiellement sur le contrôle de l’application des lois, des règlements et des directives, les opérations financières, le fonctionnement administratif des structures contrôlées. Il s’exerce sous la forme de contrôles hiérarchiques ainsi que par l’intermédiaire des corps de contrôles spécialisés.

Il comprend les trois types de contrôle : le contrôle a priori c’est-à-dire, un contrôle préalable qui se situe en amont de la procédure d’exécution des dépenses publiques. Ce contrôle s’assure de la conformité et de l’effectivité des dépenses publiques ; il est effectué essentiellement par les structures du ministère chargé des finances (il s’agit notamment de la Direction Nationale du Contrôle Financier, de la Direction Nationale du Trésor et de la Comptabilité Publique, de la Direction Générale des Marchés Publics et des Délégations de Service).

Le contrôle concomitant, est exercé par les gestionnaires eux-mêmes afin de sécuriser leur gestion ; c’est un contrôle hiérarchique s’appuyant surtout sur le contrôle interne. Nous aurons l’occasion de revenir sur le contrôle interne à travers la stratégie Nationale de Contrôle Interne du Mali qui constitue un gros chantier du Contrôle Général des Services Publics et de tous ceux qui s’intéressent à la gestion des finances publiques.

Pour revenir au contrôle concomitant, disons qu’il constitue l’ensemble des mesures propices à assurer la gestion efficace des ressources et des résultats d’une organisation.

Le contrôle a posteriori, est effectué par les corps de contrôle des structures de l’administration publique, (le Contrôle Général des Services Publics, l’Inspection des Finances et les inspections ministérielles spécialisées), par le Bureau du Vérificateur Général, par l’Assemblée Nationale et par la Section des Comptes de la Cour Suprême.

Le contrôle parlementaire, concerne les ressources et les dépenses publiques (budget d’Etat, budgets annexes et comptes spéciaux) dans le processus de leur affectation et de leur gestion. Il est effectué par l’Assemblée Nationale à travers ses commissions de travail (comme la commission des finances, de l’économie et du plan chargée du secteur privé ) ainsi que par la Section des Comptes de la Cour Suprême. Ce contrôle peut être qualifié de contrôle externe interinstitutionnel. Il est exercé à travers deux types de contrôle : le contrôle a priori par l’adoption de la loi de finances ; le contrôle a posteriori par l’adoption de la loi de règlement, et par le contrôle de l’action gouvernementale.

Le contrôle juridictionnel, concerne également les ressources et les dépenses publiques,  l’utilisation des ressources financières mises à la disposition de l’Etat, des Collectivités Territoriales et des services qui leurs sont rattachés. Il est effectué par la Section des Comptes de la Cour Suprême, qui exerce  un contrôle a posteriori uniquement sur les exercices clos. Il s’agit là d’un contrôle à travers lequel le judiciaire, a posteriori, certifie pour le compte du législatif ou de l’exécutif, les comptes des structures publiques. Ce contrôle est sanctionné par des arrêts qui accompagnent le projet de loi de règlement ou qui sont adressés aux autorités exécutives concernées.

Domaines de compétence des structures de contrôle 

Selon leurs textes de création, d’organisation et de fonctionnement, les domaines de compétences des structures de contrôle se présentent comme suit :

Le Bureau du Vérificateur Général, le Contrôle Général des Services Publics, et l’Inspection Générale des Finances, interviennent au niveau de toutes les structures de l’administration publique, des établissements et organismes publics qui gèrent les fonds publics. Leur compétence a un caractère transversal, s’exerce sur toute l’étendue du territoire et peut porter sur tous les aspects de l’audit ou du contrôle.

Les inspections ministérielles spécialisées interviennent au niveau des services de leurs ministères respectifs, et au niveau des entreprises et établissements publics placés sous la tutelle de leurs ministères respectifs.

Les principaux domaines de compétence de la Section des Comptes de la Cour Suprême portent sur : le jugement des comptes des comptables publics de deniers tels que définis par la règlementation en vigueur ; la vérification de la gestion financière des agents de l’ordre administratif chargés de l’exécution du budget national et des autres budgets que les lois assujettissent aux mêmes règles ; l’examen de la gestion financière et comptable des organismes dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière, et dans lesquels l’Etat ou les autres collectivités publiques ont un intérêt financier ; le contrôle des comptes des collectivités territoriales.

Nous reviendrons prochainement sur les compétences de façon plus précise de chacune des principales structures de contrôle des finances publiques.

Autres organes :

Les pôles économiques et financiers

Les pôles économiques ont été institués près les tribunaux de Première Instance de la Commune III du District de Bamako, de Kayes et de Mopti. Ils comprennent : un parquet spécialisé, un ou plusieurs cabinets d’instruction spécialisés, une Brigade Economique et Financière, des assistants spécialisés en matière économique et financière.  En vertu du décret N°03-245/P-RM du 23 juin 2003 fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement des pôles économiques, ils ont pour mission de procéder sur instruction du Procureur de la République à des enquêtes préliminaires dans les matières relevant de leur compétence.

Infractions visées

Les infractions visées sont entre autres le faux monnayage, la contrefaçon, la détention et l’usage de monnaie contrefaite ; la contrefaçon et usage frauduleux de timbres et marques; les faux en écriture et usage de faux; les atteintes aux biens publics, la concussion; la prise illégale d’intérêt, le délit de favoritisme, la corruption, le trafic d’influence, le blanchissement d’argent, le délit d’initié.

A celles-ci s’ajoutent toutes les infractions définies par le Code de commerce, le Code des impôts, le Code des douanes, le Code des marchés publics et la loi des finances et de la comptabilité. Les infractions ci-dessus énumérées sont poursuivies, instruites et jugées selon les dispositions du Code de procédure pénale.

Plaintes et dénonciations 

Comme l’a dit un ancien Procureur du Pôle Economique et Financier, le procureur de la République est la cheville ouvrière du pôle économique et financier. «A ce titre, il reçoit conformément aux dispositions de l’article 52 du Cpp, les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Ces plaintes et dénonciations émanent soit des particuliers, des victimes, des structures de contrôle ou de la Cellule d’appui aux structures de contrôle de l’administration (Casca)».

Des dénonciations peuvent émaner de la Casca en se fondant sur les dispositions de l’article 58 du Cpp qui dispose que toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public, qui dans l’exercice de ses fonctions, acquerra la connaissance d’un crime ou d’un délit, sera tenu d’en donner avis sur le champ au procureur de la République ou au Jpce territorialement compétent et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

Collaboration avec les structures de contrôle 

Les rapports transmis par les structures de contrôle au parquet au titre des années 2009 et 2010 sont au nombre de 42 tous transmis par la Cellule d’Appui aux structures de contrôle de l’administration (Casca).

Au titre de ces rapports : huit  provenaient du Contrôle Général des Services Publics, trois de l’Inspection de l’intérieur, deux  de l’Inspection des services judiciaires, un de l’Inspection de la santé, un d’un cabinet d’expertise et 27 du Bureau du Vérificateur Général.

Si la transmission des rapports de contrôle au Pôle Economique est une réalité, des interrogations subsistent encore sur la mise à sa disposition par les structures de contrôle des supports ou dossiers de travail. Ce qui pourrait faciliter la qualification pénale des infractions relevées tout comme la  formation du personnel des structures de contrôle en matière civile et pénale. Il est évident que si la collaboration entre les structures de contrôle et les pôles économiques est d’importance capitale, il n’en reste moins que celle entre les structures de contrôles elles-mêmes est impérative. Nous en parlerons très prochainement.

Quelles améliorations ?

Outre l’amélioration de la coopération entre les structures de contrôle et les Pôles Economiques et Financiers, on peut relever également que les magistrats n’ont pas toujours les compétences appropriées pour apprécier les infractions économiques et financières. Ce qui nous fait penser à la possibilité d’introduire à l’Institut de formation des Magistrats un module sur la question du blanchiment le financement du terrorisme.

En troisième lieu, pour des raisons de motivation insuffisante, les Pôles ne disposent pas toujours et pour une longue durée de spécialistes dans les domaines fiscal, douanier, bancaire. Une alternative pourrait être l’utilisation d’experts judiciaires et de cabinets privés d’audit pour appuyer les Pôles mais la résolution pérenne passerait par la mise en place d’un système de motivation adéquat.

Le deuxième organe dont nous allons parler est une autorité indépendante : l’Autorité de régulation des marches publics et des délégations de service public (ARMP-DSP).

Elle a pour mission d’assurer la régulation du système de passation des marchés publics et des conventions de délégation de service public en vue d’en accroître la transparence et l’efficacité.

A ce titre, l’Autorité de Régulation est chargée :

Dans le domaine de la définition des politiques et de la réglementation en matière de marchés publics, d’émettre des avis, de formuler des propositions ou des recommandations concernant : les politiques et les mesures législatives et réglementaires en matière de marchés publics et de délégations de service public ; les procédures et les outils de passation des marchés publics et des délégations de service public.

Dans le domaine de la formation et de l’information, de contribuer à l’information et à la formation de l’ensemble des acteurs de la commande publique, au développement du cadre professionnel et à l’évaluation des performances des acteurs du système de passation, d’exécution et de contrôle des marchés publics et des délégations de service public.

Dans le domaine de l’audit des marchés publics, d’initier des enquêtes relatives à des irrégularités ou des violations de la réglementation, communautaire ou nationale, commises en matière de marchés publics et de délégations de service public et de saisir les autorités, communautaires ou nationales, compétentes de toute infraction constatée. Elle peut faire réaliser des audits techniques et/ou financiers en vue d’évaluer le coût et l’efficacité des marchés publics ou des délégations de service public.

Dans le domaine du règlement non juridictionnel des litiges, de statuer en qualité d’Autorité de Recours non juridictionnels. A ce titre, elle reçoit les réclamations et statue sur les irrégularités, fautes et infractions constatées en matière de passation ou d’exécution des marchés publics ou de délégations de service public. Elle donne son avis dans le cadre du règlement à l’amiable des litiges nés à l’occasion de la passation ou de l’exécution des marchés publics et des délégations de service public.

Dans le domaine des relations de coopération et des liaisons, d’entretenir des relations de coopération avec les institutions similaires d’autres pays et les organismes internationaux agissant dans le domaine des marchés publics et des délégations de service public. Elle est l’organe de liaison des institutions communautaires de l’Uemoa, et peut à ce titre saisir ou assister la Commission de l’Uemoa dans le cadre de la surveillance multilatérale en matière de marchés publics et de délégations de service public. L’Armp-Dsp a rendu des décisions à travers son comité de règlement des différends. Elle a procédé à la formation de professionnels intervenant dans la chaîne de la passation des marchés.

Pour une meilleure efficacité dans la définition des politiques et de la réglementation, ne sera-t-il pas nécessaire de faire remonter à cette structure les cas de violation ou d’insuffisance du dispositif relevés par les contrôleurs au cours de leurs missions ?

Par ailleurs, comment éviter de la décrédibiliser par rapport à l’annulation de ses décisions par la Section Administrative de la Cour Suprême ? Vous le saurez dans notre prochaine publication.

Fassery DOUMBIA

Auditeur diplômé

 

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1 commentaire

  1. Très bel article qui dit ce qui doit être fait, mais occulte ce qui est, notamment les difficultés de mise en œuvre du contrôle qui manque cruellement de moyens logistiques, financiers et humains pour mener à bien ses missions. TANT QUE L’ON AURA PAS SUBSTANTIELLEMENT AUGMENTE LES ALLOCATIONS BUDGETAIRES DES STRUCTURES DE CONTROLE, IL NE FAUT PAS S’ATTENDRE A DES MIRACLES EN MATIERE DE LUTTE CONTRE L’IMPUNITE ET LA DELINQUANCE FINANCIERE….

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