L’année 2020 a été marquée par la pandémie de Covid19 qui a mis à rude épreuve les faibles capacités du pays en matière de santé. La pandémie a coïncidé avec une agitation sociale et politique très forte et latente depuis 2015. Ces troubles de faible intensité, accélérés après les législatives de 2020 ont conduit à un changement de régime inconstitutionnel, avec le départ du Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) et l’installation d’une transition civilo-militaire au pouvoir.
Alors que l’année 2021 débute, je me pose les mêmes questions qu’en 2012 concernant l’avenir du pays qui traverse une crise sans précédent et dont on ne voit pas la fin. La situation en effet ne s’est pas améliorée et on pourrait même dire qu’elle s’empire malgré les efforts et sacrifices consentis depuis 8 années.
La pandémie a démontré la faiblesse du système de santé
Il faut en premier lieu de saluer le dispositif sanitaire mis en place par les autorités et le dévouement du personnel de santé qui malgré des moyens parfois rudimentaires s’est impliqué pour contenir la crise. En effet le pays ne dispose pas de suffisamment de lits et de respirateurs. Il a pu compter sur les dons de la Chine, de la Turquie, des ONG et de l’OMS, mais ceux-ci demeurent insuffisant pour faire face à une deuxième vague extrêmement virulente.
La pandémie a mis en lumière la faiblesse de notre système de santé. Les structures de santé sont dégradées et manquent de moyen. Par ailleurs la qualité de la formation du personnel est également à questionner. L’hôpital comme tous les autres services publics est rongé par la mauvaise gouvernance et la corruption et cela au détriment de la santé des populations.
Plusieurs leçons doivent être tirées de cette pandémie. L’Etat doit investir pour remettre à niveau la faculté de médecine, les centres de recherche et les structures de santé de l’échelon communautaire à l’échelon national. Ces investissements sont fondamentaux tant la crise a démontré la dépendance du pays pour l’acquisition de kits de tests, de matériels de protection et de vaccins. Le monde connaitra d’autres épidémies et il est stratégique que nous puissions compter sur nos propres moyens pour y faire face.
Les progrès sur le plan sécuritaire faibles
La situation sécuritaire s’est continuellement dégradée au cours de l’année écoulée. Les Forces de défense et de sécurité malgré des années de formation et de guerre ne semblent pas être en mesure de faire face. La situation sécuritaire est donc restée tributaire de la pression que fait peser les français sur l’état islamique et le JNIM.
La force du G5 n’est pour l’instant pas opérationnelle, elle n’a pas les capacités de mener des opérations sans le concours de la France. On note certes des opérations tripartites dans la zone du Liptako, mais elles ne laissent pas voir une montée en puissance de l’organisation.
Par ailleurs les organisations des Droits de l’Homme ont continué à pointer du doigt la responsabilité de certains membres des FDSM dans des violations des Droits de l’Homme au cours d’opérations de « contre-terrorisme ». Ces atteintes à répétition profitent aux GAT qui croissent sur le rejet de l’Etat par les populations civiles. Or l’établissement de l’autorité de l’Etat doit se faire avec l’acceptation des populations locales.
De plus, les groupes armés terroristes ont continué à soumettre par la violence et par la séduction les populations dans les territoires abandonnés. Ils ont multiplié les alliances stratégiques et les embargos comme dans la commune de Mondoro, le cercle de Bankass, l’inter-fleuve ou encore à Niono. Quel autre choix pour des populations civiles délaissées que de se soumettre aux maitres des lieux ?
Au centre du Mali et notamment dans les cercles de Koro, Bankass, et Bandiagara, le JNIM a continuellement gagné du terrain sur le groupe Dana Amba Sagou. Ils ont soumis par la force et/ou la séduction plusieurs villages dogon et peuls. Par ailleurs ils se sont attaqués à l’axe routier reliant Mopti et le Burkina pour assécher les finances de DAS. En effet, l’acharnement sur les ponts situés sur cet axe s’explique par le fait que DAS disposait de plusieurs check-points au niveau desquels ils prélevaient des taxes aux routiers.
On note aussi que c’est l’aile de Dana Amba Sagou dirigée par Youssouf Toloba qui a été la plus amoindrie, l’autre aile ayant rassemblement renoncé à une politique de conquête territoriale et établi un dialogue avec les membres du JNIM et les communautés peules locales.
Concernant la mise en œuvre de l’accord pour la paix signé depuis 5 ans à Alger, les progrès restent anecdotiques. Les dividendes politiques restent imperceptibles et les populations demeurent sceptiques. Le rapport des experts des nations-unies a d’ailleurs pointé la responsabilité de plusieurs responsables maliens et de groupes armés dans les blocages observés. La fondation Carter qui est observateur indépendant de la mise en œuvre de l’Accord abonde dans le même sens.
L’Accord qui a été présenté comme un élément de refondation et de pacification n’a pas atteint ses objectifs après 5 années de mise en œuvre. Des voix s’élèvent pour le remettre en cause et demander sa relecture sans pour autant expliquer ce qu’il y a à relire et en quoi cela améliorait la situation. Cette posture n’est pas productive et ne vise qu’à alimenter des débats stériles.
La communauté internationale a semble-t-il voulu mettre plus de pression sur les acteurs en nommant les responsables accusés de ralentir la mise en œuvre de l’Accord. Il reste encore beaucoup à faire pour rétablir la confiance entre les acteurs, affaiblir les actions des spoilers et favoriser la mise en œuvre des mesures politiques.
Au cours de l’année à venir il est primordial de faire avancer les mesures politiques prévues dans l’accord et notamment le processus de régionalisation qui bloque. La nouvelle Constitution devra prendre en compte également les nouvelles règles avec un mode de désignation pour une nouvelle chambre plus souple et moins budgétivore que ce envisagé par le régime IBK.
Les reformes économiques n’ont pas eu lieu
La situation économique était déjà assez fragile lorsqu’est survenue la crise du coronavirus puis le coup d’Etat militaire. La situation ne s’est donc pas particulièrement améliorée. L’économie malienne reste fragile et demeure dépendante des importations et des facteurs climatiques.
Cette croissance et la forme de notre économie témoignent des efforts à entreprendre pour bâtir une économie moderne qui permette de lutter plus efficacement contre la pauvreté, le chômage et construire un modèle social.
La croissance démographique devient insoutenable pour le pays d’autant plus que la croissance économique ne permet pas d’absorber cette hausse de la population, notamment dans la distribution des services sociaux. Les chiffres macroéconomiques globalement bons témoignent mal des inégalités dans le pays et de la mauvaise répartition des richesses.
Il y a lieu de réfléchir à une réforme globale pour revoir la structure de notre économie, faciliter son financement par les banques et à investir dans les domaines porteurs de haute valeur ajoutée et notamment l’industrie de haute technologie.
Enfin la question monétaire a été au cœur des débat, avec une reforme à la marge qui témoigne du manque d’ambition et de la frilosité des dirigeants de l’UEMOA. Il y a des doutes quant à nos économies à supporter une union monétaire au sein de laquelle le Nigeria connu pour son instabilité économique pèserait plus de 60%. Cela démontre également les efforts à fournir sur le plan fiscal et juridique pour accroitre une intégration qui pour le moment est un vœu pieux.
Un climat social fortement dégradé
L’année a été marquée par le durcissement des mouvements sociaux qui ont contribué à faire chuter le régime IBK. La grève des enseignants et le Covid 19 ont fortement impacté l’année scolaire. D’un commun accord les parents, les élèves ont décidé de manière désastreuse, que 2 mois de cours était suffisant sauver l’année scolaire. Cette décision incompréhensible hypothèque l’avenir des élèves. Les retards accumulés se feront ressentir forcement dans les années à venir.
Au-delà du cas emblématique de l’école, les grèves ont été motivées dans d’autres secteurs par la somme des promesses non appliquées du régime IBK. Le gouvernement de ce dernier a conclu plusieurs accords insoutenables pour les finances publiques et a à plusieurs reprises repoussé leurs applications.
Un dialogue social et une révision de la condition de rémunération des agents publics sont indispensables. Cependant la sincérité pour sauver le système de fonction publique, l’assurance maladie et chômage pourrait ne pas être au rendez-vous.
Un climat politique délétère
La qualité du débat public s’est affaiblie, les élections législatives n’ont pas été à la hauteur, les candidats n’ont pas sembler mesurer la gravité de la situation dans laquelle se trouvait le pays. Ils ont pour la plupart mené une campagne en promettant des projets pharaoniques aux populations, qui pourtant n’entraient pas dans leurs prérogatives de députés.
Cette élection a démontré une fois de plus à quel point le clientélisme politique et les élections organisées dans ces conditions était un élément puissant de déstabilisation de nos sociétés supposément démocratiques. Cette élection voulue coute que coute portait les germes de la crise. La convergence des luttes politiques et sociales a conduit à un coup d’Etat militaire et à la mise en place d’une transition qui peine à démarrer.
La période semble propice à l’émergence d’initiatives politiques novatrices et qui proposeraient aux maliens un nouveau projet de société. Elles pourraient être le fait de coalitions de citoyens de tous horizons. A défaut de nouvelles initiatives, les prochaines élections présidentielles pourraient conduire à des oppositions entre vieux routiers de la politique malienne. La surprise pourrait aussi venir du coté de la junte au pouvoir.
Je ne pourrais pas conclure ce texte sans avoir une pensée pour Soumaila Cissé, Pierre Buyoya et tous ceux qui nous ont quittés en cette année 2020. Que Dieu leur fasse miséricorde, ils seront toujours dans nos pensées.