Au delà de la médaille d`or!

0

 Depuis quelques jours l`actualité malienne est dominée par la cérémonie de décoration du président de la république. Une abondante littérature  s`est employée soit  à disculper soit à  accabler le récipiendaire de la célèbre médaille. Sans prise de partie ni de condamnation, je voudrais simplement livrer une opinion sur cet évènement  en le mettant en  rapport avec notre culture et mode actuel de pensée. Devons nous escamoter cette dimension de la question ? On sait que non. Mais la démarche serait, embarrassante. Or, en éludant cet aspect de la question, on risque de faire l`économie d`une réflexion salutaire sur le rapport de notre société dans sa version actuelle  à l`être et l`avoir.

                           Aussi, un premier groupe d` analystes  appréhende la remise de cette médaille, dorée soit elle comme un phénomène  normal. Ils estiment que le récipiendaire a beaucoup œuvré pour le monde économique Malien et une reconnaissance de la part de ce dernier n`est qu`une marque de gratitude dûment méritée. Aussi, n`est il pas exagéré de dire qu`au Mali, il n`y a pas matière à  indignation, car la norme c`est cela. Nous tirons d`ailleurs une grande fierté de ce système social dit d`affection et de reconnaissance légendaires.

                        Une autre lecture de la même cérémonie, part du postulat qu` à  l`heure   de la vie chère, la remise d`une médaille d`une telle valeur est inopportune et malvenue. Pour ce groupe d`analystes, dans ce contexte de disette, l`enracinement culturel a pour seule fonction d`ignorer  la misère, en échange de gratifications psychologiques érigées en priorité. Au soutien de leur analyse, ils estiment qu`il est inconcevable que l` on claque en une soirée l`équivalent de plusieurs salaires annuels pour glorifier  tout en  jetant l`argent aux griots. Ces sommes ne servent pas à créer des biens matériels dont nous avons besoin, mais à consolider un narcissisme culturel perçu comme positif. Cette cécité délibérée est une faute de l`esprit  pesant de tout son poids sur le bien-être collectif.

                    Les mentalités forgées par des années de subordination politique, de  peur de l`assiette vide est l`un des traits distinctifs de notre société actuelle où règnent   la courbette et la flagornerie. Ainsi, du planton au cadre, personne n`est sûr de pouvoir conserver son emploi ou sa fonction politique .Personne n`est à l`abri d`une délation, ou tout simplement de la mauvaise humeur d`un chef qui peut vous remercier en toute impunité et sans indemnités. Cette précarité, jointe  à l`absence ou l`inefficacité  de contrôle, explique que les fortunes se bâtissent en un temps record.   Aussi, la vie sociale se caractérise par une forme de lâcheté ; on se tait de peur de se singulariser, de contredire le plus grand nombre, tant il est vrai que la vérité ne devient telle que lorsqu`elle passe du singulier au pluriel. Généralement, on ne parle de dictature, d`autoritarisme chez nous que pour décrire l`attitude d`une classe politique corrompue, vivant de répression et de clientélisme. Notre dictature  est d`abord une dictature culturelle. Beaucoup de pratiques  politico-culturelles appliquées vont dans le sens de l`enracinement subtil de la peur du chef, de la crainte voilée des classes possédantes, de l`idolâtrie du chef  si mystifié qu`il constitue aujourd`hui une des  plus grandes charges d`inertie entravant le progrès des mentalités.

                       On ne dira jamais assez à  quel point beaucoup de maliens, même lettrés, ressentent, à ce jour l`existence de notre système politique comme un phénomène regrettable et profondément étranger  à notre culture. La popularité du principe du retour  à soi explique que, contrairement  à ce que croit Mr René Dumont, les élites occidentalisées et les masses paysannes ne s`opposent pas en Afrique, mais se fondent dans une perception identique du contenu de la vie sociale. C`est donc une erreur de dire que les masses africaines ne méritent ni leurs intellectuels, ni leurs dirigeants politiques : ceux-ci sont très exactement à  leur image. Pour nous en convaincre prenons un exemple : imaginons Aly Bongo, dirigeant le peuple américain, et la superposition explose dans toute son invraisemblance .Replacez-le, en revanche, dans n`importe quel pays africain et le coefficient de vraisemblance monte en flèche. On pourra multiplier  à l`envie les exemples mais le résultat reste le même. Cela signifie qu`il n`y a pas de gouvernants sans peuples. Qu`au sous-développement des leaders correspond toujours celui des élites  et des masses. Aucune politique complaisante, aucune  dictature, fut-elle armée jusqu`aux dents, ne peut se maintenir solidement dans un pays par son seul pouvoir de répression et de corruption. Seule la préexistence d`un terrain social et culturel favorable explique que de tels régimes puissent prendre racine et prospérer.

                      Pour ma part, je me contenterai de dire simplement qu` au delà de la médaille d`or toutes ces incohérences ne doivent leur existence qu` à l`effroyable adhérence de notre mode de pensée actuelle.

Une contribution de Mr Toure Abdourahamane
drabenmat@yahoo.fr

 

Commentaires via Facebook :