Attentat sauvage au Mali: un défi lancé à la Nation

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Sekou Kyassou Diallo
Sekou Kyassou Diallo

Bamako, la capitale. Une ville de  deux millions d’habitants, plein cœur d’un pays meurtri par la crise au nord. Des immondices un peu partout, des maisons disparates aussi à des coins et recoins. Ces images n’ont cependant jamais enlevé à l’atmosphère joviale qui  règne. Même sans une intention de se rendre à l’heure au travail, presque tous se lèvent très tôt pour des prières et se couchent très tard surtout en fin de semaine après de longues journées de labeur. Malgré des actes de brigandage et de vol à main armée perpétrés par la racaille, la ville donne toute l’impression d’être calme. Bamako vit courageusement son quotidien lamentable. Ici, beaucoup d’Etrangers aussi sont habitués à se sentir comme chez eux à la maison. Ils y ont leurs affaires, des amis, des centres d’intérêt, des places préférées pour se détendre entre amis autour d’une table. Et puis, de façon très inattendue, on dirait la neige sous un soleil ardent,  le pire remplace le lamentable en quelques minutes.

 

Dans la nuit du vendredi 6 mars, la panique s’installe à « la Terrasse », l’un des bars-dancing les plus huppés de la ville, endroit de prédilection des immigrants européens. Aux environs d’une heure du matin, les danses sont interrompues subitement. Les cris ont remplacé la musique. On rampe sous les tables, on se jette par les balcons ou s’échappe par le toit. A coup de rafales de kalachnikov, des individus en cagoules s’acharnent lâchement sur des innocents qui se relaxaient sans nuire à personne, abattant cinq d’entre eux dont deux Européens et faisant des blessés. Par cette terreur hors du commun, le pays entier vient d’être frappé en plein cœur, dans son orgueil et dans sa dignité. Pourquoi cet acte maintenant et pourquoi « la Terrasse » ?

 

Par tous les moyens possibles, le Mali entend s’extirper de la crise qui a éclaté en 2012. Bien des Accords ont été signés, puis violés ensuite. Après des mois de violences, l’intervention Serval a repoussé la menace djihadiste qui s’élargissait vers le sud, sans pour autant l’éradiquer pour des causes qui restent sombres. Les attaques se sont toujours poursuivies au nord du pays, sur les populations, sur les marchands forains, même sur les fonctionnaires de l’Etat. Suite au fiasco de Kidal en mai 2014, les autorités se sont mises énergiquement à pied d’œuvre en vue de trouver une sortie durable au conflit qui fait saigner la Nation. Les pourparlers d’Alger ont été enfin sérieusement engagés. Les positions diamétralement opposées du gouvernement et celles des rebelles Touaregs les ont fait trainer pendant des mois. Au niveau des Maliens, l’impatience grandissait. Les uns estimaient que la guerre était l’ultime solution, les autres pensaient qu’il fallait continuer le dialogue au regard de la déconfiture des forces armées nationales. Finalement, il y a quelques jours, la nouvelle est tombée : Bamako accepte de signer un compromis proposé par la médiation algérienne. Des voix s’élèvent contre, d’autres avancent qu’une maigre paix vaut mieux en atten-dant des lendemains meilleurs. Sur ce fond, les rebelles du MNLA refusent de parapher le docu-ment adopté sous le prétexte de consulter la base qui n’a jamais été évoquée lorsqu’ils prenaient les armes. Pendant que tous gardent le souffle pour voir la paix tant souhaitée venir, Bamako est très douloureusement secoué à l’improviste par une attaque terroriste qui vise essentiellement des Occidentaux, puisque « la Terrasse » est leur boite de préférence.

 

Cela semble être une provocation. Mieux encore dans le contexte actuel, une tentative de vouloir maintenir le pays toujours dans la crise. A peine un espoir au bout du tunnel, fût-il maigre, qu’un drame se produit aussitôt. Certes, les Bamakois affichent une sorte d’indifférence par rapport à ce qui se passe dans le pays. Peut-être qu’ils ont la tête plus dans leurs difficultés du jour. Néanmoins malgré la gravité du conflit dans le septentrion, l’ambiance et le thé n’ont jamais manqué dans la capitale. On y vit à largesse relative, avec des contraintes financières évidentes pour certains.  Tout de même, l’impression de voir un pays stable semble y dominer. Le drame de « la Terrasse » a tiré tous de leur rêve d’une ville  à l’abri des attaques de résonnance internationale. L’ennemi n’a pas fini de dire son dernier mot, de lancer le défi à la Nation. Qui veut donc  déstabiliser davantage le Mali, quelles sont les causes de l’insécurité grandissante dans le pays, et que faut-il faire pour ne pas sombrer définitivement à l’instar du Titanic?

 

Nous aimons évoquer comme cause principale la guerre de l’OTAN en Lybie, ayant permis le pil-lage des dépôts d’armes lourdes qui se sont retrouvées curieusement dans notre pays même si nous n’avons pas de frontières avec le pays du Guide. C’est une évidence. Les rebelles du MNLA en ont profité pour déclencher des hostilités. Tueries, pillages et viols  sont devenus le lot des ha-bitants du nord. Cependant, nous avons tendance à  ne pas prendre en compte d’autres facteurs conjugués qui peuvent être des ramifications de la déstabilisation que vit le Mali.

 

D’abord la crise ivoirienne. Avec la fin du conflit en Sierra-Leone et au Liberia, beaucoup d’armes sont entrées dans le pays de Felix Houphouët Boigny. Gbagbo et ADO ont fait leur va-tout pour la victoire. Les fameux Dozos y ont joué un grand rôle. Pour se sauver, de nombreuses personnes, maliennes ou pas, ont été obligées de quitter la Cote d’Ivoire et de s’installer chez nous. Tout à fait normal d’autant plus qu’à cause de notre stupide bagarre, les nôtres aussi ont trouvé refuge dans les pays voisins. Mais savons-nous réellement qui venait au Mali et avec quelle intention? La guerre civile étant finie, des Dozos se sont vus abandonnés. Il n’est pas exclu que quelques arsenaux aient pu apparaitre sur notre territoire. Une personne armée démunie, sans espoir de  pouvoir s’intégrer socialement, serait toujours tentée de faire usage de son arme pour sa survie, quitte à tuer des citoyens paisibles.

 

Au nom d’une intégration, le régime d’ATT avait ouvert largement les portes du Mali aux ressortis-sants de la sous-région. Le pays a été envahi au point que nous ne savons plus qui est Malien et qui ne l’est pas. Les pièces d’identité sont massivement vendues à qui le veut. Tous les grands bandits africains en sont munis presque. Par exemple, un escroc ghanéen devenu Malien à coup d’argent, pour ne citer que ce fait parmi tant d’autres, opérait tranquillement chez nous jusqu’à ce qu’il tombe dans les filets de la police marocaine via Interpol. A Bamako, des coups de fil sont venus d’en-haut pour obtenir sa libération ! En voulant empêcher le vol de sa voiture un autre Français avait été abattu la nuit devant son domicile. Après un retrait d’argent à la banque, des hommes d’affaires sont attaqués en plein jour par le syndicat du crime sous régional. Dans notre culture, l’hospitalité est une tradition séculaire. Mais par ces temps qui courent, nous en sommes plus victimes. En effet, il n’est pas rare de voir des Etrangers, « naturalisés » Maliens, mêlés à des crimes commis au Mali ou à l’extérieur. La corruption massive dans les rangs des forces de l’ordre  et de l’administration leur donnent une grande liberté dans leurs actions.  Bien que l’image du pays en pâtisse, la vente des pièces d’identités connait son essor même aujourd’hui.

 

La menace de l’intégrisme islamique a été coupablement négligée. Des dizaines de mosquées, des centaines de radios qui émettent, les unes parfois dans des conditions illégales. Les autorités ne se sont presque jamais souciées de savoir qui dit quoi ou qui fait quoi sur ces antennes désordonnées. Sans le niveau requis, en flagrante contradiction des Texte sacrés ou même  dans des buts lucratifs, de soi-disant prêcheurs mènent leurs activités en toute liberté, plongeant les populations dans l’obscurantisme total qui est source de l’intolérance religieuse que nous vivons. Dans la sous-région et avant la crise, au lieu d’un autre pays, des milliers d’adeptes se rendaient au Mali pour une Daouwa. Ils étaient originaires de plusieurs Etats africains et pas seulement. Il y avait  des Mauritaniens, des Algériens,  Libyens, des Marocains et même des Pakistanais. Iyad Ag Ghali, l’un des terroristes les plus odieux, était parmi eux. Parfois, des rassemblements sous prétexte de prière dégénèrent ensuite en meeting politique ou en protestation. Les forces de l’islamisation du pays bénéficieraient de soutien à Bamako. La participation du Président Ibrahim Boubacar Keita à la marche de « Charlie Hebdo » a été conçue par d’aucuns comme un affront. Dans certains milieux, on murmure que sous l’effet des mallettes occultes d’argent arabe, le Mali a basculé au moyen-âge spirituel, perdant sa tolérance religieuse instaurée encore sous le père fondateur Soundjata Keita.

 

Enfin la classe politique dans sa généralité. Plus de 150 partis et deux fois autant de divisions au sein de la société. Pour un rien, les Maliens ne s’entendent plus, ils en viennent à des coups de gueule ou à des coups de poings, avec une issue létale  des fois. Lors des campagnes, on assiste à de piètres scènes. Tantôt des hommes politiques s’associent avec des imams pour des bénédic-tions en leur promettant ciel et terre, tantôt ils distribuent des cadeaux aux jeunes ou  leur tournent la tête à l’aide d’arguments qui prennent un autre sens après. Sur les antennes de radios et dans les journaux passent des insultes, des diffamations, attaques, des dénigrements, qui sont  devenus attribut de la nouvelle démocratie malienne. La critique est quasiment exclue : soit vous flattez, soit vous êtes un ennemi. A tout prix, même à celui de diviser pour régner, il faut atteindre le but de l’enrichissement personnel au détriment du peuple ignorant en grande partie. Au lieu d’unir, la démocratie a fait des brèches à travers lesquelles l’ennemi entre facilement pour nous mettre dos à dos et profiter mieux de nos richesses. L’indifférence des autorités a joué son rôle majeur. Le Mali n’a pas su calculer la menace séparatiste qui arrivait. Nous sommes aidés à descendre plus profondément pendant que nous nous chamaillons. Ainsi donc, comme l’a dit un Président, nous dormons sous la même couverture en voyant des rêves différents.

 

Comment faire renaître le Mali, faire palpiter les cœurs dans un esprit patriotique et fraternel? En dehors de la lutte armée ou diplomatique contre le mal principal qu’est le MNLA, nous devons songer à mettre un terme au laisser-aller et laisser-faire qui sévissent dans la République. Sans enfreinte à la démocratie que nous avons mal comprise, l’ordre public exige des mesures sévères. Il ne s’agit pas de la fermeture des bars, hôtels ou restaurants, ni de s’attaquer à de pauvres femmes sans foulard sur la tête, en jupes ou en pantalons. Il s’agit plutôt d’exercer un contrôle strict, sans lequel la démocratie serait une anarchie. Des pays que nous jugeons démocratiques sont allés plus loin en mettant leurs citoyens sur écoute, en interceptant leurs messages et même en entrant dans leur intimité. Toutes ces mesures draconiennes préventives n’empêchent pas les attentats terroristes cependant. Dans un Mali ou le contrôle est totalement absent, le terrain est propice à toutes sortes d’attaques pour perturber la quiétude sociale ou déstabiliser le pays.  Des frontières poreuses, des personnes qui se déplacent à leur aise, des places publiques et édifices qui ne sont pas bouclés quand il le faut, des intégristes ou hommes politiques qui agissent sous une couverture démocratique dangereuse. Bref, nous ne récoltons que  ce que nous avons semé. Une bouche qui parle démocratiquement bien est une bouche sans blessures. Dans le cas du Mali actuel, nos dents sont cassées et nos mâchoires brisées. Si bien que nous connaissons  du mal à vivre ou à expliquer notre démocratie. Plutôt nous en avons conscience, mieux ce sera.

 

Sekou Kyassou Diallo.

 

Alma Ata, Kazakhstan.

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