Article 31 de l’avant-projet de loi de la constitution : L’Etat à l’épreuve de la gestion des langues

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S’il y a un article que l’opinion publique retient de l’avant-projet de loi de la nouvelle Constitution, c’est bien son article 31 portant sur la définition des fondements de la politique linguistique du Mali. S’il n’y a pas une définition de politique linguistique unanimement partagée par les linguistes, on s’accorde sur le fait qu’elle est une intervention de l’Etat afin de gérer les différentes langues parlées sur son territoire. Cette intervention consiste généralement à conférer aux langues des statuts (langues officielles, langues nationales…) et à réguler leur usage dans la vie publique (administration, éducation…)

La politique linguistique du Mali se résume actuellement à une bi-catégorisation des langues : langue officielle (français) et langues nationales (statut conféré à 13 langues parlées au Mali) selon l’article 25 de la Constitution de 1992. Et c’est la langue officielle, donc le français qui assume le rôle de la gestion des affaires de l’Etat et de l’éducation scolaire.

Dans un contexte politique marqué par la revendication de la souveraineté nationale, une partie de l’opinion s’attendait à ce que ces discours souverainistes assumés se traduisent dans la nouvelle politique linguistique. Il y a eu donc une déception après la présentation de l’avant-projet, puisqu’aucune révolution n’a été réalisée.

On se rappelle d’ailleurs la tentative hasardeuse de Me Konaré, sur la chaine Africable quand il expliquait que la matérialité des langues nationales constituait un frein à leur officialisation, ce qui démontre sa méconnaissance dans ce domaine car toutes les 13 langues nationales maliennes sont assez instrumentées. On a encore eu droit à une autre tentative hasardeuse récemment quand on nous dit que les langues nationales accèderont au statut de langues officielles mais pas à celles de langues de travail, ce qui, dans les faits, n’est qu’un jeu de mots (mais qui peut être dangereux).

Il y a un besoin avéré de spécialistes de politique linguistique dans la commission de rédaction et ce n’est pas ce qui manque au Mali : de l’Académie malienne des langues nationales (Amalan) à la direction nationale des langues nationales et de l’éducation non formelle (DNENF-LN), du ministère de l’Education nationale à la Faculté des lettres et des sciences du langues (FLSL), toutes ces structures regorgent d’éminents linguistes et spécialistes de politique linguistique.

Mais au-delà des ratés de cette commission, on regrette la prise en otage du débat sur la politique linguistique par deux franges de la population. D’une part, une frange identitaire et nationaliste, pour qui la question de l’officialisation des langues nationales se résume à la satisfaction des revendications identitaires et souverainistes. D’autre part, une frange mondialiste qui considère que l’utilisation des langues nationales comme langues de travail nous retarderait dans la course à la mondialisation.

En essayant de dépasser ces deux extrémités, on peut aborder le débat de manière résolument dépassionnée. La question linguistique et plus particulièrement celle de la prise en compte des langues nationales est un enjeu démocratique. On peut d’ailleurs dire que la vitalité et la viabilité de notre modèle démocratique repose sur une prise en compte des langues maliennes. En effet, selon le rapport de l’Observatoire de la Francophonie, seulement 17 % des Maliens sont francophones.

La question qu’il convient de poser est de savoir comment avec un pourcentage aussi faible de francophones, on peut faire du français la seule langue de la gestion des affaires de l’Etat et de l’éducation scolaire ? Quand le président de la République fait son discours en français, parle-t-il à tous les Maliens ou seulement aux 17 % des francophones ? Quand l’assemblée nationale tient ses sessions en français, nos élus souhaitent-ils être compris par l’ensemble des Maliens ou seulement aux francophones ?

En réalité, le choix du français comme seule langue officielle et/ou de travail dans la gestion des affaires de l’Etat est une manière d’exclure de la gestion des affaires de l’Etat l’écrasante majorité des Maliens qui ne sont pas francophones. Le message envoyé aux non francophones est clair : puisque vous ne pouvez ni parler ni écrire français, vous n’êtes pas concernés par la gestion des affaires de l’Etat.

Il y a donc une inégalité entre les citoyens sur la base de leur compétence en français. Le phénomène est si ancré dans nos mentalités que l’on a tendance à mesurer le niveau d’instruction/d’éducation d’une personne à ses compétences en français (celui qui parle bien français est bien instruit, est un intellectuel). Nous ne pouvons pas espérer parvenir à un développement socioéconomique inclusif en excluant l’essentiel de nos compatriotes.

L’on sait aussi la résistance de l’élite sociopolitique au changement car le statu quo les arrange. Qu’est-ce qu’il y a de plus facile que de gérer un pays dans une langue ignorée par l’essentiel de la population ? Il suffit d’articuler quelques gros mots et de juxtaposer quelques belles phrases pour tromper la vigilance de la population. C’est la recette miracle pour manipuler. Certains trouvent d’ailleurs que la situation est irréversible et que l’on ne peut procéder autrement, par ignorance ou par mauvaise foi.

Mais on oublie que cette situation est une perpétuation de l’entreprise coloniale qui consiste à rendre les gens étrangers dans leur propre pays. Il est donc grand temps de corriger cette injustice en hissant au statut de langues officielles et de langues de travail les langues maliennes afin d’inclure tous les Maliens dans la gestion de la chose publique. Nous devons ainsi mettre en place une politique linguistique qui reflète le multilinguisme géographique et le plurilinguisme social du Mali.

 

Coulibaly Laurent

Doctorant en sciences du langage

Université Rennes 2

 

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