Pendant plusieurs mois, (nous avons assisté) à plusieurs manifestations regroupant de nombreuses composantes des populations Maliennes, à Bamako comme dans d’autres villes, à l’intérieur et au sein de la Diaspora. Leur objectif commun était d’obtenir la fin d’une gouvernance caractérisée, notamment, par une dégradation continue de la situation politique, sécuritaire et socio-économique du pays, sous les coups répétés de la corruption, du népotisme, du gaspillage des maigres ressources financières de la nation, de l’inaction et de l’absence de vision des principaux responsables. Les critiques des manifestants portaient également sur la négligence des secteurs prioritaires de l’éducation et de la santé ainsi que la faiblesse des réactions face à l’ennemi terroriste et la non-transparence de nombreuses décisions.
Des manquements de tous ordres ont provoqué, à la fois le découragement des acteurs publics et privés qui cherchaient, malgré tout, à remplir leur rôle. Ils ont aussi entrainé une perte de confiance généralisée de toutes les forces vives de la nation vis-à-vis des plus hauts responsables de l’État et de toute la classe politique. Les dénonciations récentes de ces déviances par des institutions internationales ont encore amplifié les doléances.
L’ampleur exceptionnelle des revendications, l’union de Maliennes et de Maliens de tous horizons culturels, politiques et religieux autour de celles-ci ont témoigné de la profondeur de la crise et de la nécessité d’y apporter une réponse. Elle n’est hélas pas venue et le refus du pouvoir d’accepter des réformes de fond s’est heurté à la détermination des opposants. La prolongation de cette situation, les risques élevés de nouvelles surenchères à court terme dans l’affrontement rendaient impossible le règlement de ce conflit dans le respect des dispositions constitutionnelles, comme l’exigeaient les Autorités de l’espace régional et les principaux partenaires du Mali.
Dans ce contexte, les évènements du 18 août 2020, notamment marqués par la dissolution du Gouvernement et de l’Assemblée Nationale, par la démission du Président de la République, par la mise en place, par l’armée, d’un Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) qui a annoncé une transition politique civile, peuvent constituer l’orée d’une nouvelle ère pour le Mali.
En effet, l’intervention militaire du 18 août, même sortant du cadre constitutionnel en vigueur, représente sans doute aux yeux d’une très large majorité de la population malienne une chance de remettre au centre du débat les réformes indispensables sans lesquelles le pays risque de basculer durablement dans un précipice. Cela semble également bien compris et soutenu par une grande partie des populations de l’Afrique l’Ouest.
Face à un régime drapé dans sa légitimité mais sourd aux changements urgents à accomplir et aux pratiques à abolir, face à une opposition basée sur des constats de défaillances incontestables mais arcboutée jusqu’ici dans des demandes politiques ponctuelles, le « coup de grâce » militaire, épilogue de la longue et héroïque lutte des forces vives de la nation, pourrait rassembler la nation pour permettre de revenir aux préoccupations essentielles, dont les dispositions constitutionnelles ne sont finalement que la traduction choisie par la Nation pour assurer leur concrétisation.
Au plan national, les premières décisions -absence de violence, condamnation des pillages, appel à la reprise des activités dans l’Administration et dans les entreprises publiques et privées – sont un premier indice positif.
Le lancement immédiat du processus de reconstruction politique, à laquelle toutes les composantes de l’échiquier politique et social sont conviées, en est un autre.
Au plan international, le respect des accords internationaux passés, le souhait de coopération avec les institutions régionales et internationales, la poursuite du partenariat avec toutes les forces armées appuyant le Mali constitue aussi un troisième indice positif.
Il faut espérer que ces bons points de départ et l’a priori bienveillant que de nombreux Maliens accordent au CNSP conduiront tous les partenaires étrangers à lui accorder un délai raisonnable pour faire la preuve de ses bonnes intentions. Mais les défis qui attendent cette nouvelle équipe sont multiples. Il leur faut, en effet, éviter en même temps, les pièges de la flatterie, qui les rendraient vite dépendants des habituels corrupteurs, du populisme, qui conduirait à donner la priorité à la vengeance sur la reconstruction, et de la démagogie, qui consisterait à promettre l’Éden quand les caisses sont vides. Leur audace à venir devra consister à agir sans relâche, mais après avoir beaucoup écouté et longuement observé. Les engagements initiaux du CNSP et son annonce d’une unité de l’armée derrière ces orientations laissent espérer que les dirigeants de ce Comité ont conscience de leurs responsabilités et de leurs devoirs, et qu’ils méritent d’être observés et aidés si ces engagements sont tenus. S’ils restent fidèles à ceux-ci, alors le Mali tout entier pourra retrouver le chemin de l’espérance et l’envie du combat pour son développement.
Dans la période qui s’engage, deux chantiers majeurs s’imposent, avec la même urgence. Chacun d’eux a des composantes multiples qui ne peuvent être déjà recensés en détail, mais leurs grandes lignes peuvent être tracées.
@Le premier chantier est celui des actions à mener immédiatement par une équipe gouvernementale de transition et dont on peut citer au moins quatre éléments :
1-D’abord le renforcement de la lutte antiterroriste. Il revient à l’armée, qui a souvent été dénoncée comme un des points faibles du Mali face à des ennemis aguerris, de démontrer que ses troupes et ses officiers sont en mesure de trouver en eux-mêmes les ressources morales, techniques et matérielles pour reprendre l’avantage. Ce combat doit être mené en parfaite intégration avec les actions des forces amies et être très vite accompagné d’un retour de l’Administration dans les territoires reconquis. Il ne doit être caché à personne que la lutte sera longue et difficile. Mais c’est le terrain privilégié sur lequel le Mali et son armée peuvent montrer un nouveau visage, reconquérir la confiance indispensable des populations et des partenaires.
2-Le deuxième élément concerne l’arrêt nécessaire de l’hémorragie financière qui saigne le pays sous l’effet d’une corruption qui a emprunté tous les chemins imaginables et frappe la plupart des secteurs, et notamment les plus névralgiques. Il s’agit d’abord de récupérer, chaque fois que possible, les sommes détournées aux dépens de l’État ou des entreprises publiques : dans beaucoup de cas, les dossiers sont identifiés et les responsables connus. Il s’agit aussi d’empêcher la reproduction de telles gabegies : ici encore, les textes, procédures et contrôles adéquats existent souvent et permettront des améliorations rapides et notables s’ils sont tout simplement appliqués. Les notions de moralité, de service public, d’exemplarité, de mérite sont désormais celles qui doivent être mises en avant dans le choix des hommes et dans les actes posés. Elles s’appliqueront à tous, dirigeants comme citoyens, et exprimeront la fin de l’impunité pour ceux qui se sont mis hors la loi. Il s’agira moins d’une chasse aux sorcières, peu conforme aux traditions nationales, que d’un changement profond de mentalité qui aura besoin du support de toutes les énergies.
3-Le troisième élément pourrait être celui d’une rentrée scolaire réussie. Depuis des décennies, le secteur de l’éducation vit une lente descente aux enfers, ôtant à notre jeunesse, fer de lance de la contestation populaire, le goût de l’effort et d’une saine émulation en la plongeant dans le renoncement, voire le désespoir ou la criminalité. Enseignants, parents, élèves et étudiants, mais aussi entreprises et partenaires s’associeront sans doute et avec enthousiasme à tous les efforts qui seront accomplis par l’État pour que l’année scolaire et universitaire à venir s’engage et se déroule dans un esprit de mobilisation générale qui serait le premier signe de la refondation du Mali.
4-Compte tenu de la centralité du Mali dans l’espace de la CEDEAO, avec 5 pays frontaliers au sein de la Communauté, en plus de deux autres frontières non communautaires, le quatrième et dernier élément serait de rassurer l’environnement régional sur les intentions de l’équipe de transition, déjouant ainsi toutes les tentatives de déstabilisation.
@Le deuxième chantier est celui qui, à court terme, conduira au retour du Mali dans une « normalité » économique, sociale et politique. Ici encore, les enjeux sont multiples et certains sont encore à définir. Trois d’entre eux apparaissent toutefois prioritaires.
1-L’un est économique et financier. Les années récentes ont été marquées, en particulier sur ce plan, par l’absence d’une stratégie de développement à moyen terme soigneusement conçue, justifiée et expliquée à la nation, par l’inexistence d’une programmation cohérente des investissements et actions propres à atteindre les objectifs retenus, par le non-respect des calendriers et des coûts des actions annoncées, par une opacité croissante des comptes publics. Cette déliquescence tous azimuts traduisait la déconnexion totale entre les intérêts des dirigeants et ceux de la nation et de sa population. Le pays doit très vite reprendre possession de son destin en tous ces domaines en prenant le contrepied des pratiques anciennes. Les compétences existent pour appuyer les organes de la transition et aider l’administration à mettre en place un « programme d’urgence » à cet effet. Celui-ci devrait logiquement bénéficier du soutien des Partenaires Techniques et Financiers, qui connaissent bien la situation délabrée du pays et ceux qui en portent la responsabilité.
Ce programme serait ensuite relayé par un autre plus ambitieux et de moyen terme, qui sera adopté par les futures Autorités constitutionnelles du pays.
2-Le deuxième enjeu concerne à la fois l’économie et la société et pourrait être focalisé sur la décentralisation. Le Mali est composé d’une mosaïque d’ethnies : toutes sont fermement attachées à leur identité mais du fait de leur proximité culturelle, leur coexistence pacifique est une tradition séculaire et une particularité forte du Mali. Cette diversité n’empêche pas non plus le fort sentiment d’une nation Malienne, qui est ancré dans tous les esprits et a résisté à bien des orages. Cette dualité doit être mieux prise en compte par une meilleure représentativité des diverses Autorités de chaque région et l’octroi à celles-ci de plus grands pouvoirs. Il en résultera de nombreux avantages : décisions plus rapides et tenant mieux compte des besoins locaux, plus grand épanouissement des citoyens, opportunités accrues de revitalisation des territoires, intensification des équipements publics dans les régions, ralentissement possible de l’exode rural et de l’émigration, surtout des jeunes. Les exigences pour un succès de cette stratégie sont lourdes et connues ; attribution aux Responsables locaux de moyens financiers en harmonie avec leurs nouvelles missions, contrôle adéquat des décisions prises, absence de remise en cause locale des orientations nationales sur les questions régaliennes. La particularité de notre situation donne une occasion exceptionnelle de réaliser d’importants progrès, avec audace mais fermeté, sur ce thème majeur.
3-Enfin, le troisième enjeu, le plus important et le plus délicat, est politique et a trait au retour, dans les meilleurs délais, à un système démocratique performant, ancré dans les valeurs Maliennes, espéré par tous. Car, pour ne pas retomber dans les crises régulièrement subies par le Mali, il est requis de transformer profondément le fonctionnement des institutions, le mode d’accès de ceux qui les dirigeront et les conditions posées pour cet accès. La démocratie ne peut être viable avec plus d’une centaine de partis, dont les plus petits ne sont que virtuels et les plus grands souvent dénués de programme économique et social et essentiellement rattachés à une personnalité. La démocratie ne peut être performante si des conditions plus contraignantes, surtout relatives à la qualité des candidats, ne sont pas posées lors de toute élection. La démocratie ne peut être représentative si chaque élection réunit beaucoup moins de votants que la moitié des électeurs inscrits. La démocratie ne peut être crédible si les citoyens ne sont pas capables de discerner les fausses promesses des objectifs réalistes, soit par manque de compréhension soit parce qu’ils ne se sentent pas concernés. La démocratie ne peut être honorable si des sanctions ne menacent pas ceux qui ne respecteraient pas les règles du jeu, surtout s’ils les ont eux-mêmes posées, et si chacun peut constater l’impunité des fautifs. La démocratie ne peut être inclusive si elle ne réussit pas, d’une manière encore à inventer, à associer les populations, surtout les jeunes et les femmes, de tous les horizons géographiques, ethniques, religieux, sociaux à la désignation des représentants du pays. Enfin, la démocratie ne peut être honnête si elle ne tient pas compte des possibilités financières du pays en ne gonflant pas à l’excès le nombre et l’effectif des institutions. Si l’on veut faire oeuvre utile et durable pour l’avenir, la mise en oeuvre de ce très ambitieux projet s’impose et il pourrait conduire à une nouvelle Constitution et donc à une quatrième République. Il doit être mené par une équipe de transition, désignée très vite selon une « Charte de la Transition », qui aura à s’effacer lors des élections à venir. Cette équipe devra agir avec rapidité mais sans précipitation (pourquoi ne pas investir le nouveau Président le 4 septembre 2023 ?), et faire preuve, à tout moment d’exemplarité, de probité, d’indépendance d’esprit mais aussi d’imagination et de réalisme.
Comme on le voit, le CNSP, s’il veut répondre aux demandes du peuple Malien, ne dispose pas d’un blanc-seing. Les challenges qu’il doit relever sont redoutables et la surveillance des citoyens sera désormais permanente. Mais les censeurs qui ramènent encore aujourd’hui la crise malienne à une simple question d’inconstitutionnalité de notre situation et refusent l’évidence, doivent avoir l’intelligence, et l’honnêteté, d’admettre qu’ils se trompent. En laissant le Mali s’efforcer d’apporter lui-même les réponses aux difficultés qu’il subit depuis trop longtemps, ils apporteront sans doute un plus grand service aux communautés qu’ils représentent. Les Maliens ont montré en d’autres occasions qu’ils étaient prêts à aller jusqu’au sacrifice ultime pour une cause qui leur paraissait juste. C’est bien cette ferveur qui les anime aujourd’hui.
ONT SIGNE CET APPEL
Mossadeck Bally, Moussa Bagayoko, Mariam Coulibaly N’Diaye, Arwata Ben Baba, Jamila Ben Baba, Paul Derreumaux, Ramatoulaye Traoré Derreumaux, Mohamed Bassirou Diop, Cheickna Dibo, Ibrahim Sory Makanguilé, Habib Ouane, Fatoumata Keita Ouane, Makhan Dado Sarr, Mamadou Sidibé, Aminata Diobaye Sidibé, Birama Sidibé, Youba Sokona, Khanata Traoré Sokona, Amadou Sidiki Sow, Sadio Lamine Sow, Moustapha Soumaré, Ousmane Sy, Ousmane Thiam, Aya Diallo Thiam, Moctar Touré, Lalla Badji Haïdara Touré, Hamadoun Touré.