Par: John Njiraini
Ce sentiment de confiance était évident lorsque les dirigeants africains se sont réunis à Washington pour le Sommet États-Unis/Afrique en août 2014. Le président kényan Uhuru Kenyatta, se faisant le porte-parole des 50 dirigeants africains, a fait la démonstration de la nouvelle donne en déclarant : « il est bon de constater que les États-Unis prennent conscience du potentiel réel de l’Afrique tout comme l’a fait la Chine il y a longtemps. »
Contrairement au passé où un tel sommet aurait été l’occasion de faire la leçon à l’Afrique sur la démocratie et les droits de l’homme, l’attention cette fois-ci s’est tournée vers les possibilités de partenariats mutuels, d’accords, d’échanges commerciaux et d’investissements. « Nous voulons établir de véritables partenariats qui permettent la création d’emplois et d’opportunités pour tous les peuples et qui ouvrent une nouvelle ère de croissance pour l’Afrique », a déclaré le Président Obama.
Pour les États-Unis, l’instauration de «vrais partenariats» avec l’Afrique arrive plutôt tardivement. En effet, d’après les analystes, les États-Unis cherchent à présent à rattraper au plus vite ceux qui exploitent déjà le potentiel économique de l’Afrique. Alors que la Chine s’est profondément ancrée sur le continent, que l’Europe essaye d’y protéger ses intérêts, que l’Inde et le Japon y réalisent d’importantes incursions, les États-Unis risquent de rester en marge sur un continent destiné à devenir l’un des leaders de la croissance économique mondiale dans les années à venir. L’Afrique concentre déjà sur son territoire la plupart des économies à forte croissance, avec des taux de croissance sur le continent avoisinant en moyenne les 5% par an.
« L’Afrique offre d’immenses opportunités en termes de ressources naturelles, de nouvelles technologies, d’investissements, d’accès à des marchés potentiels et de nouveaux types de consommateurs. Bien que les États-Unis aient été relativement lents à réagir face à ces dynamiques, la tenue du sommet signifie qu’ils ne peuvent plus demeurer à l’écart, » estime Emmanuel Nnadozie, le Secrétaire exécutif de la Fondation pour le renforcement des capacités en Afrique basée à Harare au Zimbabwe.
Les États-Unis cherchent à développer leurs intérêts en Afrique en encourageant notamment leurs entreprises multimilliardaires à investir sur le continent. Au cours du sommet, de nouveaux accords d’une valeur de 14 milliards de dollars ont été signés entre différents pays africains et des multinationales américaines dans les secteurs des énergies propres, de l’aviation, de la banque et du bâtiment notamment. Le gouvernement américain s’est aussi engagé à fournir 7 milliards de dollars de nouveaux financements pour promouvoir le commerce et les investissements sur le continent.
Adhérer à l’AGOA
Les accords américains ne sont toutefois pas un motif de réjouissance pour un continent à la recherche d’impacts immédiats sur les créations d’emplois et l’éradication de la pauvreté ainsi que de marchés pour ses produits et d’une contribution directe à l’économie. En effet, il faudra des années pour que les avantages de ces accords puissent être ressentis. Compte tenu de ceci, certains dirigeants africains soutiennent que l’AGOA (loi sur la croissance et les possibilités économiques de l’Afrique – une loi américaine entrée en vigueur en 2000 et en vertu de laquelle les pays africains peuvent exporter certains produits vers les États-Unis en franchise de droits) est la meilleure option pour accroître les échanges commerciaux entre le continent et les États-Unis. Le problème toutefois est que l’Afrique n’apprécie pas les incertitudes du traité et ses limitations. « Nous voulons accroître nos engagements dans le cadre de l’AGOA mais ceci ne peut se réaliser que si nous éliminons les incertitudes et si le traité est élargi», fait observer le Secrétaire de cabinet à l’industrialisation du Kenya, Adan Mohammed.
La nécessité d’éliminer les incertitudes et d’améliorer le traité constitue l’une des principales demandes formulées par les dirigeants africains lors du sommet. Bien que l’AGOA ait été qualifiée de pierre angulaire de la politique commerciale des États-Unis en Afrique depuis son entrée en vigueur – faisant passer les exportations non pétrolières de l’Afrique de 8,1 milliards de dollars à 53,8 milliards de dollars en 10 ans – son impact et ses bénéfices sont encore minimes. Outre le pétrole, les textiles, les produits manufacturés et les artéfacts, très peu d’autres secteurs ont tiré profit du traité qui permet à quelque 6 000 produits d’être vendus sur le marché américain sans
taxe à l’importation.
Pire encore, seule une poignée de pays dominent les échanges dans le cadre de l’AGOA. En 2011 par exemple, les exportations africaines vers les États-Unis atteignaient 79 milliards de dollars. Mais près de 80% d’entre elles provenaient de seulement trois pays – le Nigéria (47%), l’Angola (19%) et l’Afrique du Sud (13%). Les exportations américaines étaient concentrées de la même façon, ces trois mêmes pays recevant 68% des 20,3 milliards de dollars d’exportations vers le continent la même année. « L’utilisation des avantages nés de l’AGOA n’a pas été optimisée, car seuls sept pays africains sur 39 peuvent profiter des opportunités que crée le traité de façon significative”, note Erastus Mwencha, Vice-Président de la Commission de l’Union africaine.
Le représentant au commerce américain Michael Froman a reconnu que ces contradictions ne reflètent pas suffisamment l’engagement des États-Unis envers un partenariat commercial avec l’Afrique. « En dépit des avantages concrets que l’AGOA a apportés à nos deux continents, il est clair qu’il reste encore beaucoup à faire », a noté M. Froman. Par exemple, l’accroissement marginal du commerce des produits non pétroliers qui est passé, dans le cadre de l’AGOA, de 1,4 milliard en 2001 à 5 milliards de dollars en 2013, justifie la nécessité de procéder à des ajustements structurels du traité. « Alors que certains pays commencent à étendre leurs activités et à utiliser l’AGOA pour davantage de produits, il est encore possible d’accorder plus de place aux produits non pétroliers, manufacturés et à valeur ajoutée ».
Pour que ceci se produise, le Président Barack Obama et le Congrès américain doivent être prêts à prendre le taureau par les cornes. Tout d’abord, le gouvernement américain n’a guère d’autre choix que de reconduire l’AGOA lorsqu’il expirera en septembre 2015. Plus important encore, les dirigeants africains préconisent son élargissement à long terme afin d’éliminer les incertitudes qui obscurcissent le traité. Ils soutiennent que, ce n’est que si le traité est prorogé d’au moins 15 ans, que les investisseurs ne seront plus réticents à investir sur le continent parce qu’ils auront tout le temps de récupérer leurs investissements.
Le dilemme de l’AGOA
Selon Heman Boodia, le vice-président de New Wide Garments Ethiopia, le renouvellement automatique de l’AGOA pour cinq ans seulement empêche pratiquement les investisseurs de planifier à long terme. « Il faut au moins deux ans aux investisseurs dans l’industrie textile pour obtenir des gains. C’est pourquoi nous avons besoin que l’AGOA soit reconduit pour au moins 15 ans », estime-t-il, ajoutant que si le Congrès n’y parvient pas, les conséquences pour le continent pourraient être catastrophiques en termes de pertes d’emplois. New Wide, qui a des activités au Lesotho et au Kenya, emploie environ 13 000 personnes.
En 2012, le secteur de l’habillement représentait 17% des exportations non pétrolières dans le cadre de l’AGOA. C’est aussi le secteur le plus diversifié par rapport au nombre de pays bénéficiaires du traité. Rien qu’au Kenya, l’industrie du vêtement au sein des zones franches d’exportation emploie environ 40 000 personnes.
Certes, une extension du traité protégera ces emplois et en créera bien d’autres. Mais sur le continent, beaucoup jugent que l’AGOA nécessite de plus larges modifications afin que le marché américain s’ouvre à plus d’exportations de produits non pétroliers ou non vestimentaires.
S’il est un secteur qui a désespérément besoin d’accéder à de nouveaux marchés, c’est bien le secteur de l’alimentation et de l’agriculture. Mais accéder au marché américain dans le cadre de l’AGOA est extrêmement difficile. Outre la question des normes sanitaires, les États-Unis sont déterminés à protéger leurs fermiers par des subventions. Actuellement, la valeur des exportations de produits agricoles vers les États-Unis atteint 520,8 millions de dollars. Selon M. Mwencha, les États-Unis peuvent aider le secteur agricole africain en autorisant l’accès en franchise de droits aux produits actuellement exclus de l’AGOA, tels que le sucre, le tabac et le coton.