Abdou Traoré dit Diop : «Comment meurt l’autre moitié du Mali »

3

« Le Professeur Diop, ancien député et grand catalyseur du contre-pouvoir citoyen est tout autant la boite noire d’un passé pas si lointain que la sonnette d’alarme face aux dérives du projet démocratique » (Adam THIAM, Préface)

Abdoul Traoré dit Diop

Le violon d’Ingres, selon le Larousse, est « le talent qu’une personne cultive pour son plaisir en marge de son activité principale »

Oui, certes, mais le « Boris Vian malien », professeur agrégé de médecine, chirurgien au bistouri fin,     intellectuel surdoué, marionnettiste passionné, écrivain visionnaire, polémiste illustre, constitutionnaliste émérite, militant chevronné depuis le PMT clandestin, membre de la coopérative Jamana, rédacteur occasionnel au journal « les Echos », guitariste sifflotant tous les airs de notre pays et d’ailleurs, scénariste de films (n’en jetez plus !), présentait aussi de grandes qualités de finesse politique, si bien qu’il se renouvelait constamment dans plusieurs spécialités, et ce livre est une source inépuisable d’idées rafraichissantes pour l’action, une table de multiplication de découvertes rayonnantes et d’enchantement.

A travers quatorze essais et épitres, ce sont des tableaux peints avec exactitude et sérieux qu’il présente, où figurent à la fois les personnages du Mali d’après Mars 1991, des scènes de la vie quotidienne, des silhouettes de tous les régimes qui ne changent pas d’une période à l’autre, et qui représentent la politique et la littérature dans un but normatif.

Chaque sujet est traité avec originalité, mais trois thèmes semblent définir trois groupes de cet ensemble : réalité sociale décrite comme dans un miroir, réalité dramatique donc ; réalité psychosociologique, engendrant des manies ou des illusions personnelles ; l’engagement littéraire (à travers le Professeur Adame Ba Konaré), l’imbrication de l’individu dans la communauté dont il fait partie, soit pour un progrès du groupe, soit pour une régression.

L’agencement est ascendant ; les talents de l’essayiste se développent, ses ressources historiques et philosophiques augmentent, sa plume devient plus riche, son assurance plus grande.

L’auteur se révolte devant le recours du pays et des citoyens à la charité, et certains essais ont la résonnance du glas : «  Malgré les terribles épreuves que nous vivons, notre parti (l’ADEMA) dispose encore d ‘un personnel politique qui compte et d’un background consistant autorisant une refondation salvatrice qui s’édifiera essentiellement sur une reconquête identitaire. » ; «  Tout montre qu’après 50 ans d’’indépendance, l’autre moitié du mali se meurt, et la simple décence interdit à celle qui vit encore de danser sur le corps de la moribonde » ; « le Nord-Mali, c’est connu, est devenu une passoire ou les avions décollent et atterrissent à l’avenant, ou la drogue circule à foison, ou les aventuriers de tout bord viennent écluser tranquillement leur thé sur le sable quand ils sont traqués ailleurs et négocier les termes des accords avec les ayants-droit de leurs victimes. C’est bien notre pays qui constitue le point de faiblesse indiscutable de ce vaste ensemble. Et pourtant, que d’hommes en uniforme avons-nous ! Mais ceux parmi eux qui sont prêts à mourir tout de suite pour que les autres vivent ne sont pas majoritaires, tant on a favorisé le clientélisme dans le recrutement. La question du Nord est celle dont la résolution conditionne, plus que tout autre paramètre, la survie du Mali en tant que Nation dans sa configuration actuelle. C’est  pour avoir mal intégré cette donnée géopolitique essentielle que le pays est en train de perdre le pari de la défense et de l’intégrité du territoire et de la sécurité. Un autre gâchis que nous mettrons du temps à réparer. Bonne fête du cinquantenaire, quand même ! ; « Rappelez-vous des propos du général Eisenhower quand il découvrit les camps de la mort en Europe : « Que tout soit noté ; obtenez les films, trouvez les témoins, parce qu’au cours de l’Histoire, il se trouvera un enfant de salaud qui se lèvera et proclamera que cela n’a jamais existé ! » ; « Le nouveau Code de la famille fait largement débat. Il fallait s’y attendre. Se contenter de la situation de rente (au demeurant scandaleuse) qu’offrent les officines politiques et fonctionnariser le statut de l’homme politique (qui devrait avant tout être un militant) ne peuvent qu’aboutir à des désastres » ; «  le contrat social est faux car les leaders politiques de ce pays, à quelques exceptions près, on eu essentiellement comme préoccupation non pas la refondation d’une nation sur les valeurs qui avaient permis son émergence il ya quelques siècles, ni même sur les valeurs universelles qui autorisent le progrès, mais la parodie d’une renaissance faussement drapée dans les accoutrements d’institutions de vitrine qui n’ont même pas la capacité d’assurer la viabilité d’un ensemble géopolitique moderne. Ce qui a permis toutes les dérives actuelles (corruption, gabegie, concussion, clientélisme, etc.) qui ont mené ce pays à la faillite : « La puanteur, c’est la puanteur » ; « Alors pourquoi Kankou Moussa a-t-il vidé les caisses de l’Empire du Mali pour aller les dissiper dans les pays qui étaient mieux nantis ? Ce désir morbide de paraître, c’est que j’appelle le complexe de Kankou Moussa » ; « les péchés capitaux du CARI : le comité a même trouvé très important de s’appesantir sur la coiffure du Président de la République le jour de sa prestation de serment » ; « Patriotes Guinéens, n’attendez plus rien de Lansana Conté » ; « Moussa Dadis Camara et ses copains n’ont pas plus de légitimité que vous ; ce n’était qu’une bande de joyeux coquins qui s’est muée en une bande de dangereux criminels que d’aucuns se complaisent pourtant à revêtir du manteau de l’honorabilité d’une institution républicaine » ; « N’attendez pas tout de cette communauté internationale. Son appui est certes déterminant, mais elle ne peut donner que ce qu’elle a. Et puis, les Malinkés ne disent il pas qu’on ne peut raser une tête en l’absence de son propriétaire ? Alors, qu’attendez-vous pour installer vos propres institutions ? Que l’Hydre reconstitue son énième tête ? » ; « Les partis politiques croient tenir le bon bout, le pactole, alors qu’en fait ils ne tiennent que des miettes, l’essentiel étant dans les mains de quelques-uns de leurs barons défroqués dont le contrôle leur a échappé depuis belle lurette et qui ne sont aujourd’hui que de pâles fondées de pouvoir des indépendants du Mouvement Citoyen du Général ATT. » .

Ce florilège traduit un anticonformisme savoureux, une critique sociale marxiste intransigeante et bien ajustée, une série d’éreintements mais aussi de caricatures, par lesquels il a voulu s’affranchir d’un entourage par trop complaisant, sinon complice et qui, à l’époque où il les formulait, témoignent d’un véritable courage, d’un superbe détachement et d’une obstination non feinte dans le combat pour la démocratie et la justice (A.D.J).

Timide, sensible, délicat et simple, il aime (aimait) la vie telle qu’il la connait, les secrets des diables ; il n’éprouve pas de grands besoins ; il est heureux avec ses marionnettes aux festivals de Markala. A l’Assemblée Nationale, ou au F.D.R originel (au siège du PARENA), il répandait inconsciemment, à travers sa personnalité sereine, le bonheur, l’humour et la contradiction.

Son immense activité humaine est d’un type ancien, bien entendu, mais son but d’épanouissement a été atteint. Faut-il souhaiter d’avantage ?

Chaque jour indigné, cet émule de Stephane HESSEL vous citait tout à trac la devise du Parti Communiste Hongrois «  Partout où il ya plus fort, toujours du côté du plus faible » et, dans la foulée, Montesquieu «  Si à l’intérieur d’un Etat vous n’entendez le bruit d’aucun conflit, vous  pouvez être sûr que la liberté n’y est pas »

Il citait tout aussi bien le Professeur Dialla Konaté : « La différence entre votre passé et votre futur, c’est ce que vous être en train de réaliser maintenant » tout comme Soumana Sacko, Aimé Césaire, Newton, Jésus-Christ, Bouddha, et, avec sa lucidité compendieuse, explorait les terres des écologistes, sans oublier les coutumes, les légendes, les fêtes, les deuils du crû.

Le Professeur Diop et ce livret, c’est l’art d’exprimer,  à un moment particulier de notre histoire, les idées permises avec les mots interdits.

(Editions L’HARMATTAN/La Sahélienne/50voix/2011,80 pages)

(En vente à la Sahélienne, l’Harmattan, Librairie bah, 4500 FCFA.)

                                                        lawyergakou@yahoo.fr

Commentaires via Facebook :

3 COMMENTAIRES

  1. Homme de science, de culture et de lettres, mais également homme politique parce que c’est ce dernier aspect qui t’a fortement révélé au public malien; Sinon les qualificatifs nous manquent pour dire à la postérité ce que tu as été réellement, particulièrement pour nous qui t’avons approché ne ce reste qu’une courte de notre vie estudiantine afin de bénéficier d’une infime partie de votre savoir.

    Tu nous as appris autant le savoir que le savoir-faire, mais surtout tu as été, sans le vouloir peut-être, un modèle pour nous permettre de forger un savoir-être. Et je m’en voudrais si je ne rappelle pas que tu m’as transmis le goût de l’écriture même si les tentatives restent encore des balbutiements.

    Ta bonne humeur manquera aux salles d’opération de l’Hôpital du Point G où tu as donné le meilleur de toi-même autant pour les malades que les étudiants mais aussi le personnel des différents pavillons de Chirurgie.

    Ne t’en fais surtout pas, nous veillerons à ce que les différentes flammes que tu as allumées ne puisse s’éteindre. Il y a de quoi tenir le flambeau car tu as pensé à former de la ressource humaine de qualité autant pour la science, la médecine, la chirurgie, l’écriture, la politique, j’en oublie forcement.

    Dors en paix, mon ami, mon maitre et ma référence.

    Amen !!

Comments are closed.