Ni l’Accord-cadre, ni l’éthique politique, ni la jurisprudence malienne et sous-régionale n’autorisent le président de la transition et le premier ministre « de pleins pouvoirs » à se présenter à la prochaine élection présidentielle de 2013.
De plus en plus, la question de la possibilité juridique pour le Président de la Gouvernance transitoire du Mali ainsi que son Premier ministre « de pleins pouvoirs » de se présenter à l’élection Présidentielle du 1er trimestre 2013, taraude les esprits. Dans le cadre du combat contre l’indifférence des citoyens face à la chose publique «l’indifférence est une infirmité du cœur et de l’esprit », nous avons jugé opportun de donner notre opinion sur la question.
I) LES PREMISSES DE L’ANALYSE
Pour répondre à ce questionnement, nous fondons notre analyse sur les prémisses suivantes :
– L’accord- cadre est un traité en la forme simplifiée d’un rang supérieur à la Constitution du 25 février 1992 ; en faire une autre analyse reviendrait à concevoir la cohabitation antinomique d’une norme interne contraire à la norme suprême qu’est l’acte fondamental ;
-Dans la même logique, les différentes Résolutions de la CEDEAO appuyées par celles de la communauté internationale s’imposent à notre pays, en sa qualité d’Etat-partie de cette organisation sous-régionale ; peut-il en être autrement lorsque les différents acteurs de la scène politique malienne ont reconnu et accepté à l’unanimité l’Accord-cadre sus-invoqué ? On ne peut pas raisonnablement reconnaître l’autorité, la compétence d’attribution de la CEDEAO dans un accord – s’en prévaloir même en termes de privilèges -, et lui dénier, par la suite, toute compétence en rejetant ses résolutions subséquentes.
Avant d’en venir à l’examen de la possibilité pour le Premier ministre de « pleins pouvoirs » de se présenter aux futures élections présidentielles, il convient de faire une analyse succincte de l’accord-cadre CEDEAO/CNDRE du 06 avril 2012 prétendant consacrer le retour à l’ordre constitutionnel normal, et constituant une pièce essentielle dans la compréhension du cafouillage institutionnel actuel, s’il n’en est tout simplement pas la cause.
II) ANALYSE SUCCINCTE DE L’ACCORD-CADRE CEDEAO/CNDRE DU 06 avril 2012
L’accord susvisé est structuré en trois parties, avec comme objectif spécifique, voire exclusif, la remise en selle de la Constitution de février 1992 ; ainsi son premier chapitre (art. 1 à 4) met en œuvre le régime de l’intérim (par le Président de l’Assemblée nationale pendant 40 jours ferme) ; le deuxième chapitre ouvre la période transitoire (art. 5 à 6 avec le constat évident de l’impossibilité d’organiser les élections, comme l’exige la Constitution, pendant le délai d’intérim) ; enfin, le troisième chapitre prévoit des mesures d’accompagnement facilitant le déroulement de la transition.
Cependant, force est de reconnaître que dans la mise en œuvre précipitée dudit accord, une confusion terrible et regrettable a été faite entre l’intérim – qui a été prorogé de 40 jours à un an par une résolution de la CEDEAO – et la transition dont les règles du jeu devraient être définies par le peuple malien (cf. Accord-cadre d- les parties signataires en concertation avec toutes les parties prenantes arrêtent une feuille de route pour la transition), à la faveur des concertations nationales toujours attendues.
En clair, l’accord-cadre a fait l’objet d’une double violation :
-L’accord ne prévoyait pas un Président pour la période transitoire, ou à tout le moins, laissait le choix de cette institution au peuple souverain du Mali ; il était plutôt question d’un Premier Ministre de transition, Chef du gouvernement, disposant des pleins pouvoirs et ayant pour mission de conduire la transition, de gérer la crise dans le Nord du Mali et d’organiser les élections libres, transparentes et démocratiques, conformément à une feuille de route ;
-L’accord ne prévoyait pas, non plus, la prorogation de la durée de l’intérim (de 40 jours à 1 an).
Néanmoins, la CEDEAO étant un sujet de droit international, à la différence de l’ex- CNDRE (situation de fait), était-elle habilitée à modifier un accord dont elle est signataire, au moyen de résolutions ?
Sur la foi de nos prémisses, nous ne pouvons que répondre par l’affirmative (les résolutions de la CEDEAO prises en vertu de sa compétence d’attribution s’imposent de plein droit aux Etats-parties) ; par voie de conséquence, l’accord-cadre devrait être modifié en ses dispositions relatives à l’institution d’un Premier ministre avec pleins pouvoirs, étant donné qu’un Président de la République (par intérim ou de la transition initialement non prévu ?) est institué ; malheureusement les parties prenantes ont laissé subsister cette zone d’ombre sans éclairage.
Toute la difficulté est donc venue de la cohabitation quasi-impossible entre un Président de la République et un Premier ministre de pleins pouvoirs, à moins que celui-là se contente des honneurs, et que celui-ci exerce la plénitude du pouvoir.
Après cet aperçu, nous examinons les arguments militant à l’encontre de la candidature du « Premier ministre de pleins pouvoirs ».
1) DE L’IMPOSSIBILITE DEDUITE DE L’ACCORD-CADRE CEDEAO/CNDRE
La cohabitation, entre le traité en la forme simplifiée (accord-cadre) et la constitution du 25 février 1992, fait prévaloir les dispositions de celle-ci sur l’acte fondamental.
En effet, ledit accord stipule en son article 6 que les parties signataires conviennent de mettre en place des organes de transition chargés de conduire le processus de transition jusqu’à l’organisation de l’élection présidentielle avec un fichier électoral dûment révisé et accepté de tous. Au nombre des organes de transition, figure en première place un Premier ministre, Chef du Gouvernement ; ce Premier ministre est investi des pleins pouvoirs.
Il lui est assigné deux missions spécifiques (exclusives) expressément énumérées, à savoir gérer la crise dans le Nord du Mali et organiser des élections libres, transparentes et démocratiques. En conséquence, il est aisé de comprendre qu’un tel Premier ministre, cheville ouvrière de l’organisation des élections – et garant de leur transparence – dont il est nécessairement juge et arbitre de la bonne tenue, ne pourrait se présenter aux mêmes élections, au risque de régner en juge et partie.
C’est du reste, afin de garantir son impartialité, son efficacité, son autorité qu’il est dit investi des « pleins pouvoirs », notion que nous avons élucidée en son temps.
2) DE L’IMPOSSIBILITE DEDUITE DE L’ETHIQUE POLITIQUE
Il serait politiquement incorrect qu’un Premier ministre, Chef d’un parti politique de surcroît, désigné dans le contexte de crise que nous connaissons, puisse prétendre participer à l’élection présidentielle dont il a en charge l’organisation.
Ainsi, le Premier ministre, disposant de l’influence certaine du pouvoir d’Etat, des moyens financiers de l’administration que la classe politique a accepté de lui laisser, ne devrait aucunement accepter, par éthique politique, de fausser les règles du jeu, en se lançant lui-même dans la course.
Est-il raisonnable, qu’un Premier ministre de transition – bénéficiant de la garantie de l’inamovibilité – puisse se présenter à l’élection Présidentielle au plus tard le trentième jour précédent le scrutin, et adresser sa candidature au Président de la Cour constitutionnelle qui en délivre récépissé (art. 146 Loi électorale) ?
Tout laisse croire que l’esprit de la Constitution incline à l’impossibilité pour un tel Premier ministre – contre la garantie de l’inamovibilité -, de se présenter à l’élection Présidentielle. Du reste, la déclaration du sommet sur la crise Malienne « OUAGA II » n’a-t-elle pas formellement posé le principe de l’interdiction aux différents acteurs de la transition (Président de la transition, Premier ministre et Ministres) de se présenter à l’élection présidentielle qu’ils ont la charge de préparer, parallèlement à la reconquête de l’intégrité territoriale du Mali ?
3) DE L’IMPOSSIBILITE DEDUITE DE LA JURISPRUDENCE MALIENNE ET SOUS-REGIONALE
Au-delà des conditions d’accessibilité, d’éligibilité, d’inéligibilité, à la fonction Présidentielle tirées du droit positif Malien (Constitution de 1992 et de la Loi électorale), l’accord-cadre devrait être complété par une feuille de route adoptée en concertation avec toutes les parties prenantes (art. 6, d-), laquelle arrêterait le délai et le chronogramme de la transition – en excluant certainement de façon formelle toute possibilité pour les acteurs de se présenter à la prochaine élection Présidentielle -, les tâches opérationnelles à accomplir par les différents organes de transition, les modalités d’organisation des élections et la révision du fichier électoral.
Dans l’attente de cette feuille de route, il convient de faire remarquer qu’en sciences juridiques, la loi (au sens large du terme) n’est pas la seule source du droit, du coup ses lacunes ou insuffisances, ses contrariétés et/ou son absence pourraient être comblées par les usages, les coutumes, les pratiques etc.
Mieux, en se référant à la jurisprudence du Mali et les précédents de gouvernance transitoire dans la sous-région, nous nous rendons à l’évidence que les acteurs de la transition (Président et Premier ministre) se sont toujours abstenus de se présenter à l’élection Présidentielle dont ils avaient l’organisation en charge ; en 1992 (Président Amadou T. TOURE et Premier ministre Soumana SACKO), au Niger (Président Saliou DJIBO et Premier ministre Mahamadou DANADA), en Guinée Conakry (Président Sékouba KONATE et Premier ministre Jean – Marie DORE) pour ne citer que ces exemples.
S’inspirant de ces exemples, le Président de la transition Malienne a annoncé la couleur en soutenant sans ambages, dans son adresse à la Nation du 29 juillet 2012 que ni lui-même, ni le Premier ministre, ni les membres du Gouvernement, ne pourraient être admis à se présenter à l’élection Présidentielle à venir ; il a été suivi en cela par le Ministre chargé de l’Administration territoriale (lors de sa rencontre avec les représentants des partis politiques).
Avons-nous encore besoin de cristalliser une telle jurisprudence constante lors des prochaines concertations nationales ?
Néanmoins, attention à l’ivresse du pouvoir !
Dieu bénisse le Mali
Par Aguibou BOUARE, Conseiller Juridique
Tél. 66 91 80 70