Léandre Sahiri: La CEDEAO à la croisée des chemins
Une organisation en décalage avec les aspirations des peuples d’Afrique de l’Ouest

À l’occasion du cinquantenaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), plusieurs analystes et intellectuels prennent la parole pour dresser le bilan de cette institution régionale.
Parmi eux, Léandre Sahiri, enseignant-chercheur ivoirien, psychocritique, écrivain et éditeur, Docteur ès Lettres de l’Université de la Sorbonne (Paris), livre une lecture critique sans détour. Selon lui, la CEDEAO n’a pas su s’adapter aux réalités contemporaines ni répondre aux attentes profondes des peuples ouest-africains.
Pour Léandre Sahiri, la CEDEAO a toujours fonctionné comme une structure intergouvernementale fermée, où les décisions sont prises par un cercle restreint de chefs d’État, sans consultation des populations. « Depuis 1975, cette organisation prétend œuvrer pour l’intégration régionale, mais les jeunes, les femmes, les travailleurs ou les agriculteurs n’y ont jamais vraiment eu voix au chapitre », estime-t-il.
Dans des pays comme le Togo, où la jeunesse constitue la majorité de la population, cet éloignement institutionnel est d’autant plus marquant. L’absence de programmes régionaux concrets pour l’emploi et la formation technique est un exemple flagrant de cette déconnexion, selon l’expert.
Entre 2020 et 2024, plusieurs pays membres – Mali, Burkina Faso, Guinée, Niger – ont connu des putschs militaires. Pour Sahiri, ces événements traduisent l’incapacité de la CEDEAO à prévenir les crises et à construire des mécanismes de stabilité politique. Pire, « les sanctions économiques infligées aux pays en transition ont souvent frappé les populations les plus vulnérables, sans affaiblir les régimes militaires », juge-t-il.
Dans le Sahel, en proie à l’insécurité djihadiste, l’organisation est restée quasi absente. Léandre Sahiri rappelle que le G5 Sahel, pourtant en difficulté, a parfois été plus engagé que la CEDEAO elle-même. Une situation qui interroge profondément sur les priorités sécuritaires régionales.
Le protocole de libre circulation des personnes, signé en 1979, est loin d’être respecté dans les faits. « Le commerçant togolais ou béninois qui traverse la frontière doit encore affronter des barrages illégaux, des frais non officiels et une corruption persistante », souligne l’expert.
Quant à la monnaie unique ECO, elle incarne l’échec le plus visible d’un rêve d’unité économique. Sahiri y voit le symptôme de l’influence étrangère, en particulier celle de la France via le franc CFA, qui freine toute tentative d’autonomisation monétaire réelle. « Il est temps que l’Afrique de l’Ouest se libère de ces outils de domination », affirme-t-il.
Selon Léandre Sahiri, la CEDEAO est désormais perçue, dans de nombreux pays comme le Togo, comme un relais des intérêts occidentaux, plus qu’une force régionale souveraine. « L’organisation agit parfois comme un prolongement des stratégies de la France ou des États-Unis en Afrique de l’Ouest », déplore-t-il.
Il cite l’intervention au Mali en 2013 ou encore les réponses excessives aux changements de régime comme preuves d’un alignement diplomatique et stratégique avec des puissances extérieures, au détriment des priorités africaines.
À l’issue de cette analyse, Léandre Sahiri appelle à une refondation urgente de la CEDEAO. Selon lui, il faut sortir de la dépendance institutionnelle et monétaire vis-à-vis de l’Europe et créer une organisation véritablement centrée sur les peuples, et non sur les régimes en place.
« Cinquante ans, c’est aussi l’âge de la maturité. L’Afrique de l’Ouest ne peut plus se permettre une CEDEAO passive, technocratique et soumise. Elle doit devenir une plateforme d’émancipation régionale, sociale et économique », conclut l’expert.
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