C’est avec un sentiment de temps perdu et de véritable gâchis que les 19 millions de Maliens commémorent le 59ème anniversaire de l’accession du pays à la souveraineté nationale et internationale.
Le Mali compte 75% de jeunes de moins 35 ans. Ils sont dynamiques et présents dans les débats. Ces jeunes expriment à la fois un respect et une admiration importante à l’égard du père de l’indépendance, le président Modibo Keïta.
Pourtant, ils n’ont pas vécu sous son régime et très peu connaît son histoire, mais ils se l’imposent comme repère dans une nation en manque d’orientation.
Plusieurs causes sont à l’origine de cette posture de la jeunesse ; à commencer par la gouvernance.
De 1960 à 1968, le Mali nouvellement indépendant s’est rapidement mis au travail sous le leadership du président Modibo Keïta. La gouvernance adopta pour principe « l’indépendance par le travail ». Des personnes de confiance et intègres furent désignées pour conduire la nouvelle politique d’inspiration socialiste à tendance marxiste-léniniste.
Le pays connaît ainsi une ascension fulgurante, avec la création de plusieurs industries, faisant de lui, le plus industrialisé de la sous-région ouest africaine.
Les activités rurales ne sont pas en reste. Le président Modibo Keïta crée de puissantes coopératives, qui hélas, se révèleront à cour terme, limitées à cause, entre autres, d’une volonté implacable d’imposer une vision exclusivement étatique.
L’école et donc l’éducation, a été la priorité absolue du président Keïta, père de la nation. Il crée de nombreux centres de formation professionnelle et une école d’ingénieur.
Il faut reconnaître au président Modibo Keïta son intelligence d’avoir eu la capacité de réaliser de nombreux projets, sans moyens financiers énormes et particuliers venus de l’étranger et encore sans manne financière issue des ressources du sous-sol malien.
C’est également sous son autorité que le Mali entame la constitution de son armée avec au départ moins de 3000 hommes.
C’est l’image d’un dirigeant intègre qui aime son pays, dévoué à son service service du Mali, que la jeunesse malienne d’aujourd’hui garde du président Modibo Keïta. Les héritiers politiques du président Keïta ont longtemps répandu dans la société malienne l’idéologie d’un leader tourné vers le développement.
Pourtant, la forte pression exercée par ce pouvoir d’obédience marxiste-léniniste, sur la population par l’imposition systématique d’une seule volonté- celle du parti d’Etat- a suscité de nombreuses réactions négatives au sein de la population de l’époque. De plus en plus décrié, la politique socialiste apparaît aux yeux des citoyens maliens comme une oppression, ce qui va pousser un noyau de militaires conduit par le lieutenant Moussa Traoré de renverser le régime, le 19 novembre 1968.
De 1968 à 1991 sous la direction du général Moussa Traoré, le Mali construira progressivement son armée, au travers une importante coopération avec l’ex-Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS). Le pays avait pour ambition de devenir une incontestablement une puissance militaire à l’échelle du continent africain.
Mais, le pays va connaître de grandes difficultés financières, dans les années 80. Les Programmes d’ajustement structurel (PAS), imposés par les bailleurs mondiaux, en particulier le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale auront de conséquences spectaculaires sur la vie des populations. Déjà, depuis les premières famines des années 70, la situation malienne demeurait fragile, et le pays évolue dans l’insécurité alimentaire avec près de 5 millions de personnes concernées en 2019.
Le président Moussa Traoré lance tout de même de nombreux projets d’infrastructures routières, de construction de bâtiments et de renforcement des capacités de l’armée malienne.
La mort en détention du président Modibo Keïta en 1977 et les différentes répressions des manifestations estudiantines renforcent l’image d’un pouvoir dictatorial du général Moussa Traoré qui sera, lui aussi, renversé le 26 mars 1991 suite à une insurrection populaire.
De 1991 à nos jours, la chute du régime du général Moussa Traoré va ouvrir la voie à la démocratisation du Mali. La transition conduite par le lieutenant-colonel, Amadou Toumani Touré, fut un succès. Une Conférence nationale sur financement national fut tenue et des réformes ambitieuses furent menées, avec notamment la démilitarisation de la police.
Après 28 ans de pouvoirs successifs démocratiques conduits par trois présidents : Alpha Oumar Konaré 1992-2002 ; Amadou Toumani Touré 2002-2012 et Ibrahim Boubacar Keïta 2013….), le Mali est en plein doute sur son avenir.
En 2012, le pays a connu une rupture démocratique suite au coup d’Etat conduit par le capitaine Amadou Haya Sanogo. L’élection du président Ibrahim Boubacar Keïta a mis fin à cette brève interruption démocratique. Mais le coup de force a prouvé suffisamment aux yeux du monde, l’extrême fragilité de la démocratie malienne même après plusieurs décennies de pratique démocratique.
Les défis à relever
L’absence de réformes crédibles lors des différents régimes a progressivement conduit le Mali vers une régression. En premier lieu, l’incapacité de donner de la pérennité et de la consistance à l’ambitieuse politique de décentralisation, initiée en 1992. Cette décentralisation constitue, de nos jours, un véritable problème.
Les présidents successifs n’ont pas su ou voulu doter le programme de décentralisation de plan d’actions. Le projet a été plusieurs fois interrompu, puis annoncé sans véritablement volonté d’aller au bout du processus.
La sécurisation des terres et le transfert de la gestion financière et des compétences, n’ont jamais été mis en place. L’Etat a continué à garder la main sur toutes les ressources. Les collectivités territoriales sont restées sans véritable puissance.
Ce cafouillage a donné lieu à une connivence entre l’Etat et les élus locaux, qui ont ainsi mis sur place un véritable système de prédation porté par sur la spéculation foncière.
Les régimes des présidents Modibo Keïta et Moussa Traoré s’étaient abstenus de favoriser une gestion privée exacerbée des terres. La spéculation foncière et l’absence de projets de développement réel ont favorisé l’émergence de nombreux problèmes au Mali.
L’Etat démocratique n’a jamais su bâtir une politique cohérente en faveur des collectivités territoriales. Le travail commencé n’a pu être mené jusqu’au bout.
Ainsi en cette année 2019, l’émergence des différentes crises dans le centre du pays et quelques années plutôt dans le nord du pays, est liée principalement aux enjeux territoriaux nés de mauvaises pratiques démocratiques.
Dans le domaine sécuritaire, les mêmes difficultés sont apparues. L’Etat n’a pu mener une réforme cohérente et permanente du secteur de la sécurité, laissant ainsi des pans entiers du territoire national sans aucune perspective sécuritaire.
Ainsi à la veille de son 59ème anniversaire, le Mali présente le visage d’un Etat adulte par l’âge n’ayant pas pu accomplir ses devoirs et laisse très peu de possibilités à ses enfants.
Entre 1990 et 2019, la production de l’or a été multipliée par 50, passant d’1 tonne en 1990 à plus de 50 tonnes en 2019, sans inclure la filière de l’orpaillage traditionnel. Egalement en 2019, l’or n’a jamais été aussi cher, près de 1500 dollars l’once. Le coton bat certes des records, mais il a condamné le pays à renoncer à sa formidable diversité agricole. Ainsi, des dizaines de filières porteuses sont abandonnées au profit du secteur cotonnier, pourtant source de plusieurs scandales de corruption.
Au départ du colonisateur de l’Office du Niger en 1962, près de 20 000 hectares étaient aménagés. L’Etat malien n’a pas su faire mieux. Au contraire, les terres de cette zone agricole par excellence, sont louées à des compagnies et Etats étrangers.
Malgré l’annonce de l’octroi de 15% du budget national au secteur agricole par le gouvernement actuel, le paysan malien reste monétairement le plus pauvre de la sous région. 90 % des paysans vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 120 000 F CFA par an.
L’armée malienne s’est également affaiblie au fil des années, au point de ne plus être en capacité d’assurer la protection des populations et de leurs biens. La raison est claire, il s’agit à la fois d’une absence de vision, d’ambition de la part de la sphère décisionnelle civile et militaire.
Le pays n’a pas su mettre en œuvre une véritable feuille de route devant permettre la construction d’une armée à assurer convenablement ses différentes missions.
Dans le domaine économique, ce n’est pas tout à fait joyeux, puisque le Mali a 8 fois moins d’industries que la Côte d’Ivoire et 6 fois moins que le Sénégal ! Pourtant le pays affichait une belle avancée sur ces voisins, au lendemain de son indépendance.
Le déficit budgétaire est inquiétant avec plus de 350 milliards en 2019 ! Le pays n’arrive pas à innover et à porter de grands investissements.
Depuis quelques semaines, les mouvements de protestation contre le mauvais état des routes, est sans doute l’aboutissement d’un ras-le-bol qui dure depuis plusieurs décennies et qui avait du mal à éclore.
La route, en effet, c’est d’abord le désenclavement, l’économie, l’écologie, la lutte contre le chômage, la lutte contre la mauvaise gouvernance et la corruption…
S’attaquer à la route, c’est aussi une question hautement sécuritaire, car la route est source d’insécurité.
En effet, pendant plusieurs décennies où le discours a essentiellement porté sur « les dividendes de la démocratie », les révélations sur l’état des routes mettent en lumière l’absence totale de socle pour le développement, car elles constituent la première des infrastructures pour le développement.
Le 59ème anniversaire du Mali se fera dans une atmosphère de suspicion, car l’Etat n’arrive pas à instaurer une confiance à travers des projets crédibles. Le pays n’arrive plus à incarner ce qu’il a été pendant plusieurs décennies aux yeux du monde, c’est-à-dire une nation cadre, capable de convaincre les autres pays africains sur des grands projets, par manque de vision des dirigeants. Seule la confiance avait permis aux deux premiers présidents de réaliser les différentes infrastructures.
Le seul moyen est de redéfinir complètement un nouveau processus, porté en priorité par la réforme territoriale pour donner plus de force aux régions. Cela n’a rien d’une partition, le Mali doit évoluer. Le danger serait de ne pas osez le débat sur l’évolution, car la nation malienne est bloquée dans de postures peu courageuses. Les critiques sont plus importantes que les propositions. Au lieu de gouverner, les gouvernants sont éternellement en campagne et maintiennent ainsi une logique partisane, qui empêche l’émergence d’une véritable dynamique de paix et de développement.
L’armée est affaiblie moralement, jamais un malien n’aurait pu s’imaginer son armée impliquée dans de scandales de détournements de fonds.
La prise de conscience est nécessaire, voire vitale pour l’avenir de la nation malienne. Cet anniversaire doit être l’occasion de poser les jalons d’un Mali véritablement démocratique, ayant pour force la transparence et l’innovation à travers des réformes crédibles.
Boubacar Salif Traoré
(Afriglob Conseil)
(Arc-en-ciel)
On ne peut pas poser ces jalons en mentant, en volant et en trichant, pourtant c’est que font les élites maliens d’aujourd’hui, c’est malédiction d’Allah sur le pays.
très bonne analyse de la situation du Mali. Il faut que la situation change sinon le pays là va à vau l’eau. Une prise de conscience collective est nécessaire. Bonne fete d’independance à tous les Maliens.
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