À la date fatidique retenue pour la sortie du Mali (de la Cedeao) et de ses deux états frères de la Confédération des États du Sahel AES, il faut simplement conclure que le vin est tiré, il faut le boire. Le Mali est bel et bien sorti de la Cedeao. Hier et ailleurs, c’était la sortie de la Grande Bretagne de l’Union européenne à coup de com autour du nom générique de BREXIT.
L’exit du Mali de la Cedeao, ce «CEDEXIT» aussi est pour de bon, selon la forte décision des autorités de nos états annoncée de commun accord, il y a un an, le 28 janvier 2024 et du vœu d’une grande majorité du peuple confédéral. Ce dernier s’est mis en marche, au pas d’une devise désormais chevillée à son corps et collée à son cœur : un peuple, un espace, un destin.
La Cedeao, créée sur les cendres de la CEAO fortement inspirée par le Mali à l’époque, avec une bonne foi des fondateurs, deviendra au fil des années cette institution politique régionale entre les mains des seuls Chefs d’état, dans un imaginaire collectif étriqué, construit par les médias officiels au rythme des sommets des Chefs d’État, des conférences des ministres, des réunions des corps d’experts.
La Cedeao était ainsi regardée par les peuples, de loin, depuis sa création, en 1975, par des pères fondateurs à majorité militaire à la tête de leurs états, jusqu’à ce qu’elle s’attaque à «ces» Peuples. Qu’elle a eu du mal à transformer en « ses » peuples. Elle avait précédé la Covid-19 en termes de politique de distanciation. Et c’est cela qui a accéléré sa perte. Oui, jusqu’à ce qu’elle s’attaque aux Peuples, à travers ses embargos sauvages et dévastateurs, non pas contre les régimes politiques des pays visés mais directement contre des populations innocentes.
Les embargos contre le Mali et le Niger ont fini de sonner le glas de cette organisation. Car elle s’est attaquée à ceux qui étaient censés être ses inspirateurs, ses propriétaires, ses actionnaires : les peuples. Ces derniers n’ont jamais été aussi confortés dans leur vision floue sur l’institution, vision toujours criée mais jamais entendue. En voulant atteindre les régimes qu’elle refusait de reconnaitre, la Cedeao a attaqué ses citoyens dans leurs droits fondamentaux, ceux à la vie par l’accès à la nourriture et aux médicaments surtout, causant la mort de bébés, de vielles personnes et même de personnes valides.
Les sanctions illégales, illégitimes, iniques ciblant états et populations ont fini par sonner l’hallali pour celle qui était la fille aimée de l’Union africaine, celle qui était la communauté économique régionale championne et bonne élève au-delà du continent, vantée par l’ONU, l’Union européenne et la très glorieuse et fictive communauté internationale.
C’est cette Cedeao que le camp du «oui pour l’exit» a enterrée. Celle que le camp du «contre l’exit» défend est plus idéalisée. Là on met en avant l’organisation nourricière, celle qui va nous interconnecter, nous intégrer à travers la libre circulation des personnes et des biens, celle d’un marché commun à travers le tarif extérieur commun, celle de la Banque d’Investissement et de Développement de la Cedeao (BIDC) et ses financements, celle qui défend les valeurs démocratiques. Celle qui exècre les coups d’États militaires mais adoube, sinon promeut les coups d’état civils.
On ne reviendra pas sur le contraste du résultat avec les tracasseries chroniques aux frontières des états membres dont sont victimes les populations les plus nombreuses à circuler, c’est-à-dire par la voie routière, malgré carte d’identité, passeport et laisser passer estampillés Cedeao. Quid du faible taux de construction d’infrastructures tels que les rails ou les autoroutes pour évoquer le faible bilan d’une organisation qui se plait plutôt dans l’habit du gendarme de la démocratie, du gardien des intérêts étrangers, du cheval de Troie de l’impérialisme outre atlantique et autres, au lieu de l’intérêt général, celui des Peuples. Nous sommes loin de l’enthousiasme affiché par le chef de la délégation malienne au retour du sommet constitutif en mai 1975, des propos d’espoir du président ivoirien Felix Houphouët Boigny et ses pairs qui se voyaient «capables de voir loin et de faire grand».
SANCTIONS INIQUES. Pour la passe difficile actuelle, on rappellera trois fautes, pourquoi pas trois péchés originels qui lui valent de vivre ces instants fatidiques de désintégration, de désagrégation par la sortie de trois pays membres fondateurs et majeurs que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger. La première faute réside dans le cœur de son premier succès aujourd’hui encore vanté : la capture du président libérien Samuel Kayon Doe dans le bureau du chef de la Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la Cedeao (Ecomog), alors que cette structure d’interposition pour la paix dans le conflit fratricide libérien est toujours vantée comme une action éclatante dans le bilan de l’organisation.
On ne dédouanera pas le premier descendant d’autochtone à devenir président de ce pays du bain de sang qui avait marqué sa prise de pouvoir quelques années plutôt. Cette fin de règne dans un presque traquenard, dans son QG, a sali son image à l’opération de maintien de paix inédite jusque-là pour la sous-région. Dans le contexte de l’époque, les opinions ouest-africaines étaient guidées par le récit des médias audiovisuels mainstream encadré par les chancelleries des pays d’appartenance. Si l’on replonge dans cette histoire sombre libérienne, l’on se posera bien de questions sur la part de la Cedeao et de sa force dans la fin tragique du leader libérien dont d’aucuns continuent à penser qu’il a été livré à ses rivaux par les représentants de l’organisation sous régionale censée s’interposer et ramener la paix, par le dialogue et la justice. Véritable faux départ, potentiel péché originel.
Et pourtant cette intervention au Libéria sera par la suite badigeonnée comme le bon départ de toute une philosophie de maintien de la paix, de sauvegarde de la démocratie et d‘intégration régionale. Elle inspirera toute l’architecture politique et sécuritaire de la Cedeao à travers ses instruments dont le Traité de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest, (28 mai 1975), le Protocole sur la libre circulation des Personnes et des Biens, le Droit de résidence et d’établissement (1979), le Traité Révisé de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest, (24 juillet 1993), le Protocole relatif au mécanisme de Prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la Paix et de la sécurité, (10 décembre 1999), etc. On dira tout ça pour finir par voir trois états s’en aller? On ne passera pas sous silence la bonne foi et l’engagement démocratique du Mali lors de sa seule présidence (bizarre, non), entre 1999 et 2001, dans l’histoire de l’organisation, avec beaucoup d’entrain à asseoir les fondamentaux de la bonne gouvernance.
La deuxième faute de la Cedeao, c’est l’inertie de l’organisation régionale face à l’émergence d’une poudrière au Sahel. Des différentes rébellions au Mali et au Niger entre 1990 à ce jour, on ne trouvera pas d’éléments probants de son intervention. La Cedeao a regardé de loin un brasier sous ses pieds. Or, ces rebellions ont été des déclencheurs de crises politiques majeures d’envergure nationale dans ces pays et ont fini d’installer l’état d’insurrection terroriste qui va aujourd’hui au-delà des frontières sahéliennes. Curieusement, sur ces situations, elle a toujours laissé le terrain à l’ONU et aux puissances occidentales, se contentant d’un attentisme et d’un suivisme fort remarquables. Sa promptitude n’est mesurable que sur les crises politiques et institutionnelles, à forte dose de menaces et d’intimidation.
La troisième faute, c’est l’embargo inique imposé à notre pays, surtout aux populations, en janvier 2022 et plus tard, au Niger et à ses populations en août 2023. C’était la faute de trop. Visiblement la Cedeao n’avait pas tiré les leçons de sa mauvaise gestion de la crise malienne de 2002, la crise politique au Mali suite aux élections législatives d’avril 2020, la crise politique guinéenne qui a abouti aux évènements de septembre 2021, etc. Les évènements politiques au Mali en août 2020 et mai 2021, au Burkina Faso en janvier et septembre 2022 ne lui ont pas permis de rectifier le tir, encore moins la trajectoire suicidaire qu’elle a prise.
La somme de ces fautes sur plus de 30 ans vaut à la Cedeao ce bilan désastreux en 2025. Le retrait du Mali, du Burkina Faso, du Niger et leur union dans la Confédération des états du Sahel redessine la carte politique de l’Afrique de l’Ouest et impose à la Cedeao de porter une nouvelle paire de lunettes pour comprendre les nouveaux paradigmes géopolitiques. Il reste à nos concitoyens de croire désormais en la force de l’AES qui ne vient pas déplacer les falaises de Bandiagara, le Mont Agou et tout le massif de l’Atakora, le désert du Ténéré ou encore la lagune Ebrié. L’Afrique de l’Ouest géographique et sociale reste intacte avec les mêmes populations qui sont interconnectées depuis des siècles.
La création de la Cedeao en 1975 ne nous a pas valu une confédération ou une fédération, n’a pas effacé les relations bilatérales entre les différents États membres avec échanges d’ambassadeurs jusqu’à ce jour mais a engendré simplement une organisation politique devenue la grenouille voulant se faire plus grosse qu’un bœuf. Qu’on le veuille ou pas, l’organisation a été déroutée de sa voie initiale, prise en otage par des sponsors internationaux qui lui ont imprimé une vocation qui les arrange au point d’être déconnectée des réalités des populations qu’elle était censée défendre. Elle en récolte les conséquences.
L’AES à trois ou à plusieurs pourra jouer ce rôle fédérateur et économique de départ que vouaient les pères fondateurs à la Cedeao. L’AES suit son chemin désormais, mue par les aspirations de ses populations pour qu’elle demeure une AES des peuples, une organisation viable, efficace et fabriquant de bien-être individuel et collectif. C’est tout ce qu’on demandait à la Cedeao pour que cet EXIT retentissant ne soit pas. Hélas, il est ! Et le ciel ne tombera pas sur nos têtes, la vie continuera de plus belle, dans notre beau Sahel.
Alassane Souleymane