Les pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont tenu une conférence extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement, le 19 janvier 2013 à Abidjan, en Côte d’Ivoire à l’intervention du président en exercice de l’institution, Alassane Ouattara. Ils ont évalué la situation sociopolitique et sécuritaire au Mali et le processus de transition en Guinée-Bissau.
La crise malienne a dominé la session extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), tenue le 19 janvier 2013 à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Cette conférence qui a vu la participation des pays du champ, du Maghreb, de l’Amérique et de l’Union européenne, a débouché sur d’importantes résolutions. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont réaffirmé leur détermination à accompagner le Mali dans la résolution de la crise sécuritaire et institutionnelle. A cet effet, ils ont exprimé leur gratitude à la France qui, dans le respect de sa souveraineté et la légalité internationale, a déclenché l’opération “Serval” qui a permis de contenir la progression des extrémistes, ouvrant ainsi la mise en œuvre de la résolution 2085 des Nations unies.
Les chefs d’Etat se sont félicités de la promptitude avec laquelle le Burkina Faso, le Niger, le Togo et le Bénin ont positionné leurs contingents pour un déploiement urgent au Mali. Ils ont salué la décision prise par le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Liberia, le Sénégal et la Sierra Léone de contribuer au renforcement de la mission. Ainsi, le sommet a exhorté les pays à rendre disponibles, “sans plus tarder”, leurs troupes au commandement de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA). En outre, la rencontre a autorisé les bataillons de la MISMA à s’engager avec leurs effectifs organisés et à constituer des réserves avec les unités promises par les Etats membres qui ne figurent pas dans le déploiement immédiat. La conférence a entériné la nomination du général de division, Shehu Usman Abdulkadir du Nigeria et du général de brigade, Yayé Garba, du Niger, respectivement commandant et commandant adjoint de la MISMA.
Elle a salué la décision du Tchad de diligenter le déploiement de troupes en appui aux opérations de la MISMA et a invité les autres pays de l’Union africaine à y contribuer. Dans un souci d’efficacité, les gouvernants ouest-africains ont instruit le président de la Commission de la CEDEAO de prendre les dispositions nécessaires pour que les contingents africains soient pris en compte par le commandement de la MISMA.
Les gratitudes à Blaise Compaoré
Les chefs d’Etat de la CEDEAO ont demandé aux Nations unies de fournir immédiatement, l’appui logistique et financier au déploiement de la MISMA. Le Sommet a aussi recommandé à Kadré Désiré Ouédraogo de prendre, en étroite collaboration avec l’Union africaine, toutes les dispositions nécessaires à la tenue de la conférence des donateurs, prévue pour le 29 janvier 2013 à Addis Abeba, en Ethiopie, afin de mobiliser des ressources financières, logistiques et matérielles. Le sommet s’est félicité des annonces faites par des partenaires comme l’Union européenne, les Etats-Unis d’Amérique de fournir d’urgence une assistance logistique et financière en soutien aux opérations au Mali. Puis, il a lancé un appel aux agences humanitaires et aux partenaires à intensifier leur assistance au Mali et aux pays voisins pour faire face aux conséquences humanitaires de la crise.
En ce qui concerne la crise institutionnelle, la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement a réitéré son soutien sans faille au processus de transition, aux autorités, notamment au président par intérim, Dioncounda Traoré et au Premier ministre, Diango Cissoko. Le Président malien a été exhorté à prendre les dispositions nécessaires à élaborer une feuille de route de la transition et mettre en place des mécanismes pour sa mise en œuvre. L’objet y étant de préparer un processus électoral libre, équitable et transparent, le dialogue national et la restauration de l’autorité sur toute l’étendue du territoire.
La conférence a salué le président Dioncounda Traoré pour son courage et sa résistance à l’adversité et aux défis de son pays. C’est en cela que les chefs d’Etat ont déclaré qu’ils vont prendre les mesures appropriées pour renforcer la transition. Ils ont exprimé leur gratitude au Président du Faso, Blaise Compaoré, médiateur de la CEDEAO pour le Mali et à Goodluck Jonathan, président de la République Fédérale du Nigeria, médiateur associé pour le Mali et président du groupe régional de contact sur la Guinée-Bissau pour leur efforts de médiation et les a encouragée à persévérer, jusqu’au règlement de la crise sécuritaire et institutionnelle au Mali.
« L’opération Serval n’a pas vocation à se substituer à la MISMA »
Kadré Désiré Ouédraogo a soutenu : « Nos sorts sont liés, les destins sont communs, agissons en commun ». Et le président en exercice de la CEDEAO, Alassane Dramane Ouattara, de dire : « Nous ne devons pas faillir à nos engagements », avant de soutenir qu’il faut aller au delà des effectifs prévus actuellement. Sa proposition consiste à examiner l’implication des pays du champ (l’Algérie et la Mauritanie) et ceux du Maghreb dans les opérations en cours au Sahel pour éviter tout repli des terroristes et la formation des bases-arrières. C’est tout le sens que M. Ouédraogo a donné à l’engagement de la France au Mali. Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a affirmé que l’opération Serval n’a pas vocation à se substituer à la MISMA. Il a indiqué qu’en attendant le déploiement des forces africaines, l’armée française va assumer ses responsabilités et assumer ses obligations dans le respect de la législation internationale. De plus, M. Fabius a affirmé que la France ne ménagera aucun effort pour mobiliser la communauté internationale, en vue de soutenir l’armée malienne et la MISMA.
Selon lui, c’est Dioncounda Traoré qui est le chef de l’Etat légitime et il ne peut en être autrement. Alassane Ouattara a signifié que même si la guerre contre les narcoterroristes bouleverse la table des négociations, « elle rend indispensable la poursuite des efforts de médiation de la CEDEAO conduite par le président du Faso ». Il a fait comprendre qu’il faut éviter tout amalgame entre les Touaregs et les narcoterroristes, afin d’aborder, avec pragmatisme, le règlement des causes profondes du conflit. Il a expliqué que l’action du médiateur de la CEDEAO a permis de crédibiliser le dialogue inter-Maliens et de clarifier les bases d’une réconciliation durable.
Détermination à accompagner la Guinée-Bissau
A propos de la Guinée-Bissau, la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement a exprimé sa détermination à accompagner le pays dans la mise en œuvre du processus de transition. Cela devra se traduire par la mise en œuvre de réformes multisectorielles urgentes et la tenue d’élection libres, crédibles et transparentes. Les dirigeants ouest-africains ont salué l’adhésion de tous les partis politiques, y compris le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC), au pacte de transition. Et ils ont décidé de la création, par l’Assemble nationale, d’une commission chargée de la rédaction de la feuille de route.
En plus, les chefs d’Etat ont recommandé à Kadré Désiré Ouédraogo de prendre les mesures qui siéent pour accélérer la mise en application du programme de réforme du secteur de la défense et de la sécurité et ont réitéré leur appel à l’Union africaine à reconnaître la transition en cours et à lever les sanctions imposées à la Guinée-Bissau. Dans la foulée, ils ont exhorté les partenaires internationaux à reprendre la coopération avec le pays. Pour marquer le pas, ils ont décidé de soutenir financièrement, le gouvernement bissau-guinéen pour qu’il puisse faire face à ses besoins de fonctionnement.
La Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement a félicité John Dramani Mahama pour son élection à la tête de la République du Ghana et le président sierra- léonais, Enerst Baï Koroma, pour sa réélection. Outre Alassane Ouattara, douze chefs d’Etat ont participé au sommet : Blaise Compaoré (Burkina Faso), Yayi Thomas Boni (Bénin), Good Luck Jonathan (Nigéria), Alpha Condé (Guinée), Macky Sall (Sénégal), John Dramani Mahama (Ghana), Idriss Déby Itno (Tchad), Ellen Johnson Sirleaf (Libéria), Ernest Bai Koroma (Sierra-Leone), Issoufou Mahamadou (Niger), Manuel Serifo Nhamadjo (Guinée-Bissau) et Dioncounda Traoré (Mali). A coté de ces dirigeants, le représentant des Nations unies en Afrique de l’Ouest, Saïd Djinnit, le haut représentant de l’Union africaine pour le Mali, Pierre Buyoya, ainsi que les délégations ministérielles du Togo et de la Gambie ont pris part au sommet extraordinaire de la CEDEDAO.
Adama BAYALA (badam1021@yahoo.fr) de retour d’Abidjan
Le dialogue n’exclut pas l’intervention militaire
A l’issue des travaux, les ministres en charge des Affaires étrangères du Burkina Faso, Djibrill Bassolé et du Mali, Tiéman Hubert Coulibaly, donnent leur point de vue sur le sommet.
Djibrill Bassolé : « Il reste maintenant la délicate question du financement de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA). Je dois dire que le processus de déploiement a été accéléré, du fait de l’agression et de la violation de la cessation des hostilités dont Ansar Dine et d’autres groupes extrémistes se sont rendu auteurs. Leur poussée militaire vers le Sud devrait être arrêtée et la MISMA doit se déployer le plus rapidement possible. Le président du Faso a été désigné comme le médiateur de la CEDEAO. Ce n’était pas une option particulière du Burkina Faso. C’est la CEDEAO qui, dès le départ, a voulu combiner l’action militaire et diplomatique. Maintenant qu’en est-il du dialogue qui a été perturbé par la violation du cessez-le-feu, le rejet du terrorisme et de l’extrémisme ? Nous sommes tous d’accord que pour régler les causes profondes de la crise, les raisons qui ont amené certaines composantes de la communauté malienne et les Touaregs, en particulier à recourir aux armes pour revendiquer des meilleures conditions de vie doivent être examinées.
Ces causes ne peuvent être réglées que par un processus de dialogue. Le président de la République du Mali a réaffirmé la disponibilité des autorités de transition à promouvoir le dialogue. Mais le dialogue n’exclut pas l’intervention militaire et l’usage de la force n’exclut pas le dialogue non plus. C’est dire que c’est la combinaison du dialogue et des actions militaires qui ramènera une paix durable au Mali. Ansar Dine s’est mis en situation difficile en violant les engagements de Ouagadougou. En plus de cela, ils ont rejeté leurs engagements à rejeter l’extrémisme et le terrorisme. Ils se sont alliés, de manière un peu trop visible, à des groupes terroristes. C’est vrai que dans ces conditions-là, admettre ce groupe autour de la table de négociation serait difficile, mais les Maliens en décideront ».
Tiéman Hubert Coulibaly : « Cette réunion a été nécessaire pour que notre organisation s’adapte à la nouvelle situation qui a été créée par un agenda précipité depuis que les forces narco-jihadistes avaient entrepris de faire une offensive contre nos lignes de défense. La CEDEAO avançait à un rythme différent. L’idée de convoquer ce sommet extraordinaire a été salutaire. Donc, ces décisions prises par la conférence des chefs d’Etat, sous la présidence de Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, étaient nécessaire pour s’adapter à la situation.
L’engagement militaire continu. J’ai coutume de dire aux journalistes et à ceux qui s’intéressent à tout ce qui se passe de laisser les évènements se produire. Aujourd’hui, ce sont deux forces militaires qui s’opposent. Nous avons, non seulement la vérité, mais la raison de notre côté. Je crois aussi que, d’un point de vue militaire, nous avons la supériorité de notre côté avec l’engagement des troupes françaises. Et le prochain engagement des troupes de la CEDEAO appelées en urgence par la conférence des chefs d’Etat, va renforcer la supériorité militaire sur le terrain. Je suis Bamakois et je suis Malien. J’ai un bon moral, le moral de quelqu’un qui est engagé dans un combat. Les Bamakois vont bien et ils sont soulagés de voir tout cet engagement international et nos troupes sont au front avec celles des amis. Tout va bien”.
Propos recueillis à Abidjan par A. B.
Sidwaya