On se rappelle que le 25 août 2021, le Premier Ministre malien Choguel Kokalla Maïga avait livré à la 76ème Assemblée Générale des Nations-Unies, un discours qui avait retenti dans le monde entier notamment dans l’espace CEDEAO et perçu par l’ancienne puissance colonisatrice la France, comme une audace de trop. Cependant, pour bon nombre de maliens, c’est un discours qui sonne le glas à deux siècles de soumission, de brimades et de pillages de nos ressources. Depuis, ce discours libérateur, les relations diplomatiques entre Paris et Bamako ont pris un sérieux coup, surtout lorsqu’une certaine rumeur d’un possible contrat avec le groupe privé de sécurité russe Wagner, amplifiée par certains médias occidentaux et les réseaux sociaux, a frappé aux portes de l’Elysée et de Quai d’Orsay où la raison du cœur a cédé à la crise des nerfs, allant jusqu’à l’escalade verbale et aux menaces à l’encontre des autorités de la Transition.
Cette crise diplomatique venait ainsi compliquer davantage, la situation très fragile du Mali du fait de la crise politico-institutionnelle et sécuritaire commencée en 2012 à la faveur d’un coup d’Etat militaire et le déferlement des terroristes dans tout le Nord et le Centre du pays. C’est dans cette situation de crises que l’organisation sous-régionale, la CEDEAO, après plusieurs visites et rencontres avec les Autorités de la Transition au pouvoir depuis le coup d’Etat militaire du 18 août 2020, tente non pas avec parcimonie, de rétablir l’ordre constitutionnel en accompagnant le Peuple du Mali, mais versée dans des diktats et sanctions qui suscitent révolte et indignation des maliens.
La CEDEAO est-elle en phase avec ses objectifs ?
Créée en mai 1975, la CEDEAO, ce club des Chefs d’Etat « béni oui oui », est une organisation sous-régionale de 15 pays membres avec une superficie de 5 113 000 Km2 et une population forte de 386 800 000 habitants. Au départ, l’organisation s’était essentiellement vouée à la promotion de l’intégration économique et douanière de ses Etats membres. Progressivement, cette vocation s’est transformée à partir de son Protocole Additionnel de 2001 signé à Dakar, relatif à la démocratie et à la bonne gouvernance, en une organisation également chargée des questions liées aux conflits armés et aux crises politiques.
La question qu’on pourrait se poser est de savoir si de sa création à nos jours, la CEDEAO a respecté les objectifs auxquels elle a souscrit ? Une lecture même factuelle de certains de ses articles relatifs à son Protocole Additionnel, permet de donner une réponse précise à cette interrogation que beaucoup se posent aujourd’hui. En effet, la CEDEAO dans son article 1 du Protocole Additionnel déclare comme principes constitutionnels communs à tous ses Etats membres, la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. L’analyse de cet article à mon point de vue, n’a été à quelques exceptions près (Cap Vert, Ghana), respecté à ce jour dans aucun Etat de l’organisation où les pouvoirs exécutif et législatif ont toujours interféré dans les décisions de justice.
Et la plupart des conflits intercommunautaires souvent violents et récurrents constatés ces dernières années dans plusieurs pays, sont le fait de ces interférences qui ont engendré des frustrations, également sources de nombreuses crises politiques et sociales dont celles vécues dans les localités du Centre du Mali notamment au Pays Dogon depuis que le terrorisme s’y est invité, rendant la situation assez complexe et instable avec l’absence des services sociaux de base, les relations très tendues entre les communautés pourtant liées par l’histoire et le sang.
Quant à ce même article notifiant l’interdiction de tout changement anticonstitutionnel par tout mode non démocratique dont les coups d’Etat et les tripatouillages constitutionnels, là encore la CEDEAO a pêché à maintes occasions quand on se rappelle des cas manifestes les plus récents en Côte d’Ivoire et en Guinée où les Présidents Alassane Ouattara et Alpha Condé ont attendu les dernières années de leurs seconds mandats, pour modifier leurs constitutions. Cet acte anticonstitutionnel passé sous silence par la CEDEAO, a plongé la Guinée dans une profonde crise socio-politique qui a abouti en septembre 2021, à un coup d’Etat militaire, même si à ce jour, la tempête a épargné le Président Ouattara. Aussi, pour tous les aspects concernant la réforme électorale, les organes chargés des élections, l’établissement de la liste électorale et les règlements des litiges électoraux, etc., consacrés par l’article 2 du Protocole Additionnel, la CEDEAO n’a pas réussi à combler les attentes de ses peuples.
C’est ainsi que lors de l’élection présidentielle de 2018 et les élections législatives de 2020 au Mali, l’indifférence ou, le manque d’anticipation de l’organisation n’a pu éviter les contestations populaires post-électorales qui ont mis en mal, l’unité nationale et la cohésion sociale d’un Etat en proie aux attaques terroristes violentes et meurtrières depuis 2012. Ce qui a faibli l’Etat, rongé par la corruption, la gabegie financière, l’impunité et l’injustice, etc., des maux contraires aux principes du Protocole Additionnel quant à la bonne gouvernance et à la démocratie au nom desquelles l’institution est née.
L’autre constat amer nous amène à dire, qu’en dépit du nombre impressionnant de ses articles consacrés à l’organisation des élections libres, honnêtes et transparentes, la CEDEAO, n’a pas réussi à empêcher les crises liées aux élections contestées qui ont le plus souvent débouché à une rupture de l’ordre constitutionnel comme le coup d’Etat d’août 2020 au Mali contre le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta. Pour toutes ces questions, la CEDEAO a tout simplement brillé par son indifférence, son incompétence, son incohérence et ses abus dans l’application de ses textes fondamentaux qu’elle a superbement violés à maintes reprises.
Incapables de faire face aux nombreuses crises sociales et politico-institutionnelles que traversent ces dernières années beaucoup de pays de l’institution, les chefs d’Etat contre le Mali, n’ont eu de choix que de recourir chaque fois, à des diktats assez drastiques et à des sanctions contre-productives, en réponse à la décision des Autorités du pays de privilégier les réformes politiques et institutionnelles à l’issue des Assises Nationales de Refondation (ARN), prévues en décembre 2021, plutôt que d’organiser des élections dans les conditions actuelles d’un Etat faibli par trente années de mauvaise pratique démocratique avec des crises politiques et institutionnelles à répétition, aggravées par le terrorisme violent.
Il est cependant important de noter jusqu’à ce jour, la plupart des acteurs politiques du pays adhèrent à cette décision des Autorités de la Transition d’aller aux ARN. Pourtant l’article 1 du Protocole Additionnel de la CEDEAO trouve fondamental dans tout processus démocratique, la participation populaire aux prises de décision, le strict respect des principes démocratiques. Or il se trouve que ces ARN, l’émanation du Peuple, sont un cadre idéal pour s’adonner à une telle démarche pédagogique inclusive. On peut dans ce cas affirmer sans doute, que la CEDEAO refuse d’écouter la voix du Peuple au Mali et aussi en Guinée où les Concertations Nationales du 14 septembre 2021, ont permis de doter le pays, des organes de la Transition (Gouvernement, organe législatif) qui fixeront en accord avec toutes les forces vives, la durée de la Transition et les conditions d’organisation d’élections crédibles, transparentes et inclusives, contrairement au délai de six mois imposé par la CEDEAO.
Cette volonté des autorités de la Transition des deux Etats de doter leurs pays d’institutions démocratiques fortes et stables, devait être accompagnée par la CEDEAO, plutôt que de la combattre. C’est en s’éloignant de plus en plus de ses objectifs dont les principes de base sont le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales, que la Conférence des chefs d’Etat a pris la lourde responsabilité de sanctionner les Autorités politiques et militaires de la Transition au Mali avec l’intention de sécher les finances publiques du pays et de pousser le Peuple à se dresser contre le pouvoir de la Transition, a-t-on laissé entendre.
Le Mali résistera-t-il aux sanctions drastiques imposées par la CEDEAO ?
Le 7 novembre 2021, la Conférence des Chefs d’Etats de la CEDEAO, décide de rendre officielles, ses sanctions (interdiction de voyager dans l’espace de la CEDEAO et gel des avoirs) contre 149 personnalités maliennes dont le Premier Ministre Choguel Kokalla Maïga, la quasi-totalité de son Gouvernement et tous les membres du Comité National de Transition (CNT) qui fait office d’organe législatif. Que vise la CEDEAO par ces sanctions ? Pour qui pipe-t-elle ?
Ces sanctions visent sans doute à pousser les Autorités de la Transition à organiser les élections conformément aux dates initiales de février 2022. Beaucoup de maliens y voient la main de la France qui cherche par tous les moyens à se maintenir au Mali, en y marquant sa présence militaire et son hégémonie qui durent depuis le 27 août 1892, sous la période coloniale, au nom de ses intérêts géostratégiques. Loin d’affaiblir davantage l’Etat du Mali, ces sanctions ont au contraire galvanisé la ferveur patriotique du Peuple malien dressé contre les pratiques néocolonialistes et la posture paternaliste d’une France désavouée aux quatre coins de l’Afrique de l’Ouest francophone, sonnant ainsi le glas, à un siècle et demi d’hégémonie et de pillages organisés de nos ressources par la France.
Avec vigilance et engagement, le Peuple du Mali, débout sur les remparts, est plus que déterminé à s’approprier de sa souveraineté pleine et entière afin de léguer à la postérité, un Mali uni, fort et prospère ! Ce combat de l’honneur et de la dignité ne vient que de commencer !
Dr. Allaye GARANGO, enseignant chercheur ENSup – Bamako