Les perspectives prometteuses de l’Alliance des États du Sahel (AES), le retrait du Mali, du Burkina et du Niger de la Cedeao sont des sujets sur lesquels s’expriment dans l’interview ci-dessous, le président du Collectif pour la refondation du Mali (Corema). Dr Fousseyni Ouattara aborde par ailleurs la question de la fin de l’Accord pour la paix et la réconciliation, issue du processus d’Alger
L’Essor : Quelle est votre lecture de la situation sociopolitique du pays ?
Dr Fousseyni Ouattara : Ma lecture en un mot sera très difficile à formuler parce qu’aujourd’hui, la situation est très complexe. Disons qu’on va de l’optimisme à l’optimisme.
L’Essor : Le gouvernement vient de mettre fin à l’Accord pour la paix et la réconciliation, issue du processus d’Alger. Comment avez-vous accueilli cette annonce ?
Dr Fousseyni Ouattara : Avec beaucoup de soulagement. Comme vous le savez à sa signature, c’était un chemin qu’on cherchait pour conclure la paix entre nous les Maliens. Si vous prenez un chemin qui ne vous mène nulle part, mieux vaut revenir en arrière et essayer de trouver un autre chemin. Je pense que le chef de l’État a été très sage de mettre fin à cet accord pour la paix. Le Mali, depuis le 22 juillet 2023, a adopté une nouvelle Constitution. Il suffit seulement de regarder l’article 37 et vousz comprendre que les chemins sont déjà décrits pour qu’on puisse entre nous s’asseoir pour parler de paix. Parce qu’il est bien dit que la souveraineté du Mali est hors de portée des intentions personnelles. C’est-à-dire que c’est quelque chose qu’on ne pourra pas marchander, prêter, diviser et faire fi de cela. Donc, il n’est pas question de céder même une petite portion du territoire du Mali.
L’Essor : Que vous inspirez le Dialogue inter-Maliens dont le Comité de pilotage est déjà à pied d’œuvre pour l’appropriation nationale du processus de paix ?
Dr Fousseyni Ouattara : L’initiative du dialogue est une très bonne chose, seulement il faut revoir un peu les acteurs. Le Mali est très vaste. Parce que quand on parle du Dialogue inter-Maliens, il faut voir toute l’étendue du territoire. Par exemple, aujourd’hui, les problèmes au niveau de la Région de Kayes existent surtout à cause de l’exploitation sauvage des zones aurifères. Il y a des villages où les gens s’entretuent souvent. Ce sont des choses aussi qu’on ne doit pas oublier. Le tout ne peut se reporter seulement au terrorisme ou à la rébellion. Je pense que c’est quelque chose qui doit prendre le Mali dans sa totalité. J’ai vu la liste du Comité de pilotage.
Je leur souhaite bon vent. Seulement, souvent, je suis très anxieux parce que quand on parle de dialogue entre les Maliens, on voit toujours les mêmes personnes. Je pense que les générations changent, se succèdent, souvent il est bon de placer plus de confiance à la jeunesse. Malheureusement, à chaque fois qu’on parle même de la refondation du Mali, même si vous voyez sur nos médias, surtout Internet et autres, on voit que ce sont généralement les mêmes personnes qu’on appelle. C’est-à-dire que très souvent les idées ne changent pas beaucoup alors qu’il ya des jeunes leaders qui sont là. Mieux vaut qu’on leur donne leurs chances de pouvoir s’exprimer parce que l’avenir leur appartient. Donc, s’ils mettent la main dès maintenant, qu’eux-mêmes puissent prendre des décisions majeures qui vont définir leur avenir. Malheureusement, on fait toujours la même chose et je pense que souvent, on tourne en rond.
L’Essor : Que pensez-vous de la récente décision des autorités du Mali, du Burkina Faso et du Niger de se retirer sans délai de la Cedeao ?
Dr Fousseyni Ouattara : On pouvait s’attendre à cela. Nous, au Corema, cela ne nous a pas surpris. Parce que ça fait presque trois ans qu’on demande le retrait immédiat du Mali de la Cedeao. Pourquoi ? Parce que les mêmes principes fondamentaux de la Cedeao ont été laissés de côté par les nouveaux dirigeants de l’organisation communautaire. Et quand les fondamentaux changent cardinalement, il faut revoir même sa participation au sein de cette Institution. Parce que c’est une Institution qui devrait servir surtout à l’intégration interafricaine et encore faciliter nos déplacements, nos échanges.
Malheureusement, tel n’est pas le cas. Pour se déplacer par exemple du Mali au Nigéria, vous verrez combien de postes de contrôle ainsi de suite. Il y a 49 ans, quand la Cedeao voyait le jour, on avait parlé de créer la monnaie communautaire. Cet objectif n’a pas été atteint. Avec le Protocole additionnel de 2012, la Cedeao même s’est éloignée complètement de l’intégration africaine. Elle est devenue un instrument de répression par procuration entre les mains de la France.
Ce qui était fondamental dans la Cedeao, c’était l’entraide. Et encore, on doit se souvenir lorsque la Cedeao a été créée en 1975, déjà en 1978, il y avait eu un protocole additionnel qui stipulait que les États membres de la Cedeao ne devaient pas se faire la guerre. C’était un point très important. Actuellement, vu que nos états qui ont été attaqués par les terroristes, connaissent des difficultés. Même s’il ya eu un changement de pouvoir peut-être qui n’est pas la façon voulue, mais ce n’est pas un prétexte pour dire qu’on va lever toute une armée et attaquer par exemple le Niger.
C’est une violation très grave. Et ce qui a aussi motivé surtout le départ du Mali, c’est la violation de la Convention même des Nations unies. Il ya une Convention qui dit qu’il ne faut pas fermer les frontières des États qui n’ont pas de littoral. Il faut laisser ces États pour qu’ils puissent avoir accès à la mer. Cela aussi a été violé.
La Convention de Vienne est très claire. Quand vous entrez dans une organisation, si la doctrine sur laquelle elle a été fondée, si ses fondamentaux changent, parce que vous avez donné une partie de votre souveraineté, c’est de votre droit de vous retirer. Si vous ajoutez tout cela et encore dire que le Mali étant membre de l’Uemoa, la Cedeao a mis la pression pour empêcher notre pays d’avoir accès à ses propres fonds qu’il avait confiés à la Bceao. Parce qu’il faut savoir que c’est notre argent de façon indépendante et souveraine qu’on a confié à la Bceao pour la gestion. Donc, si on regroupe tout cela, on va voir que si on ne s’était pas écarté de la Cedeao, on ne pouvait pas accentuer notre développement sur des sphères qui allaient nous porter le bonheur. Et malheureusement si on reste au sein de la Cedeao avec la pression de la France, notre développement sera toujours non seulement modelé et dirigé par l’ex-puissance coloniale.
Ce qui n’est pas de notre intérêt. Donc, regroupant tout cela, je peux vous assurer que quand on quitte la Cedeao, les conséquences seront moindres. Parce que beaucoup se font peur en pensant que la libre circulation des personnes et des biens va poser problème. Alors qu’en quittant la Cedeao, nous sommes encore membres de l’Uemoa où il y a les mêmes principes de libre circulation des personnes, des biens et des marchandises. Sur ce plan, il n’y a pas de problème. Le problème peut se poser au niveau de sept autres pays qui ne sont pas membres de l’Uemoa, mais on peut toujours avoir des accords bilatéraux.
Retenez que ces pays, notamment le Nigeria, le Ghana, sont plus développés que nos trois états. Nous sommes plutôt leurs clients. Alors que nous vendons de l’or, du coton et autres en dehors de l’espace Cedeao. Peut-être, à part le bétail vivant, généralement le Mali, le Niger et le Burkina Faso ne vend rien dans l’espace de la Cedeao. Nous sommes des consommateurs. Donc, en tant que consommateurs, nous avons toujours la possibilité de choisir où nous approvisionner. Je pense que les uns et les autres ne doivent pas avoir peur.
Pour ce qui est de la monnaie, tout le monde en parle, les gens se font peur. Il faut garder la tête froide, il y a des préalables pour créer une monnaie. Ces préalables ne sont pas visibles encore.
L’Essor : La future création de la Confédération des États de l’Alliance des États du Sahel pourrait donc être une alternative crédible…
Dr Fousseyni Ouattara : La Charte du Liptako-Gourma, qui a été adoptée le 16 septembre 2023, n’a fait que nous ramener à la réalité. Parce que l’Autorité du Lipatako-Gourma qui existait nous parlait plutôt d’un espace beaucoup plus économique. La réalité est telle que même si un État ou un ensemble d’États ont des biens, sans armées fortes pour se défendre, ces richesses seront la convoitise de certains pays. Avec l’AES, c’est le volet militaire qui vient compléter le reste (économie, développement, etc.). En ce moment, nous sommes en train de créer une Confédération des États où chaque paie a plus ou moins sa propre souveraineté. Mais, sur certains plans on va, de façon collégiale, gérer nos affaires. Maintenant que nos trois armées s’entendent très bien surtout pour lutter contre le terrorisme, en ajoutant le volet défense à ce qui existait déjà, cela va nous permettre de créer un espace économique.
En effet, la zone du Liptako-Gourma regorge de richesses. C’est à cause de cela qu’en 1969-70, le département économique de l’Onu chargé de l’Afrique et le Pnud avaient demandé de créer l’Autorité du Lipatako-Gourma. Parce qu’ils pensent que chaque pays, individuellement, ne pouvait pas exploiter les énormes ressources qui s’y trouvent. Si on se met ensemble, on pourra exploiter ces ressources en ayant en tête ce qu’on a écrit dans notre Constitution : que nos richesses nous appartiennent, que notre souveraineté ne sera plus jetée à la poubelle.
Cela va nous permettre de tirer les plus-values de nos richesses. Nous n’allons plus tendre la main. Nous n’allons plus nous laisser berner par des soi-disant cadres qui nous disaient que seules les multinationales avaient les financements. Malheureusement, on leur a laissé l’opportunité d’exploiter nos richesses pour nous contenter des miettes quand elles le voulaient. Ce ne sera plus le cas, nous avons voté un nouveau Code minier de même qu’un contenu local. L’or pourra briller pour tout le Mali. Pour cela, il faut travailler, avoir des idées et des concepts.
Propos recueillis par
Massa SIDIBE