Mali-Cedeao : Pourquoi les sanctions sont illégales

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L’objectif de ce texte est de discuter la rationalité juridique des sanctions prises ces  derniers mois par la CEDEAO. Une justification de ces sanctions a été apportée en ces termes  : « Les  gouvernements  du  G5 Sahel peuvent difficilement cautionner un coup d’État en son sein, d’autant plus que tous craignent d’en  être victimes (…) l’organisation régionale qui est  considérée comme la plus légitime pour intervenir dans les affaires intérieures et aider au retour de la stabilité politique du Mali dans le cadre d’institutions démocratiques est la Communauté économique des États  de l’Afrique de l’Ouest». Déjà, lors du premier coup d’État du 18 août 2020 écartant feu le président Ibrahim Boubakar Keita du  pouvoir,  un train de sanctions avait été pris aboutissant à la fermeture des frontières des États de la CEDEAO  limitrophes du Mali ; les négociations ont débouché sur la mise en  place  d’un  gouvernement  civil de transition dirigé par Bah N’Daw, devant mener au rétablissement de «l’ordre constitutionnel ». Un nouveau coup d’État est intervenu en mai 2021, conduisant à la situation actuelle.  Au  total,  trois vagues  de  sanctions  ont  été  infligées  par  la CEDEAO envers la République du Mali : août 2020, novembre 2021, janvier 2022. L’examen de ces événements    éclaire les  transformations  que  connaît l’institution depuis plusieurs années. Le but initial  du traité lié à l’intégration sous-régionale par le marché et la solidarité entre les États cède  progressivement la place à une Communauté endossant le rôle de gendarme de la stabilité   politique régionale.                  

Depuis près de dix ans, le territoire malien est divisé entre plusieurs groupes armés    djihadistes, nationalistes, etc. impliqués dans un conflit multidimensionnel. La rudesse des   échanges récents entre la République du Mali et la CEDEAO mais aussi la communauté  internationale est liée, de près ou de loin,  au choix  du  gouvernement  malien  de faire appel  à  la Russie afin de suppléer progressivement la présence militaire française et européenne (EUTM, MINUSMA), mais surtout de la  volonté  de  la  junte  au  pouvoir  de  prolonger  la  transition. L’explication du  raidissement lié à cette situation est multiple. Les causes tiennent, sans prétendre à l’exhaustivité, à la posture souverainiste de la junte au pouvoir, à l’inefficacité de la présence militaire française, à la persistance de l’insécurité, etc. Un regain  de  tension  a  eu  lieu lorsque les autorités maliennes ont décidé d’expulser l’ambassadeur de  France du Mali à la suite des propos du ministre français des Affaires étrangères, J-Y. Le Drian, qualifiant la junte « d’illégitime » et affirmant qu’elle était « hors de contrôle » chose  extrêmement rare en Afrique francophone depuis la Guinée de Sékou Touré. Cette expulsion  a  été  précédée de celle du contingent danois intégré dans la Task force dite « Takuba », au  motif tiré de l’illégalité de la présence des forces danoises sur le sol malien. La Suède a,  quant à elle, annoncé le retrait de ses effectifs de la Task-force «Takuba» pour mars 2022. La Norvège vient de renoncer à l’envoi de militaires au  sein de ladite force, en raison du refus du gouvernement malien. Le  président  français  annonce,  le  17  février,  le  retrait  «  gradué  »  de la force Barkhane et de ses alliés européens. En réponse, le gouvernement malien  demande  le départ  immédiat des soldats  français. Le 3mars, la  France a rappelé  l’ensemble des coopérants exerçant au sein de l’administration  malienne. De toute évidence,  un rapport de force durable s’est instauré entre la France et le Mali dans un contexte de défiance d’une partie de l’opinion publique africaine à l’égard de la présence militaire  française  en  Afrique.  Les uns invoquent la souveraineté nationale, pendant que les autres appellent le Mali au respect  de  ses  obligations  internationales  et sous-régionales et à la restauration de l’« ordre  constitutionnel». Derrière ces discours se dissimulent, à l’évidence, des intérêts divergents.  Nul n’ignore, pour le dire vite, l’enjeu stratégique que représente le Mali pour le contrôle de la gestion des flux migratoires européens ;  et personne n’est  assez  naïf  pour  croire que les  militaires au pouvoir, aussi nationalistes soient-ils, ne concèderont pas aux nouvelles   puissances étrangères russes convoquées sur le territoire malien un certain nombre de  prérogatives  futures. Ce qui apparaît en  revanche  inédit,  c’est  bien la manière décomplexée avec laquelle les autorités maliennes ont décidé de tourner la page des relations militaires  eurafricaines dans un contexte où la force Barkhane était de plus en plus perçue par la   population comme une force d’occupation. Plusieurs couches d’analyse se superposent. Il y a  d’abord un enchevêtrement d’accords internationaux justifiant sur le plan juridique une  assise à la présence militaire française puis européenne sur  le  sol malien ;  s’y  ajoutent, les  médias en parlent peu, plusieurs décisions rendues par la Cour constitutionnelle malienne, notamment celle du 29 mai 2021 validant la direction du Conseil National de Transition  (ci-après  CNT)  menée par le colonel Assimi Goïta, président, et Choguel Maïga, Premier ministre. Enfin, au plan régional, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)  s’est illustrée par un  train de sanctions infligées à l’encontre de l’État malien. On ne peut que relever l’absence de données claires, de part et d’autre, quant au contenu des accords dénoncés. L’objectif de ce texte est de discuter la rationalité juridique des sanctions prises ces  derniers mois par la CEDEAO. Une justification de ces sanctions a été apportée en ces termes  : « Les  gouvernements  du  G5 Sahel peuvent difficilement cautionner un coup d’État en son sein, d’autant plus que tous craignent d’en  être victimes (…) l’organisation régionale qui est  considérée comme la plus légitime pour intervenir dans les affaires intérieures et aider au retour de la stabilité politique du Mali dans le cadre d’institutions démocratiques est la Communauté économique des États  de l’Afrique de l’Ouest». Déjà, lors du premier coup d’État du 18 août 2020 écartant feu le président Ibrahim Boubakar Keita du  pouvoir,  un train de sanctions avait été pris aboutissant à la fermeture des frontières des États de la CEDEAO  limitrophes du Mali ; les négociations ont débouché sur la mise en  place  d’un  gouvernement  civil de transition dirigé par Bah N’Daw, devant mener au rétablissement de «l’ordre constitutionnel ». Un nouveau coup d’État est intervenu en mai 2021, conduisant à la situation actuelle.  Au  total,  trois vagues  de  sanctions  ont  été  infligées  par  la CEDEAO envers la République du Mali : août 2020, novembre 2021, janvier 2022. L’examen de ces événements    éclaire les  transformations  que  connaît l’institution depuis plusieurs années. Le but initial  du traité lié à l’intégration sous-régionale par le marché et la solidarité entre les États cède  progressivement la place à une Communauté endossant le rôle de gendarme de la stabilité   politique régionale. L’exercice de cette nouvelle fonction figurant dans le traité n’est pas sans  risques comme le montre l’exemple malien, notamment lorsque la CEDEAO se place en  porte-à-faux vis-à-vis de la légitimité populaire au soutien du pouvoir en place. Ce risque  est  d’autant plus accru quand il donne l’impression de rejoindre les intérêts de la « communauté  internationale » il faut comprendre ici occidentale. En Afrique de l’Ouest, la vague des coups  d’État est liée à plusieurs facteurs comme la mauvaise gestion et la corruption des pouvoirs  civils.  Elle place la CEDEAO face à un dilemme insoluble : soutenir les nouveaux pouvoirs  militaires en place au risque de miner la légitimité d’action de la conférence des chefs d’État  et  de gouvernement ou condamner lesdits coups d’État soutenus  par  la  rue (cas du Mali  et du Burkina Faso) en se privant auprès des nouveaux pouvoirs en place de son autorité  régionale liée au  maintien de la paix. Il faut adjoindre à  ce contexte régional une nouvelle  rivalité internationale entre l’Occident,  la  Chine  et  la  Russie  autour  du continent africain.

Crise politique malienne et « médiation » de la CEDEAO : une relecture à travers la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Mali.

Huit mois avant le communiqué de la CEDEAO, la Cour constitutionnelle malienne rend un  arrêt validant le processus de transition actuellement en contestation. De quoi s’agit-il ? Le 27 mai 2021, la Cour est saisie par le ministre, directeur de cabinet du vice-président de la  transition de la lettre de démission du président de la transition, ainsi que du décret pris le 24  mai 2021, mettant fin aux fonctions du Premier ministre et des membres du  gouvernement.  De toute évidence, l’objet  de la saisine vise à se prononcer sur la légalité du changement  constitutionnel opéré depuis l’institution des autorités de transition. La Cour constate dans  un  premier temps que les dispositions de la constitution malienne de février 1992 ne peuvent s’appliquer en l’espèce. Cette constitution prévoit, à l’image de la constitution française  adoptée sous la Ve République, que la vacance de la présidence de la République ne peut  être suppléée que par celle du président de l’Assemblée nationale. Or, d’un point de vue  matériel  et dans la situation en cause, il n’existait pas de parlement. Comme on va le voir, la Cour s’était déjà prononcée sur ce vide juridique. Dans l’arrêt qui nous importe  ici, la Cour valide la démission du président de la transition et juge conforme à la constitution son remplacement par le vice-président de la transition, en l’occurrence le colonel A. Goïta. C’est de cet arrêt qu’il faut partir pour comprendre les réactions de la CEDEAO. Et si l’on veut saisir le   problème dans sa complexité juridique, un  détour apparaît nécessaire. Il faut se rappeler que,  dès avril 2020, la même Cour constitutionnelle a invalidé une trentaine d’élections parlementaires, notamment dans plusieurs circonscriptions. Dit rapidement, la Cour juge dans cet arrêt de 77 pages particulièrement circonstancié et détaillé que les conditions dans  lesquelles se sont déroulées la campagne et les élections législatives dans une trentaine de   circonscriptions ne permettaient pas de valider l’élection des députés qui en sont issus. Un  recours en « rectification » de l’arrêt du  30 avril fut introduit par les candidats à la députation  dont l’élection avait été invalidée par les juges. À nouveau, la Cour rejette les recours au  motif que l’article 10 du règlement intérieur invoqué devant elle par  les requérants portait sur les cas de rectification d’erreur matérielle qu’il ne fallait pas confondre avec l’erreur de droit. Pour le dire d’une manière plus simple, les requérants cherchaient à ce que la Cour  revienne  sur sa jurisprudence, en se fondant sur une interprétation contraire à sa décision antérieure.  La  tension sociale était à son comble et plusieurs manifestations menées  par le mouvement  dit du 5 juin-RFP furent réprimées dans le sang, faisant plus d’une vingtaine  de morts. Ce  mouvement  hétéroclite, composé de personnalités issues de la société civile, de responsables religieux et politiques exige, dans un communiqué adressé aux chefs d’État et de  gouvernement de la CEDEAO, la démission du  président  I. B. Keita. Le pouvoir exécutif et  une partie de la classe politique font entendre un autre son de cloche : les revendications du mouvement du 5 juin-RFP sont instrumentalisées à l’encontre de la Cour constitutionnelle  qui devient la cible d’attaques politiques virulentes. D’aucuns ont appelé à sa dissolution,   voire  à  l’utilisation  de l’article 50 de la Constitution de1992 sur l’état d’urgence par le président de la République. En juillet 2020, I. B. Keita décide d’abroger les décrets de nomination d’un certain nombre de membres  de  la  Cour  constitutionnelle. Les  motifs de ce décret imputent cette procédure d’abrogation tant à l’opposition (mouvement du 5 juin) qu’à la contestation « par une partie de la classe politique et de la société civile» de la  proclamation des résultats du second tour de l’élection législative du 19 avril 2020. Sans attendre l’adoption des décrets révoquant leur nomination, cinq juges de la Cour démissionnent. Au cœur de la crise, le président I. B. Keita affirme vouloir se conformer aux  recommandations  de  la  mission de médiation de la CEDEAO proposant de mettre en place  de nouvelles élections partielles dans les circonscriptions où les élections législatives avaient  été invalidées par la Cour. Les recommandations de cette mission, conduite par le ministre des Affaires étrangères du Niger,  K. Ankourao,  font porter à la Cour l’entière responsabilité des troubles sociaux. La mission en appelle à « reconsidérer les  résultats issus des élections législatives» et à « envisager une relecture des textes régissant la Cour constitutionnelle ». En juillet 2020, le président Keita constitue un gouvernement restreint, toujours contesté par  la rue. La CEDEAO menace, elle aussi, d’infliger des sanctions à toutes celles et ceux qui ne se conformeraient pas à l’« ordre constitutionnel » en place. On sait ce qu’il en advint : le 18 août 2020, le pouvoir du président I. B. Keita est renversé par un coup d’État militaire soutenu par la rue. Le lendemain, la CEDEAO annonce une série de sanctions  économiques lourdes  consistant dans le gel des avoirs du Mali, la  fermeture  des  frontières, la suspension de la participation du pays aux décisions de la CEDEAO, la restriction des déplacements de  plusieurs officiels maliens. Ce premier train de sanctions est appuyé par la communauté internationale (Conseil de sécurité de l’ONU, Banque mondiale, UE, États-Unis). Les sanctions demandent le rétablissement du président I. B. Keita dans ses fonctions antérieures  tout en saluant le décret abrogeant la  nomination des juges constitutionnels maliens (point 9 de la déclaration). En septembre 2020, un « compromis » est  trouvé à Accra, devant mener à  l’instauration d’une transition civile ainsi qu’à la tenue de nouvelles élections sous 18 mois. Cette médiation est menée sur le fondement du protocole additionnel sur la démocratie et la  bonne gouvernance. La levée de l’embargo, qui intervient le 5 octobre 2020, est conditionnée  par  l’instauration d’un comité national de transition à deux têtes ainsi que la nomination de  civils à des postes politiques clés. Une charte de transition est adoptée le 12  septembre 2020  et promulguée le 1er octobre  2020. Elle est précédée de la nomination d’un civil, M. Ouane, au poste de Premier ministre le 27 septembre 2020. Elle prévoit une transition d’une durée de  18 mois. Quelques explications apparaissent nécessaires quant au contenu de cette charte de  transition. Une première version prévoyait que le vice-président de la  transition  (A.  Goïta)  pourrait remplacer, en cas d’empêchement, le  président de la transition, B. N’Daw. Cette  version  dans laquelle le vice-président pouvait potentiellement être amené à exercer de  larges prérogatives en matière de défense, de sécurité et de réforme de l’État fut modifiée à Accra sous la pression des  chefs  d’État de la CEDEAO. Dès l’origine, des divergences et  un  manque de confiance apparaissent entre les officiels maliens et  la CEDEAO. De  nombreuses  questions restent pendantes : le mandat de l’institution lui permet-il de s’immiscer à ce point  dans les affaires régaliennes d’un  État souverain ? D’abord  en  disqualifiant explicitement la jurisprudence de la Cour  constitutionnelle et en voulant maintenir l’ancien pouvoir contesté  par la rue du président  I. Keita, ensuite en imposant le choix d’acteurs politiques à des postes  ministériels  régaliens,  enfin  en exigeant la tenue d’un calendrier électoral pour 2022 ?

À dire vrai, la frontière entre  médiation  et  tutelle est franchie à plusieurs reprises sans que l’étendue  juridique  de la médiation engagée par la CEDEAO sur le fondement du protocole  additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance soit interrogée. En réalité, et tout au long de cette affaire, les considérations politiques ont toujours pris le pas sur les questions juridiques. Le 18 décembre 2020, la nouvelle Cour constitutionnelle se prononce sur la légalité de la charte de transition au regard de l’article 86 de la constitution  de  1992.  Sur  le  fond,  la  Cour  juge illégal l’article 2 du règlement intérieur (lui-même déduit de l’article 13  de la charte) de la charte qui prévoit que « les membres du comité national de transition portent le titre de députés de la transition ». L’arrêt substitue l’expression plus neutre de « membres du CNT ». La raison en est  simple : la qualité de député s’obtient par l’élection au suffrage universel, sans quoi on ne peut parler de pouvoir législatif.  La Cour censure aussi la  nomination  des  questeurs  du  nouvel  organe législatif par voie de décret. Elle rappelle le   principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, tout en censurant plusieurs erreurs,   imprécisions ou  incohérences  matérielles figurant dans la charte. Le même jour, un décret  instaure l’état  d’urgence sur l’ensemble du territoire national ; sa durée est prolongée par  une  ordonnance du 30 décembre 2020. On reviendra, simplement pour  le rappeler, sur les  relations conflictuelles entre le Premier ministre et le  président de la transition,  d’un  côté,  et  le  vice-président,  de l’autre. Cette  méfiance réciproque empoisonne la première transition. Un second coup d’État intervient, ce faisant, le 24 mai 2021. Le 26 mai, B. N’Daw et M. Ouane sont contraints de démissionner  de  leurs postes  respectifs. C’est dans ce contexte que la Cour constitutionnelle rend l’arrêt du 28 mai précité, dans lequel elle juge valide le  remplacement au poste de président de la CNT par le vice-président, A. Goïta. Le raisonnement adopté à cet  égard  se  fonde  sur  une  lecture  combinée  des  articles  7  et  8  de la charte de transition : « Le  président de la transition est secondé par un vice-président. Il est désigné suivant les mêmes conditions  que  ce  dernier  (…) tout candidat aux fonctions de président et de vice-président peut être un civil ou militaire ».Si l’on s’en tient à la lettre du  texte, rien dans la charte ne vient contredire l’interprétation rendue par la Cour. Certes,  l’accord politique avec la CEDEAO prévoyait que les fonctions de président et de vice-président ne pouvaient être interchangeables. Cela ne ressort pourtant pas des dispositions de la charte (le délai de 18 mois issu du « compromis » d’Accra n’étant pas remis en cause par la Cour). Faut-il y voir une forme de cynisme, d’incompétence de  la part des rédacteurs de la charte ou de réalisme des juges ? On penche pour la  dernière  branche  de  l’alternative, dans la mesure où, comme le mentionne  l’arrêt, le second coup d’État plaçait les institutions de la  République malienne dans un vide juridique nuisible à terme à la stabilité du pays. S’y ajoute le fait que la charte de transition ne comporte aucune transposition de « l’accord » politique  de la CEDEAO dont il faut rappeler que les dispositions ne sont pas directement applicables dans les ordres juridiques nationaux. Les contraintes de la Cour sont par conséquent très fortes. Elle ne peut prendre le risque d’entériner la vacuité du pouvoir sans une nouvelle contestation populaire ; elle ne peut davantage  donner force juridique aux recommandations politiques formulées par la CEDEAO dont les termes ne figurent pas dans la charte qui lui est donnée d’interpréter. Le choix des juges apparaît dans ces conditions  pragmatique : il prend  acte de la « légitimité » du colonel A. Goïta et du mouvement du 5 juin-RFP l’ayant conduit  au pouvoir. Il ne s’agit nullement pour la Cour d’attribuer aux nouvelles autorités un blanc-seing, dans la mesure où elle considère (s’agissant par exemple du régime juridique des  députés) que les autorités de transition ne disposent que d’une légitimité partielle. En  d’autres  mots, la Cour reconnaît bien le caractère  transitionnel (et donc provisoire) du processus politique en cours. Si les juges ne cherchent pas à en freiner le déroulement (sans doute afin de ne pas générer une nouvelle crise nationale), la Cour lui dénie tout caractère durable d’un point de vue constitutionnel. En décembre  2021, la Cour a de nouveau été saisie par les nouvelles autorités en place de la modification du règlement intérieur de la charte. Des  assises nationales de refondation se sont tenues entre-temps, repoussant la possibilité  d’organiser de nouvelles élections à la date proposée par la CEDEAO. Les dispositions  modifiées du  règlement  intérieur de la charte visent pour la plupart à rendre plus efficace le travail parlementaire. Une seule modification est censurée en ce qu’elle viole le principe de  séparation des pouvoirs tel que la Cour l’avait rappelé dans sa  jurisprudence antérieure.  L’arrêt ne se prononce pas en revanche sur le délai de 18 mois fixé par la CEDEAO (article  22 de la charte) : à sa décharge, la Cour n’était pas saisie de cette question. Des assises nationales de la refondation, il ressort que l’organisation d’élections pour 2022 n’est pas  tenable. Une transition militaire de « cinq années » est  suggérée à la place, ce que rejette   catégoriquement la CEDEAO. Cette durée repose sur un programme politique ayant pour  objectif la restauration  progressive des institutions de l’État sur l’ensemble du territoire malien. Les arguments qui ressortent du communiqué de la CEDEAO font état du non-respect  des engagements pris à Accra, de la violation d’un certain nombre de principes «  démocratiques » et, à terme, d’un risque d’instabilité régionale. C’est dans ces conditions que  la Communauté appelle au rétablissement de « l’ordre constitutionnel».  Le 14 janvier 2022,  des  manifestations massives se tiennent à travers le pays à l’encontre du  troisième train de  sanctions infligé par la CEDEAO et la présence militaire française. Par-delà les simplifications rapides, l’aspiration du peuple malien est prise en étau entre un pouvoir militaire bénéficiant certes d’une légitimité populaire certaine, mais dont la prise de pouvoir  soulève des problèmes importants en matière de garantie des libertés fondamentales et une Communauté faisant preuve d’une intransigeance stérile.

 

De quoi le retour à  « l’ordre constitutionnel » est-il le nom ?

Cette  étape  de  l’exposé  requiert  plusieurs remarques de fond. Une première  incohérence  «  démocratique », interne au système politi-co-normatif malien, tient dans la contestation, dès  2020, de la Cour par un pouvoir exécutif (soutenu par la CEDEAO), censé formellement en  garantir l’indépendance. Tout porte à croire qu’à partir du moment où la Cour a rendu l’arrêt invalidant partiellement plusieurs élections législatives, le pouvoir exécutif en place et la  CEDEAO ont décidé ouvertement de remettre en question  son  autorité. On ne peut mieux  illustrer cette pratique du fait du prince ou de  commandant de cercle. Insatisfait de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle, le pouvoir exécutif, aidé par l’autorité sous-régionale censée apporter son  soutien à la stabilité du  pays,  décide explicitement de se débarrasser des juges en place. L’enchaînement des événements qui suivent le prononcé  de l’arrêt invalidant  partiellement les élections législatives est à cet égard important. Le président de la  République  de  l’époque,  I.  B.  Keita,  avait décidé de révoquer une partie des  juges  de  la  Cour  alors  même  qu’il  est  censé  en  garantir  l’indépendance (articles  45,  81,  82  de  la  constitution  de 1992). À notre connaissance, aucun communiqué de la CEDEAO n’est   intervenu pour rappeler le pouvoir exécutif à ses obligations. Pourtant, le protocole additionnel du 21 décembre 2001 (A/SP1/12/01) sur la démocratie et la bonne gouvernance  du  traité de la CEDEAO garantit  en son  article 1 de la même section («   Des  principes  de  convergence  constitutionnelle») la séparation des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. C’est contre la préservation de ces principes que s’érige le pouvoir exécutif lorsqu’en juillet 2020, l’ancien président I. B. Keita, appuyé par la CEDEAO, impute directement les causes des troubles sociaux ayant secoué le Mali de  mai à  juillet 2020 à  la  jurisprudence de la Cour constitutionnelle malienne. Pour s’être généralement présenté comme la réplique institutionnelle  de  l’Union  européenne, le communiqué de la CEDEAO du 19 juin 2020 prend ici une direction radicalement opposée. Personne n’imagine un  instant  la  Commission européenne mettre  en  cause  l’impartialité du pouvoir judiciaire polonais au sein de l’Union. L’indépendance des pouvoirs doit au contraire être protégée au regard des  textes supranationaux.  Les divergences politiques, lorsqu’elles se font jour, se règlent  devant  la  Cour de justice  de  l’Union.  Le problème qui se pose ici est que la CEDEAO censée aider à la résolution des tensions d’un de ses pays membres fondateurs n’hésite pas à remettre en  question une de ses institutions  fondamentales.  Rien  ne semble plus  maladroit dans un  contexte lié à l’humiliation nationale collective que représente la présence sur le sol malien de forces étrangères  depuis  dix  ans.  On  ne  saurait mieux s’y prendre pour galvaniser l’unité nationale autour du pouvoir en place. Plus étonnant est  l’appel au  rétablissement de «   l’ordre constitutionnel » comme si, là encore, les décisions rendues par la plus haute juridiction  constitutionnelle nationale y compris la nouvelle Cour constitutionnelle pourtant issue des recommandations de la Communauté étaient purement et simplement ignorées par la CEDEAO. C’est  d’ailleurs ce qui ressort de la lecture des différents  communiqués. Au-delà  des divergences de calendrier électoral, fallait-il en référer au respect des principes démocratiques  dans  un  espace sous-régional  où  la  majorité  des  pouvoirs  en  place  ne  peuvent  se  targuer  d’être  vertueux  en  matière  d’élections ?   Les  récents coups d’État en  Guinée et  au  Burkina  Faso  en constituent des témoignages éclatants. La multiplication des coups d’État militaires est aussi liée à des modifications constitutionnelles illégitimes, sans que la CEDEAO réagisse avec autant  de  vigueur. Comment comprendre cette fixation pour  un retour à « l’ordre  constitutionnel » ?  Le  sens des mots importe : la CEDEAO ne peut  l’ignorer.  Exiger  un  retour  à  « l’ordre  constitutionnel » dans un pays divisé depuis dix ans, gouverné par un pouvoir corrompu dont l’ancien chef  d’État n’a pas hésité à remettre en question ledit «ordre constitutionnel  »,  en  fonction de ses ambitions politiques personnelles, laisse songeur. Mettre l’accent sur l’établissement d’un calendrier électoral et d’un  chronogramme apparaît, dans cette longue période de déstabilisation que connaît le Mali, incongru. S’y référer sans proposer une sortie de crise  concertée  et  conforme  aux  attentes  du  peuple  malien  semble  d’autant  plus  hasardeux :  la CEDEAO privilégie-t-elle  le  retour à la stabilité régionale au détriment des intérêts  nationaux ?  Les  milliers de morts, destructions de villages, déplacements massifs de population, fermetures d’écoles et de services publics qui émaillent le quotidien  du pays depuis  près  de  dix années ne valent-ils pas mieux qu’un  retour  expéditif  à  «  l’ordre  constitutionnel » manifestement déconnecté   du quotidien  d’une  grande partie de la population ? Voilà une série de questions de bon sens que tout un chacun au fait de la crise malienne ne peut s’empêcher de poser. Les différents communiqués de la CEDEAO ne permettent pas de se faire une idée précise de la façon dont l’institution se représente « l’ordre constitutionnel » qu’elle réclame. Toute cette précipitation  laisse penser que le Mali ne mériterait rien  de plus qu’un vernis  de stabilité à court terme pour  ne  rien  dire  d’une  démocratie de façade, quitte à retomber dans les errements de  l’ancien pouvoir en place. Qu’en est-il de la situation socioéconomique, pour ne rien dire de celle militaire ? Manifestement, la CEDEAO envisage les  événements politiques du Mali  moins  pour  eux-mêmes que pour le risque de « contamination » politique qu’ils seraient  susceptibles d’engendrer,  ce qui est  déjà  le  cas  au Burkina Faso et en Guinée. Une  seconde  observation  tient  à la  forme  juridique  utilisée  par  la  CEDEAO pour contraindre le Mali à  se  plier  aux  recommandations  qu’elle  formule.  Si  l’on  s’en  tient  par  exemple  au  communiqué  du  19  juin  2020,  force  est  de  reconnaître  que  l’institution  sous-régionale  attribue à ses communiqués une valeur pour le  moins  extensive.  Au  nom  de  quoi  une  médiation pourrait-elle primer sur le droit  positif  national  en  vigueur  ?  Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le  fondement  juridique  du  communiqué  de  la  délégation  ministérielle  du  19  juin  2020  repose,  si  on  se  réfère  au  protocole  additionnel  du  21  décembre 2001, sur les articles 12 3) à 18. Il ressort de ces articles  que  les  recommandations  formulées  par  une  mission  de la CEDEAO n’ont aucune force normative sans  doute  est-ce bien à ce titre qu’on les qualifie de simples recommandations. Elles sont adressées au secrétariat exécutif  de  la  CEDEAO  qui  peut  «  (…) décider  des  mesures  à  prendre ». Or,  s’agissant  du  Mali,  tout  s’est  passé comme  si  les  préconisations de certaines médiations disposaient intrinsèquement d’une autorité supranationale suffisamment contraignante pour s’appliquer directement dans l’ordre juridique  malien. C’est  là  une  confusion  juridique   regrettable   aux   conséquences    multiples : discrédit du pouvoir judiciaire en  place, remise en cause de la légitimité de la CEDEAO aux yeux du  peuple  malien, première victime des sanctions économiques infligées.

 

La légalité des sanctions infligées en question

C’est   l’occasion   de   rappeler,   à   contre-courant   du   discours   ambiant, que la décision sanctionnant la  participation  du  Mali  aux  institutions  de  la CEDEAO constitue bien  un  acte  juridique,  quand  bien même cet acte serait pris sous forme  de  communiqués  émanant  des  chefs  d’État  et  de  gouvernement.  Par  conséquent,  il  est  tout  à  fait  loisible  pour  le  gouvernement  malien d’attaquer ledit acte devant la Cour de justice de la CEDEAO. À  défaut,  l’article  7  de  la  Charte  africaine des droits de l’homme et des  peuples  (consacrant  le  droit  à  être  entendu,  lequel  fait  partie  des  sources du droit de la Communauté) et le droit à un procès équitable seraient vidés de tout contenu.  Telle  est  la  condition  permettant  d’assurer au gouvernement malien, comme  à  tout  autre  État  membre,  un droit de défense minimal. Avant d’en venir au détail des sanctions  prises  par  la CEDEAO,  sans  doute  convient-il  de se faire  une  idée globale de l’étendue des sanctions internationales infligées  au gouvernement  malien. Le premier train de sanction de la CEDEAO (août 2020) fut accompagné d’une résolution  du  Comité  permanent  de  la  francophonie  (OIF)  qui,  par  la  voix  de  sa  secrétaire  générale,  condamne  la  prise  de  pouvoir  des  militaires et appelle aussi au retour à  « l’ordre   constitutionnel ». La  Banque mondiale, de son côté, suspend  provisoirement ses  décaissements lors du second coup d’État de mai 2021 avant de  reprendre sa coopération avec le gouvernement malien en septembre de la même année. L’Union africaine, se fondant sur l’avis du Conseil  paix  et  sécurité  (CPS),  a  suspendu le  Mali  (à deux reprises, respectivement lors du premier et du second coup  d’État) de sa  participation  aux activités de l’UA tant que le retour à « l’ordre constitutionnel » et au délai d’organisation d’élections sous 18 mois ne serait pas respecté. Les  conclusions  rendues  par  la  mission  paix  et  sécurité  en  juillet  2021  saluent  les  efforts  entrepris par les   autorités   maliennes  tout en exprimant sa vigilance quant à l’organisation à court terme d’élections   indépendantes.  Elles en  appellent à la solidarité des États  de  l’UA dans la  mise  en  œuvre des priorités stratégiques définies par le gouvernement malien pour l’année 2021-2022.  Enfin,  réunie en session  extraordinaire  à Accra le 9 janvier 2022, la conférence des chefs  d’État et  de  gouvernement  de  l’UEMOA relève « l’absence de  progrès  dans  le  processus  de  restauration d’un ordre constitutionnel et démocratique normal au Mali (…) ».  Elle  décide  non seulement « d’endosser les sanctions » infligées par la CEDEAO,  mais  aussi  en  impose  de  nouvelles : «  incluant  notamment  des sanctions économiques et financières ». Elle suspend de surcroît le Mali de sa participation à l’institution. La BCEAO décide  d’agir de même, en gelant les avoirs du Mali. Terminons ce panorama  en évoquant le  soutien  apporté par les États-Unis, la France et l’Union européenne aux sanctions prises par la CEDEAO. Le compte rendu du représentant  spécial du Secrétaire général de l’ONU au Mali est plus nuancé, dans la mesure où il appelle à prendre en considération les travaux des assises nationales de la refondation qui devaient servir de base à un futur accord de paix. Le 11 janvier, la Chine et la Russie se sont  opposées à l’adoption  d’une résolution  introduite  par  la  France et les États-Unis, proposant de soutenir les sanctions infligées par la CEDEAO à l’égard du Mali. La nature des sanctions qui figurent dans le dernier communiqué final du sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO publié le 9 janvier 2022 est essentiellement d’ordre économique, diplomatique et  politique. Elles vont  du  rappel  des  ambassadeurs des pays membres de la CE-DEAO  au  Mali,  en  passant  par  la  fermeture  des  frontières  terrestres  et aériennes, la suspension des transactions commerciales – en dehors des  produits  de  première  nécessité, le gel des avoirs de la République malienne  dans  les  comptes de la BCEAO ou la suspension des transactions financières en faveur du  Mali  par  la  BIC et  la  BOAD. Moins  médiatisé  a  été  le  point  12  du  communiqué  du  9  janvier  précité par lequel la CEDEAO « (…)  décide   d’activer   immédiatement   la  force  en  attente (…) qui doit se tenir prête à toute éventualité». L’option militaire n’est, par conséquent, guère écartée. Les motifs de ces sanctions tiennent dans le non-respect  des  engagements  pris  lors de la conférence qui  s’est  tenue  à  Accra  en  septembre  2020.  La  CEDEAO demande  l’organisation rapide d’élections à court terme et rejette le délai de 5 ans issu des assises  nationales de la refondation. Les sanctions précédentes (16 septembre 2021) étaient  ciblées,  visant les officiels maliens et leur famille. Les premières sanctions qui suivent le premier coup d’État (20 août 2020) suspendent la participation   du   Mali   aux   organes   de  la  CEDEAO,  l’arrêt  total  des  échanges  économiques  tout   en ciblant les putschistes, leurs partenaires et leurs collaborateurs. Les  sanctions  doivent  par  conséquent  être  systématisées  en  fonction  des  acteurs.  Celles  prises  par  la CEDEAO et l’UEMOA sont de loin les plus étendues ; celles adoptées  par  l’Union  européenne  et l’Union africaine demeurent, dans une certaine mesure, ciblées. Enfin, au plan international, la CEDEAO est  soutenue  par  un  ensemble  de  pays occidentaux (et d’institutions telles  que  la  Banque mondiale) plus ou moins actifs d’un  point de vue  diplomatique (l’ancienne  puissance  coloniale  étant  la  plus  active  de  toutes)…

A suivre dans notre prochaine édition.

Lionel Zevounou

Université Paris Nanterre Centre de théorie

et Analyse du droit (UMR, 7074) CORA 

(Collectif  pour le renouveau africain)

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    Les traités inégaux, sont un ensemble de traités datant du XIXe siècle, imposés à la Chine, à la Corée, par les puissances colonisatrices de la région (Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Allemagne, Russie, États-Unis, Autriche-Hongrie, Portugal, Japon) .

    le terme « traité inégal » est parfois utilisé pour qualifier un traité discriminatoire, déséquilibré ou obtenu sous la contrainte, offrant des avantages disproportionnés à l’une des parties signataires, notamment sur le plan économique, politique ou militaire.

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