Vue des Maliens, l’institution sous régionale privilégie souvent les rapports de force, fonctionne selon un schéma contraire à ses textes, puisqu’elle s‘acharne à faire plaisir à Paris, alors que côté Cédéao on accuse Bamako de nourrir de sombres desseins.
L’onde de choc provoquée par l’expulsion de Hamidou Boly n’en finit pas de parcourir la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao). L’organisation sous régionale ne décolère pas contre le Mali qui a déclaré « persona non grata » son représentant.Alors que les relations du Mali avec ce partenaire étaient déjà passablement tumultueuses, ce dernier a pris le risque d’une dégradation plus profonde encore. Selon le ministre des Affaires étrangères et de la coopération Abdoulaye Diop « l’intéressé a engagé avec des groupes, des individus de la société civile comme du monde politique ou même du monde de la presse qui entreprennent des activités hostiles à la transition. Il est du devoir des autorités en place de s’assumer ».
L’expulsion du diplomate reste une mesure avant tout symbolique. C’est, une façon de marquer le coup et d’éviter tout signe de faiblesse. Quel statut pour quelle immunité ? Selon la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (1961) et la Convention sur les relations consulaires (1963), les diplomates jouissent d’un statut reconnu internationalement, et notamment d’une immunité qui les couvre dans l’exercice de leur fonction. Ces avantages doivent les rendre libres de leur action dans des contextes politiques parfois difficiles. Pour rester sur le territoire malien, le ministère des Affaires étrangères leur délivre un titre de séjour spécial renouvelable.
Mais ils ont aussi des devoirs : ils doivent s’astreindre à respecter les réglementations locales : « En cas de défaillance grave ou répétée, le ministère [service qui accueille les ambassadeurs étrangers] sera amené à prendre diverses mesures, de la simple mise en garde à la déclaration “persona non grata” ».
Peuvent-ils être expulsés ?
Un diplomate peut être désigné « persona non grata » (« personne qui n’est pas la bienvenue »). Il est alors visé par une procédure d’expulsion mais conserve son statut diplomatique, ce qui l’empêche de demander l’asile.
La décision d’expulsion doit être assumée par l’Etat d’envoi, qui est tenu de rappeler la personne jugée indésirable et de s’assurer que son départ du territoire est effectif. Si ce dernier refuse, l’Etat d’accueil peut refuser de reconnaître la personne concernée en tant que membre d’une mission diplomatique et peut alors être expulsé comme n’importe quel citoyen étranger.
Bamako incompris
La Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest a infligé dimanche à Accra des sanctions individuelles contre les membres de la transition, en raison du retard dans l’organisation des élections.«Toutes les autorités de la transition sont concernées par des sanctions qui vont entrer en application immédiatement», a relayé le président de la Commission, l’Ivoirien Jean-Claude Kassi Brou, au terme du sommet extraordinaire consacré sur la situation au Mali et en Guinée.
Ces sanctions comprennent l’interdiction de voyager et le gel de leurs avoirs financiers, a-t-il détaillé, précisant qu’elles visaient aussi les membres de leurs familles. Selon lui, «le Mali a officiellement écrit» au président en exercice de la Cédéao, le Ghanéen Nana Akufo-Addo, pour lui notifier ne pas pouvoir tenir les élections à la date prévue.
«La Cédéao a décidé de sanctionner tous ceux et celles qui sont impliqués dans le retard» de l’organisation des élections prévues le 27 février 2022 au Mali, a expliqué Jean-Claude Kassi Brou. Lors d’un sommet le 16 septembre à Accra, l’organisation régionale avait exigé des militaires maliens le «respect strict du calendrier de la transition» vers le rétablissement d’un pouvoir civil. Après le putsch du 18 août 2020 à Bamako, la Cédéao avait suspendu le Mali de l’organisation et stoppé les échanges financiers et commerciaux avec le pays.
Cédéao aux bottes de la France
Le Mali est avant tout un État souverain, soucieux de défendre ses intérêts nationaux et qui ne veut pas faire le deuil de la perte de plus de 2/3 de son territoire national pour convoquer des élections dont les résultats seraient contestables et contestés avec des risques de replonger dans une nouvelle crise politique aux conséquences incalculables.
La Cédéao n’est pas un partenaire compréhensible pour le Mali. Comme l’a observé l’écrasante majorité des citoyens.Elle représente plutôt le type même d’institution que les Maliens ont beaucoup de mal à comprendre : une union qui a les yeux rivés sur le petit doigt français. « Qui paye commande » dit l’adage. De plus, elle privilégie souvent les rapports de force, fonctionne selon un schéma contraire à ses textes, puisqu’elle s’acharne à faire plaisir à Paris. Une phase d’introspection doit faciliter la réflexion sur le pourquoi elle n’est nullement perçue comme une Cédéao des peuples, pour la seule raison qu’elle souffre d’une insuffisante prise en compte des intérêts de ceux -ci.
Georges François Traoré
Cascade de réactions sur RFI :
Djiguiba Keïta, secrétaire général du Parena
« Se donner une nouvelle feuille de route »
« Nous regrettons qu’on en soit arrivés là, mais faute de volonté politique de tenir nos engagements. Et cela signifie que nous sommes en porte-à-faux avec la communauté internationale, avec la Cédéao et tous nos voisins et c’est à nous de trouver la solution… Depuis le coup d’État du 18 août 2020, il n’y a pas une date concrète pour aller dans le sens de l’organisation des élections. Nous ne croyons pas que ce soit les sanctions qui doivent pousser les militaires à respecter leurs engagements. Nous souhaitions seulement qu’il y ait un sursaut national, que les Maliens mêmes comprennent qu’ils doivent se retrouver, pour donner un nouveau départ et convaincre nos partenaires que nous sommes de bonne foi, pour arriver à une fin heureuse de la transition, rassembler les forces vives de la nation en quarante-huit heures, pour se donner une nouvelle feuille de route et rassurer nos partenaires que nous pouvons tenir les élections dans tel et tel délai. Et à ce moment-là, convenir avec la Cédéao et avec ce nouvel agenda nous pouvons tenir nos engagements ».
Sory Ibrahima Traoré, président de Fer-Mali :
« Les élections après la sécurité »
« Les sanctions ne sont jamais une bonne chose, surtout à l’endroit des dirigeants d’un pays en difficulté extrême comme le Mali. Il est évident aujourd’hui, que le Mali ne peut pas organiser une élection crédible, transparente et apaisée, à la date du 27 février 2022. Il serait judicieux, qu’ensemble, nous nous mettions autour d’une table, pour analyser dans le fond, les conditions à créer pour tenir une élection qui conduira le Mali vers une période plus stable et meilleure. Il est évident que les conditions sécuritaires et les conditions réglementaires et légales, qui devront être créées pour un processus électoral au Mali, ne sont pas réunies. Le Mali, aujourd’hui, a au moins trois quarts du territoire qui échappent presque totalement au contrôle de l’État central. Si nous arrivons à créer les meilleures conditions sécuritaires, c’est après cela que nous pourrions parler d’élections ».
JeamilleBittar, porte-parole du M5
« Plutôt nous aider »
« Nous sommes quand même un État souverain. Il ne faudrait pas que la Cédéao nous impose quelque chose qui pourrait nous amener dans un chaos qui ne dirait pas son nom. Il faut que les gens comprennent qu’aujourd’hui, l’environnement ne se prête pas à tenir les élections. Parce que le territoire est envahi par l’insécurité et cette insécurité a été sciemment créée par la France. La communauté internationale, notamment la Cédéao, aujourd’hui, n’est pas en mesure de nous faire un dictat. Parce que la décision du peuple malien, aujourd’hui, d’assainir cet environnement sur le plan sécuritaire, sur les réformes que nous envisageons, pour que nous ayons moins de contestations possibles après les futures élections à venir… Je pense que c’est à cela que la communauté internationale devrait nous aider, plutôt que des menaces, des pressions, pour déstabiliser encore davantage notre pays. Nous n’avons pas besoin de cela ».