Sur le long du trajet, les passagers des cars de transport sont obligés de mettre la main à la poche à chaque poste de sécurité. Et le parcours compte 23 postes, dont 17 sur le territoire burkinabé.
Dans la nuit du 26 au 27 mars 2019, vers 4 heures du matin, un bus de la compagnie nigérienne (RIMBO Transport Voyageur) démarre à Badalabougou. Direction : le Niger. Les passagers sont des ressortissants des pays de l’espace CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigeria, la Guinée-Conakry. Au bout de huit heures et trente minutes de route, nous voilà au poste mixte de Koury, à quelques kilomètres de la frontière Mali-Burkina Faso.
A peine sortis du bus, l’inquiétude se lit sur le visage des passagers non Maliens. Sous un soleil ardent et un vent sec, un policier se tient debout. Les passagers défilent devant lui. L’agent collecte les pièces d’identité. Pour ne laisser personne échapper au contrôle, il fait un tour dans le véhicule pour s’assurer que tous les passagers sont descendus.
Parmi les voyageurs, Mohamed Ag Mahatma, un jeune homme de 17 ans, de nationalité burkinabé, présente sa carte scolaire. Ce document n’est pas reconnu par le policier malien comme une pièce d’identité légale. Mohamed, pour délit de non possession d’une carte d’identité, doit payer 2000 Fcfa. La même sanction est infligée à toute personne ne possédant pas de pièce d’identité.
A une dizaine de kilomètres de Koury, dans la localité de Sona, située à la frontière Mali-Burkina Faso, se dresse un second poste de contrôle. Ici, le contrôle est plus strict. En plus de la carte d’identité, ceux qui n’ont pas la carte de vaccination comme Mohamed paient 3000 Fcfa. Pour l’adolescent, la pilule est dure à avaler. Il s’éloigne des policiers pour respirer un grand coup. Il se plaint : «2000 Fcfa, c’est raisonnable mais 3000, c’est trop». Après quelques minutes de réticence, l’élève finit par céder. Sur le territoire burkinabé, un grand soulagement apparaît sur le visage des ressortissants burkinabé.
La libre circulation des biens et des personnes dans l’espace CEDEAO se heurte à de nombreux écueils dans la pratique. Tout voyage par voie terrestre est un cauchemar pour les ressortissants de l’espace. Le calvaire est permanent au niveau des 23 points de contrôle longeant le trajet Bamako-Burkina Faso-Niger. Les rackets sont monnaie courante. En effet, à chaque poste de contrôle, il faut payer entre 2000 et 3000 Fcfa. Dans ces lieux qui accablent les ressortissants des pays membres de la CEDEAO, le Burkina Faso bat tous les records puisque ce pays, à lui seul, compte 17 points de contrôle, contre 2 au Mali et 4 au Niger.
ALTERCATION-Vendeurs de bazin, Awa Diakité et son neveu Moussa Camara sillonnent les pays de l’Afrique de l’Ouest pour participer à des foires régionales. Ces deux Maliens savent bien ce qui les attend, dès qu’ils quittent le territoire national. Awa Diakité, la quarantaine, habillée en tissu léger de couleur rouge, modèle «Grand Dakar», habituée de la route, trimbale un gros sac à main. Elle connaît bien le système de contrôle et sait comment s’y prendre pour éviter les incessantes tracasseries. A certains postes de contrôle, elle fait semblant d’être malade. Dans d’autres, elle joue à la femme enceinte. Mais, ses ruses ne fonctionnent pas toujours. C’est ainsi qu’un jour, un agent intima à la malade imaginaire de payer. Celle-ci n’ayant pas l’intention de s’exécuter, tendit le seul billet de 1000 Fcfa qu’elle avait à portée de main. L’agent vociféra : « Madame, je vous demande 2000 Fcfa et vous donnez la moitié ! Soit vous payez, soit vous vous mettez de côté, mais ne me faites pas perdre mon temps ». En réponse, Awa lui dit : «pourquoi me parlez-vous ainsi ? 1000 Fcfa ce n’est pas de l’argent ? Si c’est si facile d’en trouver comme vous le croyez, dessinez un billet ! ». Une terrible altercation s’en est suivie. La scène était spectaculaire. Les’interventions des uns et des autres calmeront les protagonistes. Mais la dame a fini par payer les 2000 Fcfa, et demandé pardon au gendarme.
Les gratifications faites aux agents de sécurité, le long du trajet, sont imposées à toute personne ayant quitté son pays d’origine. Seuls les hauts fonctionnaires, les ingénieurs, les journalistes, les professeurs etc; sont épargnés par les agents responsables de ces rackets. Parfois, on observe, au bord de la route, des forces de sécurité motorisées, rien que pour le racket. Ce qui laisse croire qu’elles n’ont pas de poste fixe. Le plus étonnant, c’est qu’au cours de toutes ces opérations de vérification, les bagages n’ont jamais été vérifiés. Dans le pays de transit, pas une seule fois, ils n’ont fait l’objet de vérification ni par la douane ni par les autres. A la frontière du pays de destination, la douane a fait semblant de jeter un coup d’œil, sans défaire les bagages.
En effet, le chauffeur de bus semble comprendre le fonctionnement du système. Après avoir garé son bus, il s’est approché des douaniers et leur a tendu une liasse de billets. C’est la contribution de tous les passagers commerçants pour soudoyer les agents.
Le fonctionnaire malien, Pathé Kantao, quant à lui, n’a pas d’ordre de mission pour couvrir son voyage. Pour cela, il paye à chaque poste, sans se plaindre. Il déplore avoir décaissé 28 000 Fcfa entre le Pays des hommes intègres et le Niger.
Il faut dire que les autorités de la CEDEAO doivent redoubler d’effort afin de mettre fin à ces pratiques qui étouffent nos concitoyens et ralentissent le développement socio-économique de nos pays et aussi favorisent les trafics illicites.
Maïmouna SOW