De Conakry à Bamako, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) est contrainte de suivre le rythme que lui imposent les juntes malienne et guinéenne. Au risque de passer pour celle qui se tourne les pouces en attendant des sorties de crise.
Dans leur volonté de “rétablir les ordres constitutionnels” rompus au Mali et en Guinée par des coups d’État militaires, les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) multiplient les mises en garde et menaces. Au lendemain du Sommet ordinaire tenu le 12 décembre 2021 à Abuja, ils ont encore exigé des régimes en place à Bamako et Conakry des dates butoirs pour la tenue d’élections générales afin de relancer les processus démocratiques en panne. Une corvée compliquée par diverses incohérences ou erreurs de jugement, jugent des observateurs.
Laisser les Maliens décidés d’eux-mêmes
“Aujourd’hui, il me semble indispensable que la Cédéao mette de côté la pratique des sanctions infligées au Mali et à la Guinée, car elles ne sont pas forcément pertinentes. Elle a fait une mauvaise lecture des situations dans ces deux pays et surtout au Mali. Il est vrai qu’il y a eu coup d’État, mais il faut laisser les Maliens décider eux-mêmes de la durée de leur transition avec l’accompagnement de la Cédéao. Précipiter cette transition juste pour aller très vite à des élections qui seraient bâclées ramènerait le pays dans un autre engrenage”, souligne Moussa Aksar, consultant sur les problématiques sécuritaires dans le Sahel.
Après le Sommet d’Abuja, les chefs d’État ont accentué la pression sur la junte malienne en “maintenant la date du 27 février 2022 pour l’organisation des élections au Mali” sous peine de mettre en œuvre “des sanctions additionnelles en janvier 2022“, selon des propos tenus par Jean-Claude Kassi Brou, le président de la Commission de la Cédéao. En réponse, le colonel Assimi Goïta, Président de la transition malienne, a donné des gages en promettant d’établir un chronogramme détaillé du processus de retour à la vie civile au plus tard le 31 janvier 2022, Pour la Guinée, déjà suspendue des instances communautaires, la Cédéao réclame la tenue d’élections “dans un délai de six mois“, mais cette injonction est balayée par le lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya, leader de la junte.
Le paradoxe
“En réalité, la Cédéao est fortement affaiblie par son inaction à des moments où des signaux d’alerte ont été lancés par plusieurs organisations politiques et sociales au Mali, en Guinée et dans l’espace communautaire. Elle aurait dû faire entendre sa voix pour rappeler à l’ordre des membres du syndicat des chefs d’État engagés dans des aventures anti-démocratiques dangereuses. Elle a préféré mettre des lunettes en bois pour ne pas les gêner”, analyse pour Sputnik le journaliste d’investigation Moussa Aksar, par ailleurs président de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo).
Dans leur dernier communiqué sur le Mali et la Guinée, les chefs d’État et de gouvernement de l’organisation ouest-africaine n’ont pas abordé des phénomènes pouvant être vus comme des ruptures de l’ordre constitutionnel. Or, “l’opinion africaine considère comme un paradoxe de voir un leader politique arrivé au pouvoir par un coup d’État constitutionnel ou électoral participer aux sanctions infligées aux auteurs de coup d’État“, lit-on dans la résolution publiée par un parterre de personnalités et d’organisations africaines réunies par le Think-Tank Afrikajom Center à l’occasion des vingt ans de pratique du protocole de la Cédéao sur la démocratie et la bonne gouvernance.
Un catalogue de principes
“La récurrence des manipulations constitutionnelles pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels à deux et les fraudes électorales constituent des violations de l’ordre constitutionnel au même titre que les coups d’État militaires. Les coups d’État, qu’ils soient constitutionnels, électoraux ou militaires affaiblissent la légitimité et la crédibilité des gouvernements des États membres”, écrivent Afrikajom Center et ses partenaires.
Le protocole de la Cédéao sur la démocratie et la bonne gouvernance est un catalogue de principes organisant la vie démocratique dans les États. Il traite aussi bien de la séparation des pouvoirs, de la place des partis politiques, que de la réforme des lois électorales et de l’intangibilité des constitutions.
“Les atteintes récurrentes et répétées aux dispositions pertinentes du protocole relatives au respect de l’État de droit, de la démocratie, des droits de l’homme et de la gouvernance par les États membres sont une menace à la paix, à la stabilité et à la sécurité des États”, ajoute le Think-Tank.
Sputniknews