Dr. Mohamed Amara, sociologue, analyste politique et sécuritaire au Sahel revient sur le retrait annoncé des Etats de l’AES de la Cédéao et les conséquences que ce retrait peut engendrer sur les populations de ces trois États. Entretien.
Mali Tribune : Comment faut-il analyser l’annonce du retrait des Etats de l’AES au sein de la Cédéao ?
Dr. Mohamed Amara : Deux niveaux d’analyse : la première, d’abord c’est une situation burlesque, une suite logique de la création de l’AES en septembre 2023. Il était difficile de continuer à faire le grand écart entre la Cédéao et l’AES. Le deuxième niveau, le retrait de l’AES de la Cédéao signifierait la volonté du Mali, du Burkina-Faso et du Niger de s’affirmer vis-à-vis de leurs homologues de l’espace Cédéao et de ne plus subir les régimes des sanctions.
Mali Tribune : Selon vous, ce retrait est-il cohérent ?
Dr. M. A. : La cohérence du retrait de la Cédéao ne fait aucun doute. Mais la question demeure les conséquences (circulation des personnes et des biens) à long terme du retrait sur les populations de part et d’autre. En tout état de cause, c’est une manière pour ces trois États de se libérer des chaînes de la Cédéao qu’ils considèrent être sous influence étrangère.
Mali Tribune : D’une part est-ce que ces Etats n’ont pas raison au regard du deux poids deux mesures de la Cédéao qui condamne des coups d’Etat militaires, bénit d’autres et encourage les troisièmes mandats au sein de l’espace ?
Dr. M. A. : le retrait des Etats de l’AES de la Cédéao est aussi à mettre en lien avec le contexte actuel de rejet de la Cédéao par une partie de la jeunesse. Elle lui reproche sa partialité à l’égard des chefs d’Etats qui modifient la constitution pour faire un troisième mandat. La Cédéao est perçue comme une organisation de protection de chefs d’État qui ne veulent pas quitter le pouvoir. Or, elle est censée jouer un rôle de garde-fous aux dérives politiques dans son espace.
Mali Tribune : Dans un communiqué, la Cédéao prône une solution négociée avec ces trois États pour sortir de l’impasse politique. Les Etats de l’AES vont-ils accepter cette offre ?
Dr. M. A. : Bien sûr. La Cédéao tente de trouver un terrain d’entente avec les chefs d’État de l’AES pour éviter que leur départ ne crée des vagues au sein de la communauté. Mais, il me semble que les tensions sont telles que les recherches de compromis aboutissent difficilement. Mais rien n’est à exclure d’autant que ce sont les mêmes populations avec les mêmes modes de vie et de pensée qui peuplent l’espace Cédéao.
Mali Tribune : Si d’aventure ils refusent cette offre négociée en sortant définitivement de l’organisation, quelles peuvent-être les conséquences d’un tel retrait sur les populations des trois Etats et plus largement sur la Cédéao elle-même ?
Dr. M. A. : il y a effectivement un risque d’éloignement entre l’AES et la Cédéao qui ne profite à aucun État. Les difficultés de circulation des personnes (commerçants, scientifiques, etc.) et des biens ne seront pas négligeables. Elles pourront devenir des sources de tensions entre les peuples.
Mali Tribune : Quelle suite pour les Transitions en cours dans ces trois États de l’AES ?
Dr. M. A. : La suite aujourd’hui, c’est de travailler à la résolution des problèmes de circulation des personnes et des biens, au retour à l’ordre constitutionnel. En fonction de l’évolution de la situation, il n’est pas exclu que les États de l’AES sortent de l’Uémoa pour créer leur propre devise.