La situation du Sahel n’est guère reluisante : pluies diluviennes au Burkina-Faso, au Mali, au Niger ou au Sénégal, débats enflammés dans les médias, les grins et sur les réseaux sociaux à propos de l’alternance démocratique en Côte d’Ivoire ou en Guinée-Conakry. C’est le contexte actuel de ces pays d’Afrique de l’Ouest. Hélas !
Le 7 septembre 2020, les chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont exigé du Colonel Assimi Goïta, président du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP), une transition civile rapide :
“…Nous avons aussi demandé la mise en place d’une transition, d’une durée de 12 mois maximum, dirigée par des civils. Le Mali a plus que jamais besoin de stabilité pour que les aspirations fortes du peuple Malien à la sécurité, au développement soient pleinement satisfaites…”, extrait du discours du Nigérien Mahamadou Issoufou, président en exercice de la Cédéao lors du sommet du 7 septembre dernier. Le successeur du Nigérien Mahamadou Issoufou, en l’occurrence, le Ghanéen Nana Akufo-Addo, nouveau président en exercice de la Cédéao, hérite du brûlant dossier malien. Sous l’autorité du président Nana Akufo-Addo, les chefs d’Etat de la Cédéao enjoignent au CNSP d’installer au plus tard, le 15 septembre 2020, un président de la République et un chef de gouvernement civils pour conduire la transition d’un an. La proposition d’une transition civile de la Cédéao au CNSP rappelle celle de la transition Burkinabé (2014-2015), dirigée par le diplomate Michel Kafando. Le président Kafando a essuyé un coup d’Etat le 17 septembre 2015, qui a finalement échoué, avant de reprendre son poste presque une semaine après. Certes, la situation du Burkina Faso n’est pas comparable à celle du Mali. Mais il y a quelques similitudes.
Le contexte burkinabé était celui d’un président (Blaise Compaoré) qui avait pris le pouvoir par coup d’Etat depuis 27 ans, et qui ne voulait plus céder la place. Alors que le contexte malien est celui d’un président démocratiquement élu (Ibrahim Boubacar Keita, IBK) et à qui le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) a demandé de démissionner à deux ans et demi de la fin de son deuxième et dernier mandat. Les Maliens, notamment le M5-RFP, reprochaient à IBK de ne pas écouter le “peuple”, et de mal gérer le Mali. Mais, le dénominateur commun entre ces deux contextes (burkinabé et malien), c’est qu’IBK comme Blaise Compaoré ont démissionné suite aux contestations sociopolitiques (M5-RFP au Mali et balai citoyen au Burkina-Faso) avec l’assaut final de l’armée. Aujourd’hui, la Cédéao semble vouloir rejouer le même scenario pour le Mali. C’est pourquoi, les rapports entre le Ghanéen, Nana Akufo-Addo, et le Colonel Assimi Goïta du CNSP ne sont pas au beau fixe. Et sans réponse officielle du CNSP, la Cédéao maintient ses sanctions contre le Mali : fermeture des frontières, interruption des flux financiers…
Mais la vraie difficulté pour la Cédéao, c’est qu’une partie des Maliens n’en ont cure. Pour eux, peu importe le pouvoir, c’est le bon moment pour faire un diagnostic des problèmes maliens : violences, insécurité, terrorisme, conflits de normes et d’intérêts, exclusion, corruption, mal gouvernance, rejet de la classe politique… Cette partie de la population, majoritairement jeune, reproche à la Cédéao sa frilosité à l’égard de certains chefs d’Etat qui se représentent pour un 3eme mandat à la magistrature suprême. Les présidents Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire et Alpha Condé en Guinée-Conakry sont dans le collimateur de cette jeunesse. C’est une des raisons de la crispation des rapports entre le Mali et la Cédéao. Et une confrontation entre les deux parties n’est pas à exclure.
Le CNSP et la Cédéao rivalisent à coups de communication pour s’imposer : sanctions de la Cédéao, concertations des Maliens par le CNSP, etc. Pour asseoir ses actions, le CNSP s’appuie sur les Maliens comme un bouclier en vue d’installer son pouvoir. Ainsi l’organisation des concertations actuelles pour écouter les Maliens sur les modalités de la transition (charte, feuille de route, architecture…) en est la parfaite illustration. Mais la capitalisation d’un tel sentiment d’approbation des populations requiert de la part du CNSP une position de neutralité, voire un traitement égalitaire des Maliens. Faute de quoi, les Maliens se détourneront du CNSP. Ce qui contenterait la Cédéao. Dans cette stratégie d’imposition, pour gagner davantage le cœur des Maliens, le CNSP a remplacé la logique de l’urgence par celle de la participation citoyenne. Ce qui n’est pas sans effet sur les populations qui ont hâte d’être entendues et qui pourraient de ce fait minimiser tout discours de la Cédéao. La tenue des concertations à Bamako et dans les capitales régionales, dans une ambiance de “grand soir”, témoignent du climat “d’allégeance” de la population au CNSP, malgré les problèmes d’organisation et d’inclusion desdites concertations. Ni le CNSP, ni la Cédéao n’ont intérêt à tourner le dos aux populations maliennes.
Autant les Maliens sont contents de ce nouveau vent (changement de régime) qui souffle sur les rives du fleuve Niger, autant ils sont en attente d’actes concrets pour faire la paix, sécuriser les personnes et les biens, remettre sur pied l’école, l’économie, la santé… Dans ce cadre, il est inutile de dire que les conclusions de ces concertations ne doivent pas connaitre le même sort que celles du Dialogue National Inclusif (2019). Le CNSP a donc tout intérêt à montrer des signaux forts de changements : mettre le Malien au centre des actions publiques.
Il reste donc à faire un pari pour sortir de la gestion du présent et se projeter dans le futur. Ce sera celui d’un grand pas vers une stabilisation du pays, une citoyenneté réinventée et laïque pour agir contre la menace terroriste, un rétablissement de la confiance dans l’Etat, une meilleure représentation des différents groupes dans la vie politique et publique.
Le temps n’est-il pas venu d’offrir un visage plus humain au Mali et à l’Afrique ?
Mohamed AMARA
Sociologue