De Bamako à Kidal, en passant par toutes les capitales régionales et souvent même certaines communes à travers le pays, les maliennes et les maliens, jeunes et vieux, se sont mobilisés le vendredi 14 janvier 2022 par milliers pour dire non aux sanctions de la CEDEAO. A Bamako, la place de l’Indépendance a refusé du monde. De mémoire de maliens, l’on ne se souvient pas d’avoir vu autant de maliens se mobiliser pour une cause. Et, du coup, l’on pourrait sans risque de se tromper que le seul mérite qu’a eu la CEDEAO, c’est d’avoir pu amener les maliens à se mettre d’accord sur leur désaccord.
C’était prévisible. La CEDEAO a un effort exceptionnel à faire. Elle semble trop loin des peuples de l’Afrique de l’ouest. Et, la volonté d’avoir une CEDEAO des peuples ne semble pas forcement être le souci des chefs des états de l’Afrique de l’ouest. Enfin, pour la plupart souvent mal élu et très mal élu, chaque fois qu’ils doivent prendre une décision, ils sont le plus souvent guidés par un esprit grégaire de protection de leur fauteuil.
Obnubilés par la hantise de voir des modes d’accession au pouvoir par la force prospérés dans la sous-région, ils perdent souvent de vu que les premières victimes de leurs décision, c’est le peuple de l’Afrique de l’ouest. Et, avec ce qui nous est donné de constater dans le cas malien, les Chefs d’Etat de la CEDEAO vont devoir réfléchir par deux fois avant d’adopter des positions impopulaires. En effet, au-delà des frontières maliennes, le peuple de la CEDEAO et souvent les peuples d’Afrique, ont décidé de dire non aux Chefs d’état de l’Afrique de l’ouest.
Pour faire partir une junte du pouvoir, les Chefs d’état de la CEDEAO ne devaient pas se précipiter pour adopter des mesures à l’allure de sanctions contre le peuple malien. Au regard des sanctions, l’on a l’impression que les Chefs d’Etat de la CEDEAO ont volontairement et consciemment décidé de sanctionner les maliens pour le soutien que certains apportent à la junte au pouvoir. Or, en pareil cas et dans le contexte malien, une telle approche pouvait être contre-productive. Surtout que de telles sanctions pouvaient produire l’effet contraire. Et, malheureusement, c’est ce qui s’est passé.
Les maliens dans leur grande majorité ont pris les sanctions de la CEDEAO comme un manque de respect et surtout comme des actions imposées par la France à travers les Chefs d’Etat de la sous-région. En effet, c’est un secret de polichinelles. Depuis quelques mois, il est connu de tous que la tension est montée entre Bamako et Paris.
Les maliens n’arrivent pas à comprendre et surtout à s’expliquer l’inefficacité de l’armée française à leur côté dans la lutte contre le terrorisme. En effet, malgré une forte mobilisation de troupes françaises sur le territoire malien, chaque jour que dieu fait, l’insécurité prend des proportions inquiétantes. Ajoutées à cela toutes les rumeurs qui nous viennent des zones inaccessibles, des suspicions ont vite traversé les esprits. Et, certains n’ont même pas hésité d’accuser la France de complicité avec les groupes djihadistes, malgré que des soldats français aient perdu la vie au Mali.
Les théories « complotistes » aidant, dans un contexte géopolitique et géostratégique, des plus aberrants, certains ont pu même expérimenter des talents de sadiques : « Non, la France annonce des morts de soldats, chaque fois qu’il y a des contestations de rues pour demander son départ du Mali ».
Et, si la CEDEAO avait embouché la trompette de la France ?
Et, comme chaque jour que Dieu fait, l’insécurité avance à grand pas et s’installe de façon pernicieuse à travers tout le pays, malgré la présence des soldats français et des milliers de soldats de la MINUSMA, à côté des Forces de défense et de sécurité maliennes, l’on a fini par se convaincre d’un manque de volonté de la part de la France à aider le Mali à sortir de son bourbier. Et, quand on se souvient des premières déclarations des autorités françaises en 2012, lors du début de la crise, difficilement l’on pourra convaincre les plus sceptiques du contraire.
Tout compte fait. Les autorités maliennes en toute responsabilité et sur la base de la souveraineté de leur pays, ont décidé de collaborer avec d’autres partenaires pour faire face à la guerre contre le terrorisme, surtout à un moment où l’Etat français a décidé de reconsidérer sa présence dans le Sahel. Tout porte aujourd’hui, à croire que cette option malienne n’a pas du tout été du goût de Paris, surtout qu’elle a été prise par un régime que la France considère comme illégitime et que des maliens soutiennent au détriment d’une démocratie présentée comme la source de tous les malheurs du pays.
Dans, un tel contexte, les Chefs d’Etat de la CEDEAO devaient avoir une approche beaucoup plus solidaire avec le peuple malien qui n’a pas un autre choix que de s’accrocher à l’espoir, même infime, que lui donne la junte au pouvoir dans la lutte contre l’insécurité qui menace l’existence du pays.
Malheureusement, aujourd’hui, l’image de la CEDEAO vient de prendre un coup sérieux sur le continent. L’institution est aujourd’hui vilipendée un peu partout en Afrique et sur les réseaux sociaux par « les patriotes » et « les panafricanistes », par la faute des Chefs d’Etat. Ils n’ont pas compris qu’ « en naufragé qui s’accroche à un nénuphar pour tenter de sauver sa vie », le peuple malien avait plus besoin d’assistance, de soutien et de solidarité pour sortir de cette impasse. Mais, hélas, de façon mécanique, et sous les conseils de cercles opaques, ils ont fait pleuvoir sur le Mali et son peuple une panoplie de sanctions, comme s’ils voulaient enlever aux descendants des soudanais français toutes capacités de résistance face à l’ennemi : le terrorisme international, qui s’y est installé en demeure.
Et, aveuglés par leur obsession à vouloir faire plaisir probablement à la puissance coloniale, les Chefs d’Etat de la CEDEAO ont oublié que le Mali constitue aujourd’hui la seule digue qui les protège des actions néfastes des terroristes. Avec de telles sanctions, il n’y a aucun doute, sans baraka, le Mali ne pourra même pas faire face à ses charges les plus élémentaires, à plus forte raison conduire une guerre et la gagner contre le terrorisme.
Dans un tel contexte. Après avoir bien analysé les décisions de la CEDEAO, des milliers de Maliens ont décidé de descendre dans les rues à travers leur pays pour manifester, contre les sanctions de la CEDEAO. Dans leur volonté inouïe à vouloir punir les militaires qui ont repoussé les élections et la transition pour un nouveau délai de 5 ans, les Chefs d’Etat de la CEDEAO se sont tirés une balle dans les pieds. Ils ont voulu dresser le peuple contre les militaires au pouvoir, mais, nous assistons à l’effet contraire. Et, les militaires au pouvoir à Bamako, sont aujourd’hui, les premiers bénéficiaires de cette mobilisation grandiose contre la CEDEAO.
Assane Koné