JOHANNESBURG, 3 juin 2012 (IRIN) – Les crises politiques qui se sont succédé en Afrique de l’Ouest au cours des derniers mois ont tenu les médiateurs de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) occupés. En termes d’échelle, le mandat et l’historique d’intervention de cette organisation la distinguent des autres blocs commerciaux africains.
Au moment de sa création, en 1975, la CEDEAO avait pour objectif de favoriser l’intégration économique de ses 15 États membres. La guerre civile qui a éclaté au Liberia en 1989 a cependant marqué un tournant décisif : une force d’interposition dirigée par un état-major nigérian et composée de ressortissants de plusieurs pays membres importants a été créée. Cette approche musclée a été officialisée par le protocole de 1999 sur la prévention des conflits, qui établit un lien explicite entre le développement économique et la paix, et par le protocole additionnel de 2001 sur la bonne gouvernance, selon lequel « toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, justes et transparentes ».
Parmi les autres instruments utilisés, la CEDEAO a recours à des missions d’information et d’observation des élections, à la nomination de représentants spéciaux et de médiateurs, à des sanctions ainsi qu’à la création de groupes de contact internationaux pour résoudre ou prévenir des conflits. IRIN examine quelques-unes des mesures adoptées par l’organisme pour résoudre les récentes crises qui ont éclaté dans la région.
Mali
À la suite du coup d’État qui a renversé le président Amadou Toumani Touré et placé à la tête du pays le capitaine Amadou Sanogo, le 22 mars, la CEDEAO a utilisé la carotte et le bâton pour aider le Mali à rétablir l’ordre constitutionnel. L’organisme régional a notamment élaboré un accord permettant à un civil de prendre la tête du pays et de le gouverner jusqu’aux élections qui doivent se tenir l’an prochain. La CEDEAO s’est également rangée derrière le gouvernement central en ce qui concerne la nécessité de juguler la rébellion touarègue qui sévit dans le Nord, où le Mouvement national pour la libération de l’Azawad(MNLA), profitant de la confusion, a proclamé unilatéralement la création d’un État indépendant.
La CEDEAO dispose aussi d’une foule de mesures pour punir les juntes récalcitrantes. Lors d’un sommet extraordinaire organisé le 29 mars, l’organisation a imposé une série de sanctions contre Sanogo et son Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE) et suspendu le Mali de ses instances.
Les ambassadeurs des pays membres de la CEDEAO ont été rappelés, les frontières fermées et une interdiction de voyager a été imposée aux putschistes. De manière plus sévère encore, les avoirs de l’État détenus à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ont été gelés et toute l’aide financière accordée au Mali par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC) a été suspendue.
L’accord-cadre signé le 6 avril par la CEDEAO et les putschistes exigeait le transfert du pouvoir à Dioncounda Traoré, l’ancien président de l’Assemblée nationale du Mali, pour une période de 40 jours. Il prévoyait ensuite la nomination d’un président intérimaire civil et l’organisation d’élections dans un délai de 12 mois. Si l’accord-cadre accordait l’amnistie à M. Sanogo et à ses hommes, il précisait cependant que toute déclaration considérée comme jetant le discrédit sur l’accord entraînerait une reprise des sanctions.
Ce qui semblait tout à fait réalisable sur papier a été compliqué par le départ pour la France de M. Traoré, le 23 mai, à la suite d’une attaque commise par un groupe de partisans de M. Sanogo. Ceux-ci auraient pénétré dans son bureau et l’auraient battu, semant du même coup la confusion en ce qui concerne la suite des événements.
La CEDEAO a semblé catégorique sur la question du Nord, qui est actuellement sous le contrôle du MNLA et des groupes islamistes, et a condamné la rébellion. L’organisation aurait apparemment l’intention de déployer 3 000 soldats dans la région disputée afin de contribuer à restaurer l’intégrité territoriale du Mali.
Petrus de Kock, qui vit au Cap et travaille comme directeur de recherche à l’Institut sud-africain des affaires internationales(SAIIA), a dit à IRIN que la réaction rapide de la CEDEAO avait envoyé le message que l’organisme régional ne tolérerait pas les coups d’État et les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Le déploiement immédiat « des meilleurs militaires de la région a eu un impact important… La CEDEAO doit cependant faire preuve de prudence avec les menaces militaires. Elle doit pouvoir mettre en œuvre une menace crédible de force [contre le MNLA] et faire face à l’insurrection qui menace la stabilité régionale… Mais elle ne veut pas non plus mettre [la force militaire] en avant et jouer un rôle jusqu’au-boutiste… Le véritable rôle de la CEDEAO est de rétablir la confiance entre les parties et de développer une vision politique. »
Guinée-Bissau
L’histoire de la Guinée-Bissau est marquée par la violence et l’instabilité politiques. La CEDEAO sert actuellement de médiateur pour trouver une solution à la crise provoquée par le coup d’État du 12 avril, qui a interrompu le processus électoral. Le premier ministre Carlos Gomes Júnior – un ardent défenseur de la réforme du secteur de la sécurité – était donné favori du second tour. L’organisation régionale a rapidement annoncé son intention de déployer une mission forte de 629 hommes afin de stabiliser le pays.
Une première vague de 70 policiers paramilitaires du Burkina Faso – qui prévoit l’envoi d’un total de 140 hommes – est arrivée le 17 mai à Bissau ; le Nigeria s’est quant à lui engagé à déployer 300 agents de sécurité (140 policiers et 160 soldats) ; et les soldats sénégalais compléteront le reste du corps.
Le 22 mai, les putschistes ont remis le pouvoir au président par intérim Manuel Serifo Nhamadjo et à son premier ministre, Rui Duarte Barros. Les 28 membres du cabinet comprendraient deux officiers de l’armée, incluant l’un des putschistes, le colonel Celestino Carvalho.
On s’attend par ailleurs à ce que la CEDEAO s’implique activement dans l’organisation d’élections libres, justes et transparentes au cours des 12 prochains mois dans le cadre de l’accord négocié à la suite du coup d’État. Le retrait de la Mission militaire technique angolaise (MISSANG), forte de 200 soldats et déployée en mars 2011 pour appuyer la réforme du secteur de la sécurité, a été annoncé avant le coup d’État. Les putschistes avaient affirmé que l’intention de la MISSANG était de détruire les forces armées.
Depuis un certain temps déjà, la Guinée-Bissau est un sujet de préoccupation majeur pour l’organisme régional. En 2004, à la suite d’une mutinerie provoquée par des soldats réclamant le versement de leur solde, la CEDEAO a octroyé au pays une aide de 500 000 dollars pour couvrir une partie des arriérés dus aux militaires. En 2008, un audit réalisé par l’armée a révélé que plus de la moitié des 4 458 soldats étaient des officiers supérieurs ou des sous-officiers.
À la suite du double assassinat du chef d’état-major, le général Batista Tagme Na Wai, et du président João Bernardo Vieira, les 1er et 2 mars 2009, la CEDEAO, dans un geste de solidarité, a organisé la réunion du 19 mars 2009 de son Conseil de médiation et de sécurité dans la capitale, Bissau. L’organisation a par ailleurs recommandé la mise sur pied d’une initiative conjointe avec les Nations Unies en vue du déploiement de contingents militaires et policiers ayant pour mission de protéger les institutions de l’État. Cette recommandation ne bénéficiait pas, cependant, du soutien du gouvernement du président intérimaire Raimundo Pereira.
En avril 2009, la CEDEAO et les représentants de 29 pays et d’organisations internationales se sont réunis au Cap-Vert. La réunion a permis de mobiliser 13,5 millions de dollars pour la mise en œuvre de la réforme du secteur de la sécurité, et notamment pour la création de fonds de pension [pour les forces armées] et la construction d’une académie de police. Le bloc régional avait déjà approuvé, en mai 2007, une enveloppe financière de 2 millions de dollars pour un projet de réinsertion d’une trentaine d’officiers supérieurs de l’armée bissau-guinéenne dans l’agriculture incluant une formation au Brésil.
David Zounmenou, directeur de la recherche sur la démocratie, les conflits armés et la sécurité humaine à l’Institut d’études de sécurité de Prétoria, a dit à IRIN que la réponse de la CEDEAO au coup d’État en Guinée-Bissau avait « soulevé quelques inquiétudes », car des putschistes avaient été intégrés dans le gouvernement de transition au mépris du protocole additionnel de 2001. Le fait que « l’armée impose qui doit faire partie de la transition » constituait en effet une violation de la constitution du pays qui a par ailleurs entraîné l’exclusion de M. Gomes. « Pour cette raison, les Nations Unies se sont dissociées de la [réponse au coup d’État de la] CEDEAO. »
Niger
L’ancien président du Niger Mamadou Tandja a commencé, dès 2001, à tenter de modifier les lois électorales pour demeurer plus longtemps au pouvoir. [En 2009,] il a dissous le Parlement et la Cour constitutionnelle qui s’opposaient à ses projets. Voyant cela, la CEDEAO a suspendu le pays [pour violation des textes communautaires de l’organisation].
La nouvelle constitution élaborée par M. Tandja concentrait le pouvoir entre ses mains. La CEDEAO a réagi en envoyant une équipe de médiation dirigée par l’ancien président nigérian, le général Abdulsalami Abubakar. M. Tandja a rejeté les propositions de la CEDEAO concernant la nomination d’un membre de l’opposition au poste de premier ministre et la fixation d’un délai de 12 mois pour l’élaboration d’une nouvelle constitution et l’organisation d’un scrutin.
L’adhésion du Niger à l’Union africaine a été suspendue à la suite du coup d’État qui a renversé M. Tandja en février 2010. La CEDEAO a préféré adopter une approche plus conciliante envers la nouvelle junte en voyant que celle-ci procédait à la dissolution de la constitution de M. Tandja ainsi qu’à la nomination de Mahamadou Danda au poste de premier ministre. L’organisation est demeurée en retrait pour observer le processus de transition et a cru à l’intention déclarée du leader des putschistes, Salou Djibo, de ramener, en échange d’une amnistie pour les insurgés, l’ordre constitutionnel qui prévalait avant la présidence de M. Tandja. Mahamadou Issoufou a été élu président en mars 2011.
M. De Kock a dit que la réponse de la CEDEAO à la crise au Niger avait été de « remodeler la situation et d’accroître son influence. C’était une approche non-interventionniste. La CEDEAO était là. Elle devait simplement négocier à un autre niveau et c’était plus une question de diplomatie. »
Côte d’Ivoire
Autrefois considérée comme un exemple de stabilité, la Côte d’Ivoire a posé un défi différent à la CEDEAO. Après plus d’une décennie de crise, qui s’est amorcée en 1999 par un coup d’État et s’est terminée avec une élection contestée qui a amené le pays au bord de la guerre civile, la CEDEAO a dû jouer à la fois le rôle de médiateur et celui de facilitateur du processus électoral.
L’organisme régional a été le premier à déployer une force de stabilisation afin de protéger les institutions de l’État après le début de la guerre civile de 2002, qui a finalement duré cinq ans. La Mission de la CEDEAO en Côte d’Ivoire (ECOMICI) a ouvert la voie à la création de la Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire (MINUCI) en mai 2003. En avril 2004, la MINUCI et l’ECOMICI ont toutes deux été remplacées par l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI).
La Côte d’Ivoire était divisée entre le Nord et le Sud. La CEDEAO, la France (l’ancienne puissance coloniale), l’Afrique du Sud et l’Union africaine ont pris part aux négociations pour mettre fin au conflit. En 2007, le leader des Forces nouvelles Guillaume Soro a été désigné premier ministre dans le cadre de l’accord de partage de pouvoir négocié par le Burkina Faso, également membre de la CEDEAO.
Le premier tour du scrutin présidentiel a eu lieu le 31 octobre 2010 et la CEDEAO et d’autres organisations internationales ont déclaré les élections libres et justes. Le second tour, qui s’est tenu en décembre 2010, a été marqué par la controverse, mais la CEDEAO a rapidement accepté les résultats malgré la mise en garde du médiateur de l’Union africaine et ancien président sud-africain Thabo Mbeki. Celui-ci a en effet accusé l’organisation de faire preuve d’une trop grande hâte à reconnaître la courte victoire d’Alassane Ouattara. L’Union africaine s’est rangée du côté de la CEDEAO et a mis sur pied une commission d’enquête spéciale composée de cinq chefs d’État africains qui a confirmé les résultats.
Adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies à la demande de la CEDEAO, la résolution 1975 de 2011 donnait à la MINUCI le mandat de protéger les civils pendant la crise post-électorale. Le refus du président en exercice Laurent Gbagbo de reconnaître les résultats de l’élection et l’impasse qui s’est ensuivie laissaient en effet planer la menace d’une nouvelle guerre civile.
Lors d’une séance extraordinaire organisée le 24 décembre, la CEDEAO a déclaré que si M. Gbagbo refusait de quitter le pouvoir, elle n’aurait « d’autre choix que de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’usage de la force légitime, pour réaliser les aspirations du peuple ivoirien ». C’était une stratégie risquée : outre la difficulté que supposait la mise en œuvre d’une intervention militaire à grande échelle, il fallait aussi composer avec la menace d’une violente réaction nationaliste à l’encontre des ressortissants ouest-africains à Abidjan. Par ailleurs, certains membres de la CEDEAO, comme le Ghana, n’étaient pas d’accord avec l’utilisation de la force militaire.
L’impasse a été résolue lorsque, en avril 2011, les forces de M. Ouattara ont capturé M. Gbagbo avec l’aide des soldats français. L’ancien président a été remis [à la Cour pénale internationale] à La Haye, où il devra faire face à des accusations de crimes contre l’humanité.
M. Zounmenou a dit que les liens établis par la CEDEAO avec l’Union africaine, l’Union européenne et les Nations Unies lui permettaient d’apporter des réponses très rapides à des problèmes complexes pendant la crise.
« En étant présente sur le terrain depuis 1999, la CEDEAO a pu jouer un rôle honnête, cohérent et juste dans la résolution de la crise. L’organisation a notamment défini le processus de négociation et supervisé la mise en œuvre de l’accord de paix de Ouagadougou. Aucune autre organisation en Afrique n’aurait pu gérer une situation aussi complexe… Si la CEDEAO a réussi à le faire, c’est qu’elle avait acquis de l’expérience avec les crises en Sierra Leone, au Liberia et en Guinée-Bissau. Mon seul problème concerne le fait que la CEDEAO a autorisé les soldats français à choisir l’option militaire », a-t-il dit.
irinnews.org / 04/06/2012