A Bâtons rompus avec la Présidente de la Cour de Justice de la CEDEAO, L''Honorable juge Mme SANOGO Aminata Mallé

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Le rôle de la Cour de justice dans le processus d”intégration en Afrique de l”ouest.

Fraîchement élue par ses pairs à la tête de la Cour de Justice de la Cedeao, en janvier dernier, notre compatriote, l”Honorable Juge Mme Sanogo Aminata Mallé, vient d’effectuer sa première visite officielle dans notre pays. Au cours de son séjour d”une semaine (4-9 avril), la Présidente de la Cour de Justice de la Cedeao et sa délégation ont successivement rencontré le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des différentes institutions du Mali pour une prise de contact. Nous l”avons rencontré pour vous.

L”Indépendant : quel est l”objet de votre visite au Mali ?

Mme Sanago Aminata Mallé : C”est une visite de prise de contact avec les autorités maliennes suite à mon élection à la présidence de la Cour de Justice de la CEDEAO. Le Mali est la première étape d”une série de visites que je dois effectuer dans les Etats membres de la Communauté.

Vous venez d”être élue par vos pairs à ce prestigieux poste, Mme la Présidente, pouvez-vous nous parler de l”Institution que vous dirigez maintenant ?

La Cour de Justice de la Communauté Economique des Etats de l”Afrique de l”Ouest, mise en place par la Vingt -Quatrième Session de la Conférence des Chefs d”Etat et de Gouvernement de la CEDEAO, tenue à Bamako les 15 et 16 décembre 2000, a été créée en vertu des dispositions des articles 6 et 15 du Traité Révisé, du Protocole AP/1/7/91 complété par le Protocole Additionnel A/SP.l/0l/05. Le statut, la composition, les compétences, la procédure et les autres questions concernant la Cour sont définis dans les Protocoles y afférents. L”article 6 du Traité Révisé qui énumère les Institutions de la Communauté, place la Cour au cinquième rang après la Conférence des Chefs d”Etats et de Gouvernement, le Conseil des Ministres, le Parlement de la Communauté, le Conseil Economique et Social.

La Cour est composée de sept Juges originaires du Burkina – Faso, du Ghana, du Mali, du Niger, du Nigeria, du Sénégal et du Togo. Ses membres ont prêté serment le 30 Janvier 2001 à Bamako. Depuis cette date, les Juges sont entrés en fonction et exercent à Abuja au Nigéria, siège de la Cour.

Quelles sont les compétences de la Cour ?

Les compétences de la Cour se situent à deux niveaux : au plan contentieux et au plan consultatif.

Au plan contentieux, la Cour a pour rôle prépondérant d”assurer le respect du droit et des principes d”équité dans l”interprétation et l”application des dispositions du Traité ainsi que des Protocoles et Conventions y annexés; de régler les différends pouvant surgir entre les Etats Membres et les Institutions de la Communauté à l”occasion de l”interprétation ou de l”application des dispositions du Traité ainsi que de tout différend pouvant lui être soumis conformément à l”article 76 du dit Traité. Consciente du rôle de la Cour de Justice de la Communauté dans l”édification et l”accélération du processus d”intégration, et convaincue de la nécessité de doter la Cour de pouvoirs lui permettant d”exercer le contrôle sur l”exécution des engagements des Etats Membres, la Vingt -huitième Session de la Conférence des Chefs d”Etat et de Gouvernement tenue à Accra le 19 Janvier 2005 a adopté le Protocole Additionnel. Ce Protocole a élargi les compétences de la Cour aux Droits Humains et permis aussi la saisine de la Cour par les personnes physiques et morales et mis en place in fine, les procédures d”exécution de ses arrêts. Assurément le Protocole Additionnel apporte des innovations, son adoption constitue un tournant dans l”évolution de la CEDEAO en général, de la Cour en particulier. Il lui offre un cadre lui permettant de remplir pleinement sa mission qui est d”assurer le respect des libertés et des droits fondamentaux des ressortissants de la CEDEAO.

Au plan consultatif, la Cour peut, lorsqu”elle est saisie par la Conférence, le Conseil ou par un ou plusieurs Etats membres ou par le Secrétaire Exécutif et toutes autres Institutions de la Communauté, émettre à titre consultatif, un avis juridique sur des questions qui requièrent l”interprétation des dispositions du Traité .

Comment appréciez-vous l”extension des compétences de la Cour ?

Cette extension a pour effet de renforcer le respect des Protocoles ou des Conventions adoptés par la CEDEAO et de tous les instruments connexes. Elle offre aussi à la Cour la possibilité de créer un ordre juridique communautaire intégré. Les compétences contentieuses de la Cour couvrent de nouveaux domaines avec l”entrée en vigueur du Protocole Additionnel. Il s”agit du contrôle de la légalité des actes de la Communauté, des cas de violation des Droits de l”Homme, du contentieux de la Fonction Publique de la CEDEAO ainsi que de la responsabilité extra- contractuelle de la Communauté. C”est donc, tous les aspects du droit de la Communauté qui se trouvent soumis au contrôle de la Cour, laquelle veille à assurer leur respect par les acteurs de la CEDEAO.

Avec ce Protocole, les personnes physiques et morales peuvent-elles avoir un accès direct à la Cour de Justice de la Communauté ?

Tout à fait. C”est l”une des principales innovations du Protocole Additionnel de 2005. On est passé d”une saisine fermée, où le ressortissant de la CEDEAO ne pouvait accéder à la Cour que par le biais de son Etat d”origine, à une saisine ouverte où les personnes physiques ou morales peuvent saisir la juridiction communautaire sans intermédiaire. Désormais le citoyen ouest africain peut contester devant la Cour tout acte émanant des Etats Membres et des Institutions, qui porte atteinte à ses intérêts ou qui lui fait grief. Il en est de même dans les cas de violation des Droits de l”Homme. L”ouverture de la saisine de la Cour de Justice de la Communauté a des incidences certaines sur le renforcement du respect des libertés et des droits fondamentaux de l”Homme au sein de la CEDEAO.

Comment peut-on saisir la Cour et qui peut la saisir ?

Sur le plan contentieux, la Cour est saisie par une requête adressée au Greffe. Cette requête énonce l”objet du différend, les parties en cause et contient un exposé sommaire des moyens invoqués ainsi que les conclusions du requérant.

Sur le plan consultatif, la requête est faite par écrit et adressée au Greffe. Elle contient une indication exacte des questions sur lesquelles l”avis est requis et est accompagnée de tous les documents pertinents susceptibles d”éclairer la Cour. La saisine de la Cour n”est pas conditionnée par la conclusion d”un compromis. Tout différend relatif à l”interprétation ou à l”application des instruments de la CEDEAO peut être soumis unilatéralement à la Cour par l”une des parties intéressée au conflit. Avant l”adoption du Protocole Additionnel, la saisine de la Cour était limitée aux Etats Membres, aux Institutions de la Communauté, et aux individus. Cependant, il faut noter que les individus n”avaient pas un accès direct à la Cour. Pour la saisir sur le plan contentieux, ils étaient obligés de faire endosser leurs requêtes par leur Etat d”origine conformément à l”article 9. 3 du Protocole de 1991, et ce après échec des tentatives de règlement à l”amiable. Il était bien entendu loisible à un Etat de saisir la Cour de Justice de la Communauté au nom de son ressortissant, lequel était dépourvu de tout recours face à l”inertie de son Etat. Le citoyen victime de la violation de ses droits légitimes n”avait aucun recours contre les Institutions. Or, force est de constater que de nombreuses entraves à la libre circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services, existent et persistent malgré l”abolition des visas d”entrée dans les Etats Membres de la CEDEAO. Depuis le 19 janvier 2005, la saisine directe de la Cour par le citoyen a été rendue possible par l”adoption du Protocole Additionnel.

Quels rapports existent-ils entre la Cour de Justice de la CEDEAO et les juridictions nationales des Etats membres ?

Avec le mécanisme des questions préjudicielles, le Protocole Additionnel de 2005 règle le problème des rapports entre la Cour de Justice de la Communauté et les juridictions nationales des Etats membres de la CEDEAO. La Cour communautaire étant seule compétente pour interpréter les textes adoptés par ou sous les auspices de la CEDEAO, les juridictions nationales doivent surseoir à statuer lorsque les textes communautaires qui commandent la solution du litige pendant devant elles, sont ambiguës et renvoyer la question de leur interprétation à la Cour. Il faut noter que les juridictions nationales ne sont pas dessaisies. Le procès est seulement suspendu jusqu”à ce que la Cour donne son interprétation et permette au juge national de dire le droit. L”interprétation de la Cour de Justice de la CEDEAO fait foi et a pour effet de s”imposer aux juridictions nationales. On peut dire tout simplement que la Cour entretient des rapports de coopération avec les juridictions nationales des Etats membres. Ces relations peuvent se manifester dans le domaine des commissions rogatoires, des questions préjudicielles et des voies d”exécution.

Comment les décisions de la Cour sont-elles exécutées ?

En matière de voies d”exécution, l”insuffisance de l”infrastructure administrative communautaire et l”absence de moyens communautaires de coercition expliquent que les administrations et les juridictions nationales soient ainsi mises au service de l”application des règles communautaires.

Le Protocole dispose que " les Etats Membres et les Institutions de la Communauté sont tenus de prendre sans délai toutes les mesures nécessaires de nature à assurer l”exécution des décisions de la Cour". Il est par ailleurs stipulé à l”article 15-4 du Traité Révisé que: "Les arrêts de la Cour ont force obligatoire à l”égard des Etats Membres, des Institutions de la Communauté et des personnes physiques et morales".

On dit que l”extension de la compétence de la Cour est une opportunité pour elle de créer un ordre juridique intégré propre à la CEDEAO. Partagez-vous cette idée ?

Parfaitement. L”extension de la sphère de compétence de la Cour de Justice confère à celle-ci une possibilité de concevoir, de promouvoir et de développer un ordre juridique communautaire. De ce point de vue, elle peut définir les normes de cet ordre et assurer un haut degré de développement de celles-ci et leur respect par les Etats membres. Cette intégration normative résultant de l”action de la Cour de Justice de la Communauté sera le complément indispensable à l”intégration économique.

Comment voyez-vous l”avenir de la Cour ?

En tant qu”organe judiciaire principal de la Communauté, la Cour est appelée à définir les normes de protection des droits des citoyens et de veiller à la bonne application et à l”interprétation des dispositions du Traité et des instruments connexes. Les arrêts de la Cour s”imposant à tous, elle peut contribuer à façonner de manière décisive l”intégration.

Les nouvelles compétences de la Cour après l”adoption du Protocole Additionnel offrent des perspectives importantes, tant dans le contenu du contentieux que dans la prise en compte des droits des citoyens de l”espace communautaire ouest africain. Evidemment, ceci constitue un défi qui peut être relevé par la coopération de tous les Etats membres et les différentes Institutions de la CEDEAO.

Alou B HAIDARA

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