Depuis 1986, des fidèles ont pris l’habitude d’affluer à Bandiagara de tous les coins du Mali et de la sous région. Objectif principale: aller passer une nuit à adorer Dieu au pied de la colline qui abrite la grotte sacrée de Deguimbéré dans laquelle El Hadj Omar est rentré pour ne plus sortir. Mais le voyage permet aussi de faire des bénédictions qui seront à coup sûr exaucées, selon les pèlerins.
L’événement est loin d’être médiatisé mais il vaut sans aucun doute le détour. Aussi chaque année, de plus en plus de fideles viennent y participer. Des bonnes volontés se sont organisées un peu partout pour affréter, chaque année, des bus qui transportent les pèlerins sur les lieux. Par exemple à Bamako, la famille Thiam de Darsalam et la Mosquée de Ouolofobougou sont des hauts lieux de départ pour les Maliens et les fideles venus des pays comme le Sénégal, la Mauritanie, la Guinée, etc. Les villes de Ségou et de Koutiala sont aussi des pôles importants de regroupement et de départ pour Maliens et ressortissants des pays comme le Burkina, le Niger et autre.
A noter que la Côte d’ Ivoire n’a pas envoyé de fideles cette année; on comprend pourquoi. La toute première édition de la Ziara a eu lieu en 1986 avec une soixantaine de pèlerins. Mais, leur nombre croit d’année en année. Pour cette année, ce sont 356 bus, 4×4 et berlines qui ont rejoint les lieux et 1717 pèlerins se sont spontanément fait enregistrer auprès du comité d’organisation. Compte tenu des non inscrits. Bachir Tall, membre de l’organisation de la Ziara, estime à plus de deux milles le nombre de personnes qui ont participé activement aux travaux de la nuit d’adoration de dieu au pied de la colline sacrée et aux autres activités connexes.
Mais la Ziara mobilise également les populations des localités environnantes qui viennent à pied, à moto et autres moyens de déplacement pour venir participer au même titre que les autres pèlerins venus d’ailleurs. Une foule de commerçants et de revendeurs en tous genre, ayant flairé la bonne affaire, se mobilise en masse compacte pour venir proposer toutes sortes d’articles.
C’est ainsi que l’on pourrait désormais se rendre à la Ziara les mains vides et tout avoir sur place durant le jour et la nuit de séjour à Deguimbéré ; qui est devenu depuis un village.
Bénédictions garanties à cent pour cent
Les pèlerins qui se rendent à Deguimbéré sont convaincus que toutes les bénédictions et vœux formulés sur place et surtout dans la grotte sacrée seront exaucés sans aucun doute. Cette certitude crée la fidélité de ceux qui sont déjà venus une fois et tentent de nouveaux adeptes à venir adorer dieu dans un environnement béni et, se faisant, régler certains problèmes qui empoisonnent la vie des intéressés depuis toujours. Ceux qui ont déjà expérimenté la chose, à leur retour chez eux ont tendance à persuader ceux qu’ils aiment à aller présenter leurs préoccupations dans la grotte sacrée. C’est ainsi que de bouche à oreille, la foule des pèlerins augmente à chaque édition.
La Ziara a lieu chaque année et toujours en mois de mars – mois de la disparition du saint homme – et les recueillements ont toujours lieu un jeudi et le vendredi suivant (on connait la valeur de ce dernier jour en Islam.) Pour cette année, c’est dans la nuit du 31 au 1er que les pèlerins ont veillé pour s’adonner à l’adoration de dieu et aux autres travaux qui meublent cette longue nuit.
C’est que le programme comprend aussi un vaste forum d’échanges entre les délégations venues des différentes contrées à travers les représentants qu’elles se sont choisis, des communications et des interventions des personnalités sur différents thèmes religieux et autres. Il est à noter, au passage, que Me Mountaga Tall, le député de Ségou, qui est un habitué de la Ziara n’a pas montré son nez cette année : il avait déjà été sollicité à une autre sainte activité qu’il avait dû honorer de sa présence. A propos de communications, il convient de réserver une mention spéciale à la conférence donnée par le professeur et écrivain Samba Dieng, de l’Université de Dakar, qui a émerveillé l’auditoire. Au cours de son intervention, l’érudit avait slalomé avec aisance du français à l’arabe et vice versa pour établir un lien historique et de continuité entre le jihad mené en Arabie par l’Imam Ali, le neveu adoré et gendre du prophète, et celui omarien en Afrique de l’ouest voilà deux siècles seulement.
Mais le clou absolu de la Ziara, son point focal, reste le recueillement et les bénédictions pieusement murmurées dans la grotte bénite, celle là même où le saint homme a disparu. C’est un rendez vous qu’aucun pèlerin ne voudra rater pour rien au monde. Aussi, il est fascinant de voir des hommes et des femmes de tout âge et de toutes conditions de santé et de sportivité foncer à l’abordage de cette colline magique qui n’est pas du tout facile à grimper et qui présente des passages franchement difficiles à négocier. Mais, les fidèles s’y lancent avec forte conviction, montent et redescendent résolument. La vue des handicapés et autres paralytiques des deux jambes à l’abordage de cette montée pas faciles fait douter de soi. L’on se demande s’il agit d’une vision de rêve ou de réalité, des trop grosses, des chétifs…bref, l’on voit grimper la colline bénite, des gens qui n’oseraient pas affronter un étage en temps normal. Mais ils sont les plus surpris de leur exploit après et n’hésitent pas à avouer ne pas savoir comment ils ont fait. Beaucoup disent qu’eux même étaient loin de soupçonner cette capacité en eux-mêmes. Ici, l’on ne peut s’empêcher de méditer cette phrase prononcée par le président américain Eisenhower après l’attaque de Pearl Harbour par les Japonais afin de pousser ses généraux au combat : ‘ Rien n’est plus solide qu’un cœur animé par la volonté’. Et c’est cette volonté nouvellement découverte chez certains qui encourage bien de pèlerins à revenir l’année suivante. Ainsi, il y a des fidèles de la Ziara qui y viennent chaque année et ne ratent volontairement aucune édition. Mais d’autres viennent aussi pour des buts précis et une fois qu’ils les ont atteint, ils décrochent et deviennent des ‘saisonniers’. Mais dans le cas de ‘succès après une ou des éditions, il existe des cas, rares il est vrais, de ceux qui ne reviennent plus du tout. Nous en avons découvert un cas au cours de nos investigations, celui de MS qui est parti deux fois avec la délégation de Fana pour ne plus revenir. Mieux encore, MS est retourné à sa Banamba natale, zone qu’il avait jadis durablement fuie a cause des problèmes insolubles. La raison? MS, en bon ‘foula djon’ ne le cache pas du tout. Et c’est sans se faire prier qu’il explique:’ La première fois que je suis parti à Deguimbéré, j’ai demandé à dieu une maison à moi et depuis je ne connais plus la location. J’ai ma propre maison. La deuxième fois, j’ai demandé des vaches et des bœufs et depuis, j’ai mon propre enclos à bêtes. De quoi puis-je avoir encore besoin? Moi, je n’y vais plus !” Vous l’avez bien deviné : MS est peul, un vrai ‘foula djon’ et un mangeur de haricots!
Amadou Tall