• Un tonnerre d’applaudissements aux termes de 92 minutes de récit à couper le souffle aux spectateurs : pour son 4e jour de projections, le Festival panafricain du film et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) a eu droit à une projection d’une rare mobilisation des festivaliers hier mercredi. En attendant le verdict du jury, le long-métrage malien “Toiles d’araignées” déchaine les passions et les commentaires des critiques du cinéma. Pour certains, le film séduit par son scénario, son jeu des acteurs, son décor, etc. Tandis que d’autres en concluent qu’il s’agit d’une œuvre de son temps, du fait de la pertinence des thématiques mises en lumière.
• Ceux qui n’avaient eu la chance de le voir encore, ne voulaient rien rater. Primé par le prix OIF (Organisation international de la Francophonie) meilleur long-métrage au festival “Vue d’Afrique”, “Toile d’araignées” est une adaptation du roman d’Ibrahima Ly à l’écran. L’exercice était osé pour le réalisateur Ibrahim Touré. Mais le résultat est remarquable.
• Ce critique du cinéma (habitué des grands rendez-vous du 7e art) ne s’est donc pas trompé. Pour lui, ce film a toute sa place dans le cinéma africain. “Toiles d’araignées” est donc le titre du roman autobiographique d’Ibrahim Ly.
• Jeune professeur de mathématiques, militant contre l’arbitraire, pour la justice sociale, les droits et les libertés, il devient membre d’un regroupement clandestin de l’époque appelé Parti malien pour la révolution démocratique (PMRD) où s’étaient engagés des patriotes contre la junte militaire au pouvoir à Bamako. Nous sommes dans les années 1970.
• Arrêté par la police du Comité militaire de libération nationale (CMLN) pour ses activités politiques, en l’occurrence la distribution d’un tract de dénonciation du régime et de la mascarade de consultation référendaire sur le projet de Constitution en 1974, cet objecteur de conscience à la silhouette frêle, mais à l’âme trempée, au caractère ferme et résolu, va être déporté à Taoudéni.
• Dans ce bagne de triste mémoire (où passa également l’ancien président du Mali Modibo Kéita), il va vivre les affres de la prison, dans les pires conditions carcérales que réservaient les putschistes à l’époque à leurs adversaires et opposants. Bien après, il sera, par mesure de “clémence”, transféré à Niono à une centaine de kilomètres de Ségou, avant sa libération en 1978. Après quatre années de martyrs dans les geôles de la soldatesque.
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• Hymne à la liberté et à l’amour
• Pathétique, “Toiles d’araignées”, est aussi un hymne à l’amour et à la liberté à travers le personnage central, Mariama. Jeune paysanne nubile, elle refuse le mariage arrangé par son père. Violentée et jetée en prison, elle reste malgré les supplices, fidèles à son idylle jusqu’à sa mort. Une histoire vraie.
• Le film renvoie au devoir de mémoire du martyre des patriotes qui ont consenti tous les sacrifices pour dénoncer l’arbitraire, l’injustice et les dérives autocratiques de nos gouvernants, notamment aux heures de l’ex-dictateur malien, Moussa Traoré.
• La composition musicale en blues paria, signée du maestro Cheick Tidiane Seck apporte à la toile un souffle mélancolique original qui murmure le rêve brisé d’une saison de liberté. Hier comme aujourd’hui, le désir de justice s’empare des victimes, des gens désabusés qui, en fin de compte, n’ont plus rien à perdre, ni à défendre Et s’annonce à l’horizon, le déchirement de toutes ces toiles d’araignées qui, jusqu’ici, nous entenaillent et nous étouffent.
• Un récit époustouflant de 92 minutes à vous couper le souffle, un chef-d’œuvre en somme. Le jury de la 23e édition du Fespaco aura certes sa notation, mais d’ores et déjà les professionnels du 7e art sont formels : il s’agit d’un vrai travail de professionnel. Pour un coup d’essai, le réalisateur a réussi un coup de maître. Le produit obtenu est d’une remarquable facture.
• Du jeu des acteurs dans l’interprétation des rôles, à la composition musicale, en passant par les décors, les costumes, les maquillages, la lumière, etc. le produit est excellent.
• Le film d’Ibrahima Touré est à la fois un témoignage à charge, mais également revêt une vision humaniste. L’adaptation cinématographique de “Toiles d’araignées” nous fait revivre des pages sombres des dictatures africaines qui ont scellé le destin de nos peuples, avec le musellement des voix de conscience et l’écrasement brutal de toute velléité de contestation.
• En attendant le soir du 2 février prochain, le Mali croise les bras. Si les trophées ne sont attribués sur des bases de considérations politiques ou autres, “Toiles d’araignées” a toute place sur le podium d’honneur de ce Fespaco-2013.
• Issa Fakaba Sissoko
• Envoyé spécial à Ouaga
Au fespaco-2013 a ouaga
• Le ministre de la Culture tient un discours défaitiste
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• Le ministre malien de la Culture est un homme habitué à la défaite. En rendant visite à la délégation du Mali au Fespaco, Bruno Maïga a presque annoncé que le Mali ne remportera pas le grand prix “L’Etalon d’or de Yennega”.
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• En ce mardi 26 février, toute la délégation malienne était réunie dans la salle de conférence de “L’Hôtel des conférences” de Ouagadougou. Ce jour, le ministre de la Culture, avait pris rendez-vous avec les réalisateurs, les artistes, etc. pour une visite de courtoisie. Pour Bruno Maïga, il s’agissait de venir s’enquérir de leurs conditions d’hébergement, et de les féliciter et encourager pour l’”énorme travail abattu” au service de la culture.
• Tout s’est plutôt bien passé dans le cérémonial, sauf à la dernière partie du discours du ministre. A la grande surprise de son auditoire, Bruno Maïga de dire que “si le Mali ne remporte pas de prix, ce n’est pas la fin du monde”. “Nous venons dans l’espoir de gagner, mais quelle que soit l’issue, l’essentiel est déjà fait. Car nous sommes là…”, a déclaré le ministre de la Culture dans un discours aussi défaitiste que démotivant. La déclaration de Bruno Maïga est d’autant plus scandaleuse qu’elle intervenait avant même que le long-métrage malien n’entre officiellement en compétition.
• Pour certains, il s’agit de préparer les Maliens à faire face à la défaite. Sans doute, si le Mali ne remporte pas de trophées, nous sommes loin de “la fin du monde”. Mais le ministre Culture doit comprendre qu’on ne vient pas à une compétition pour la perdre, surtout un pays comme le Mali à un rendez-vous du cinéma. Dans l’histoire du cinéma africain, le Mali n’est pas rien.
• Trois fois lauréat du grand prix “Etalon de Yennega”, à travers Souleymane Cissé et Cheick Oumar Sissoko, le Mali occupe à Ouagadougou une place de choix à ce festival. Le défi pour nos acteurs et réalisateurs, c’est donc de préserver cet héritage. Ils en ont le devoir, car la sagesse nous enseigne que l’homme de culture, c’est celui qui veut gagner, et toujours. Et le Mali veut gagner à Ouagadougou en 2013.
• En partant au 23e Fespaco, les réalisateurs maliens de films en compétition n’y allaient pas faire du tourisme. Au moment où notre pays est nostalgique de grands prix au Fespaco, peu d’artistes ont adhéré au discours du ministre. Surtout quand on sait que cette année, le long-métrage a véritablement de bonnes raisons de remporter “l’Etalon d’or de Yennega”.
• Mais à un rendez-vous où l’attribution des prix est de plus politisée, selon de nombreux observateurs, tout reste à prévoir. Et le ministre le sait peut-être.
• I. F. Sissoko
Discours défaitiste ? Non, il ne pouvait en être autrement, pour qui connait le véritable visage de ce Ministre qui ne sait pas quelle hauteur de vue doit le caractériser dans l’exercice de sa mission. Pauvre Mali!
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