Jeanne Diama, comédienne et dramaturge malienne, a écrit et mis en scène la pièce Cousu main, Coups humains. C’est le fruit d’une résidence d’écriture, de création et de diffusion soutenue par « Des mots et des lettres » de l’institut Français de Paris. Plusieurs théâtres de Bamako ont accueilli le spectacle. Cette pièce relate l’austère vie que des hommes armés ont sciemment imposée à une fille de huit ans et sa mère. Une austérité qui chosifie la femme et la réduit au plaisir. C’est dans un ras le bol que deux comédiennes jouent Cousu mains, coups humains. Elles brisent le silence, fini la résignation !
Le texte de Jeanne est cru, il exprime toute la rage qu’une femme violée et abusée pourrait déverser pour dire son dégoût de l’acte. Inspirée par les violences basées sur le genre, notre dramaturge invite à écouter les femmes sur un sujet qualifié de tabou dans certains milieux africains. À travers une mère et sa fille, l’amertume de toutes celles qui ont traversé des moments difficiles est traduit dans ce texte.
Désespérée, désemparée, épouvantée et dégoûtée de la vie, Anna se sent meurtrie, pleine d’angoisse et de désarroi vis-à-vis de la vie et de tout son entourage. En présence de sa mère, elle ressasse les événements qui l’ont plongés dans une affliction. Ce qu’elle ressasse, sa mère l’a aussi vécu avec elle. Sans secours, devant la figure de stabilité qu’est le père, l’homme de la maison, des hommes armés venus d’ailleurs ont abusés d’elles. Ils se sont servies d’elles et les ont asservis comme objet de plaisir. Comme un puit où l’on peut s’abreuver à chaque fois que besoin se fera sentir. Et cela pendant 10 ans. N’en pouvant plus, la fille décide de ne plus subir ; fuir le lieu de son malheur est un espoir de vie. Mais fuir pour aller où ? Le monstre erre partout et est plus féroce dehors.
La pièce met en évidence une réalité existante qui tourmente les femmes. Ils sont nombreux ceux-là qui pensent que la femme est pour leur réjouissance. Anna et sa mère en payent les frais. Être femme, dans un lieu en proie à la domination d’une morale sans conscience, fait d’elles des êtres serviles. Tout le monde trouve normal ce qu’elles subissent parce qu’elles sont des femmes. Un milieu fataliste accepte tout.
On est à la campagne, la scène nous projette cette impression au premier coup d’œil. Une cours désordonnée, abandonnée comme si personne n’y habitait. Du côté jardin, des roues de véhicule aux abords et des bâtons suspendus tenant une corde crée l’espace d’un puit. Deux lampes à pétrole sont suspendues sur une paille qui sert de clôture. Sur cette paille se trouve également un linge éparpillé çà et là. Du côté cour, un sac de voyage et un bidon de 20 litres complètent le décor. Une famille modeste de cette campagne y vit son quotidien. Le désordre était tel qu’on sentait que cette famille n’avait plus aucun espoir.
La scène est stable, sans changement de décor, ni de lumière. C’est sous cette position initiale que le spectacle prend tout son envol. Un fait qui n’émane pas d’une mise en scène hasardeuse. Une ingéniosité de cette mise en scène est le fait que des feuilles sèches soient éparpillées sur la scène. Elles symbolisent certainement l’ampleur du mal dont souffrent les personnages.
Par ailleurs, les comédiennes ont le mérite d’imposer la réalité du texte à l’assistance. Elles ont su emporter tous les spectateurs dans les profondeurs de la douleur. Avec un jeu dynamique, vivace et souvent même brûlant, le spectateur reste saisi.
Enfin, cette pièce est à regarder. Elle est vivante, avec un texte fort et sans complaisance, sans détour, ni aucun tabou sur un sujet d’actualité. À travers cette création, beaucoup de femmes victimes de violences basées sur le genre auront le courage d’affronter leur aurore et beaucoup d’hommes comprendront le mal et l’oppression que ces femmes subissent. C’est une pièce qui percute et pénètre les âmes.
Zakariahou ALHOUSSEINI
NOTRE VOIE