Le réalisateur Souleymane Cissé ne cesse de raconter des histoires fortes, celles des Maliens qui l’entourent, au quotidien. Portrait.
«On écrit en marchant ! A chaque fois qu’on découvre les gens, on a un contact, des informations et la vie s’installe, l’histoire s’installe et on commence à écrire».
Avec son grand boubou en bazin couleur crème qui traîne allégrement par terre dans la poussière de son quartier populaire de Bamako qui l’a vu naître et grandir, Souleymane Cissé ne cesse de laisser l’histoire s’établir.
Quand il s’assoit pour discuter avec la vendeuse de beignets, pour boire un lait caillé en rang d’oignons avec d’autres compagnons inconnus, ou qu’il discute avec les enfants des rues… Souleymane Cissé baigne dans le populaire et ses films racontent ces scandales du quotidien. A 71 ans, le cinéaste Malien reconnu internationalement ne compte pas baisser les bras, «sinon on donne raison aux politiciens qui ne croient en rien et qui sont en train de tout détruire, et on ne peut pas laisser faire cela».
Portrait d’un guerrier de la vie par l’image
Dans sa maison natale, en plein milieu d’un quartier populaire de Bamako, Souleymane Cissé, «une petite canaille qui aimait jouer au football» comme il aime se décrire, grandit au milieu de ses 8 frères et de sa sœur. A six ans, il prenait une toile blanche, une lampe à pétrole et des cartons pour jouer avec et faire des ombres pour ses copains du quartier. «Je ne faisais que les amuser, c’était des jeux, c’était peut-être des révélations», s’interroge-t-il maintenant, tout en pointant du doigt l’endroit où il a découvert sans vraiment le savoir le cinéma. Mais à l’époque, le cinéma, dans sa tête, s’arrêtait au comédien. Réalisateur, un mot obscur qu’il ne connaissait même pas. Le vieux Malien ne comprend toujours pas «par quel miracle», il s’est mis à faire du cinéma et à être un cinéphile, malgré l’éducation fourni par son père, très sévère, polygame, qui «ne transigeait pas sur les principes mais qui était très ouvert».
L’élément déclencheur? Un documentaire sur l’arrestation de Patrice Lumumba, ancien premier ministre congolais assassiné en 1961.
«Cela a réveillé en moi tout ce qui dormait. Et le cinéma s’est installé en moi et depuis il ne veut plus partir».
L’exil puis le retour sur la terre natale
En 1963, Souleymane Cissé part en Russie poursuivre ses études à l’Institut des hautes études supérieures de la cinématographie de Moscou. A son retour en 1970, il «retombe sur les problèmes, les tabous. Je n’avais pas le choix de m’engager vu tout ce qu’il y avait comme injustice. Quelqu’un devait dire faut arrêter et je me suis permis de le faire». Il travaille d’abord pour le ministère de l’Information malien, fait un moyen métrage avant de réaliser un film qui va le conduire en prison: Den Muso (la jeune fille), en 1975. L’histoire d’une jeune fille muette violée puis rejetée. La prison, une manière de le détruire, estime-t-il. Mais l’homme pour qui «l’œuvre est plus importante que lui-même» a résisté, préférant être derrière les barreaux pour que son œuvre lui survive. «Le plus grand mal qu’on aurait pu me faire est d’effacer mes films», explique-t-il.
Puis il enchaîne ses autres films, Baara (Le travail) en 1978, Fin Yé (Le vent) en 82 qui lui vaut d’être membre du jury du Festival de Cannes un an plus tard. Avec Yeelen ( La lumière) en 1987, racontant le chemin compliqué pour devenir adulte et la difficile relation entre un fils et son père qui supporte mal de voir son petit devenir son égal, le cinéaste malien aux petites lunettes remporte le prix du Jury à Cannes. Le film est l’un des plus marquants des années 1980 et était même au programme d’étude du baccalauréat option cinéma en France en 2011. S’ensuivent Waati (Le temps) en 1995, la création deux ans plus tard de l’Union des créateurs et entrepreneurs du cinéma et de l’audiovisuel de l’Afrique de l’Ouest (Ucecao) «pour structurer les gosses afin qu’ils ne pourrissent pas avec leurs idées par manque de financement, de soutiens».
En 2002, Souleymane Cissé découvre le village de Niamina, à 170 km de Bamako, le long du fleuve Niger. Malgré les quelques heures de chemins cahoteux et de poussière pour s’y rendre, Souleymane Cissé y établit chaque année ses quartiers pour amener des jeunes cinéastes, des amoureux du cinéma. Au milieu du marché, où les mercredis la cinquantaine de villages avoisinant s’y retrouvent pour vendre savons, tissus ou encore légumes, Cissé se trouve «l’homme le plus heureux». D’un côté, il souhaite donner un nouveau souffle au village et de l’autre, amener les jeunes cinéastes à s’inspirer de cette réalité rurale.
«Je sais que mes films peuvent servir, et ils serviront encore mais le fait d’être à côté de ces gens qui commencent à se relever, il n’y a pas de prix à ça».
«Chaque film, un combat»
Toujours aussi à l’aise, il plaisante avec l’un, taquine l’autre et sourit avant de se mettre à l’ombre. A l’ombre, justement il y reste car Min Yé (Dis moi qui tu es) ne sort qu’en 2009, 14 ans après son précédent film. Min Yé, sélection officielle du festival de Cannes hors compétition, traite de la polygamie, l’adultère et la relation entre les hommes et les femmes. Le réalisateur américain Martin Scorsese, ami de Souleymane Cissé, lui fait remarquer que son film est dérangeant. Le cinéaste malien s’esclaffe et lui rétorque alors «ton film, la Tentation du Christ, il était dérangeant aussi non ?».
«Le cinéma est fait comme ça. Ou on se fait plaisir, on ne réfléchit à rien ou alors on fonce, on se sent touché, blessé, on s’accuse».
Trente-six ans après son premier film, le guerrier des causes communes n’a pas changé.
«Je ne sais pas si c’est une forme de révolution ou d’injustice intérieure, mais c’est plus fort que ce petit mot qu’on créé toujours autour de mes œuvres. Chaque film est un miracle et chaque film est un combat».
Le vainqueur à deux reprises de l’Étalon de Yennenga au FESPACO (Festival panafricain du cinéma et de la télévision) de Ouagadougou, n’en a pas fini. En réfléchissant à son prochain film, il garde un œil sur la relève qu’il espère plus audacieuse, lui qui ne souhaite jamais quitter son Mali natal car «il faut vivre avec les siens pour pouvoir s’exprimer sans que rien ne nous échappe», lui qui a la chance de pouvoir tâter au quotidien l’atmosphère de la vie et pouvoir montrer au monde comment on vit chez lui.
«C’est l’homme de Bamako», explique l’écrivain québécois, Dany Laferrière, en lui rendant hommage lors du festival Black de Montréal:
«Souleymane Cissé se fera toujours emmerder par les pouvoirs car il est malsain pour eux. Son regard dérange car il voit l’injustice quotidienne».
Et si c’était à refaire, le Malien ne changerait rien car son cinéma est un «cinéma qui provoque, qui blesse mais quelque part pour soigner les gens, il faut leur dire la vérité».
Par Marie Mbodji (slateafrique.com – 27/11/2011)