Issa Balla Moussa Sangaré nourrissait depuis un certain temps le projet d’écrire sur le premier président de la République du Mali. C’est chose faite. Son livre «Modibo Keita, la renaissance malienne», édité par L’Harmattan Mali, paraîtra début octobre. Né en 1984 à Bamako, Issa Sangaré est parti aux Etats-Unis en 2009 dans le cadre de ses études. Diplômé de plusieurs universités américaines, ce jeune blogueur vit à Washington D.C. Il est fréquent qu’un auteur sollicite une préface d’une autorité dans le domaine dont son ouvrage relève. C’est vers André Bourgeot, anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS, et grand connaisseur du Mali, qu’Issa Sangaré s’est tourné. Nous avons rencontré André Bourgeot à ce sujet.
Ecrire la préface d’un ouvrage, c’est en être le préfacier. Qu’est-ce que cela signifie, Professeur ?
Un ouvrage doit avoir de la valeur en tant qu’ouvrage. Ce sont l’auteur et ses propos qui sont déterminants. Le nom, ou la notoriété, de celui, ou celle, qui accepte de préfacer un livre ne modifie sa valeur ni en bien, ni en mal. Le préfacier peut corroborer les valeurs intrinsèques de l’ouvrage et son auteur, mais ce n’est pas lui, ou elle, qui en fera la valeur. Un livre doit avoir sa propre vie. Lorsqu’un auteur m’envoie son manuscrit, et me sollicite pour le préfacer, habituellement, j’ai tendance à refuser.
Pourquoi avez-vous accepté de préfacer le livre d’Issa Sangaré ?
Lorsqu’il m’a demandé de préfacer son livre, j’ai hésité, comme toujours. Mais, plusieurs raisons m’ont amené à prendre la décision d’accepter. D’une part, c’était le premier livre qu’il allait publier. Il est jeune, il vit aux Etats-Unis, et pourtant il s’implique dans les réalités de son pays de naissance. J’ai pensé nécessaire de soutenir un jeune qui prend ce genre d’initiative. D’autre part, à la lecture de son manuscrit, j’ai trouvé que sa démarche se voulait objective. Certes, son style est un peu narratif, mais son travail est très référencé, c’est important. J’ai estimé qu’il était pertinent d’épauler ce genre d’ouvrage dans le contexte malien actuel. Je parle de démarche objective, car dans son livre, Issa Sangaré n’omet pas d’aborder les faiblesses du régime de Modibo Keita. Il renvoie, par exemple, aux exactions perpétrées par la milice populaire de l’époque Modibo. Ce n’est pas négligeable d’oser le faire dans un livre consacré au Père de l’Indépendance du Mali. Issa Sangaré écrit avec beaucoup de sérénité, de conviction et de sincérité, trois qualités que j’ai appréciées. Préfacer signifie soutenir un ouvrage qui le mérite. C’est ce que j’ai souhaité faire en acceptant d’être le préfacier du livre d’Issa Sangaré.
Sans trop la déflorer, qu’avez-vous écrit dans cette préface, André Bourgeot ?
Je me suis permis d’y faire le lien entre les valeurs véhiculées à l’époque de Modibo Keita, et ce qui se passe actuellement au Mali. Les Pères des Indépendances étaient des militants, au sens noble du terme. Ils défendaient des valeurs. Ils avaient un projet politique et un projet de société. Chacun était réalisable. Malgré le contexte néocolonialiste, Modibo Keita, comme d’autres, était porteur d’une certaine éthique. À ma connaissance, même s’il devait bien y en avoir un peu dans le Mali de l’époque, Modibo et ses compagnons n’ont jamais été accusés de corruption ou d’enrichissement. Cela fait longtemps que les valeurs militantes ont volé en éclats, au Mali comme ailleurs en Afrique. Elles ont disparu de la sphère politique.
Aujourd’hui, les présidents, leur entourage, et ce qu’on appelle l’Elite, instrumentalisent les partis politiques à des fins personnelles, pour arriver au pouvoir et s’enrichir. La Politique est devenue une marchandise à se partager au sein d’un cercle très restreint, au détriment des populations. C’est une rupture radicale avec ceux qui ont fondé les jeunes Etats indépendants.
Dans son livre, Issa Sangaré n’a pas de grandes prétentions, il fait preuve de modestie. Il décrit les valeurs d’une époque révolue. Il dresse une liste de faits indiscutables. Il ne cherche pas à analyser le bien et le mal de l’ère Modibo Keita, ce n’est pas son propos. Son livre fera l’objet de critiques, il doit s’y attendre, comme toute personne qui publie. Mais si les gens se saisissent de ses propos, ce jeune auteur pourra être satisfait d’avoir contribué à alimenter la réflexion politique. Quelque soit le devenir de cet ouvrage, je ne regrette pas de l’avoir préfacé.
Françoise WASSERVOGEL