Sauvons le cinéma malien

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Les rideaux sont tombés, ce samedi 23 octobre 2021, sur la 27ème édition du Festival panafricain du cinéma et de télévision de Ouagadougou (FESPACO). Le Mali, avec sa réputation de grande nation du cinéma africain, aura brillé par son absence dans la catégorie reine. Fait suffisamment rare depuis la création de ce rendez-vous cinématographique pour être souligné par les plus grands observateurs du septième art. Autre fait rare, le Mali rentre bredouille de sa campagne à Ouagadougou. Pas un seul prix n’aurait pu permettre de cacher la forêt.

Le dernier FESPACO, au-delà des discours creux et des interrogations superficielles, doit poser les véritables problématiques du secteur et inspirer une introspection collective sur le cinéma malien d’hier, d’aujourd’hui et de demain. L’heure est au bilan, exercice fondamentalement nécessaire avant toute projection. D’autant plus que les autres pays africains, notamment de la sous-région, travaillent à construire ou consolider leur industrie du cinéma, avec des résultats concrets sur la scène internationale.

La présente tribune se veut le point de départ d’une réflexion collective sur le secteur de la cinématographie au Mali, dans un contexte structurel mondial, plaçant le cinéma comme un outil stratégique de développement et de construction citoyenne.  Des pays comme le Nigéria, le Sénégal et la Côte d’Ivoire montrent le chemin, quant à la rentabilité économique et la force sociale du cinéma.

Au Nigéria, par exemple, l’industrie cinématographique est le deuxième secteur pourvoyeur d’emploi, après l’agriculture, avec plus d’un million de personnes qui y vivent directement. Elle produit plus de 2500 films par an et génère plus de 300 milliards de chiffre d’affaires annuel. La Côte d’Ivoire et le Sénégal s’orientent vers cette dynamique, tout en intégrant le cinéma comme fer de lance de leur politique de transformation sociale, de promotion touristique et de positionnement diplomatique.

Existe-t-il un cinéma malien ?

Oui sans doute quand on voit l’apport de grands réalisateurs maliens à l’histoire du cinéma africain et mondial. Oui, sans doute, existe-t-il un cinéma malien au regard de la production nationale, certes, faible mais qui a le mérite d’exister chaque année. Mais ce qualificatif de “cinéma malien” n’est pas encore catégoriel d’une substance filmique, d’un savoir-faire malien dans ce domaine, encore moins d’une façon de faire spécifique au Mali. Ce constat, à comprendre sous un angle structurel, n’évoque pas le savoir-faire individuel de certaines figures emblématiques du cinéma malien.

Il est aisé de citer la science de Cheick Oumar Sissoko, la philosophie de Souleymane Cissé, le regard de feu Assane Kouyate ou encore la touche unique de Abdoulaye Ascofaré. Pourtant, autant l’Inde a son cinéma reconnaissable parmi tant d’autres, autant le Nigéria se démarque avec des réalisations à la trame presque marquée au fer rouge, autant le Mali n’a pas encore sa voie.

Pour trouver un cinéma malien, il faudrait développer une compréhension propre du cinéma. Malheureusement, nos grands réalisateurs, issus de diverses écoles (Russe, pour la plupart, française et parfois américaine) n’ont pour l’instant pas encore plancher sur le reflet de notre spécificité dans la réalisation d’un film. Il est certain que les sujets traités nous renvoient au Mali et à l’Afrique mais cela ne saurait suffire pour faire saillir un modèle de cinéma malien. S’il est vrai que le cinéma est la projection de notre compréhension du monde, il urge alors de préparer l’avenir de cet art et fondre dans un moule propre au Mali.

C’est peut-être tout le sens de l’offensive des autorités maliennes de ces 5 dernières années pour disposer d’un financement étatique du secteur avec pour objectif de  faire du cinéma, comme indiqué dans le document-cadre de Politique Culturelle, “un domaine qui peut apporter une contribution très importante aux objectifs du développement durable, sur le plan culturel (mettre en images toute la diversité), humain et social (il est accessible à tous les publics) et économique (il fait intervenir de nombreux travailleurs et établissements spécialisés et procure en principe une forte valeur ajoutée)”.

Quelles ambitions pour notre cinéma ?

Le 30 novembre 2017, l’Assemblée Nationale du Mali, sur proposition du Gouvernement, a statué et voté la loi portant création du Fonds d’Appui à l’Industrie Cinématographique (FAIC). Pour replacer la création de ce fonds dans son contexte, il faut rappeler que la réflexion est menée depuis les années 1998. Près de 20 ans après, l’argumentaire qui a prévalu à sa création effective est que le Mali est un pays de culture dont le passé glorieux de son cinéma est connu de tous.

Par sa quantité et sa qualité, la production cinématographique a propulsé notre pays sur le devant de la scène internationale pendant de nombreuses années. Force est, malheureusement, de constater que ce succès n’a pas toujours été suivi d’une réelle politique de soutien à ce secteur qui aurait dû aujourd’hui prétendre à être une véritable industrie. Une situation d’asthénie s’est installée en ce qui concerne le cinéma malien, caractérisée par la baisse de la production et par l’absence de vocation réelle dans ce domaine au niveau des jeunes.

En le disant, il est à souligner que le premier facteur, en plus des politiques insuffisantes est sans doute le financement peu adapté et peu soutenu de ce secteur.  Pourtant, il a été créé un certain nombre de service d’état pour remédier à cette préoccupation des acteurs du cinéma. C’est ainsi que le Centre National de Cinématographie du Mali (CNCM) a été créé pour remédier à cette question du financement du cinéma. L’ambition à elle seule n’aura pas suffi. Le CNCM, bien que créé comme un EPA (Établissement Public à caractère Administratif), n’a pas répondu aux attentes.

Ceci peut s’expliquer en partie par le fait qu’il ait été décidé de la création d’un compte d’affectation spéciale au trésor pour la promotion et l’extension du cinéma, depuis juillet 1998, qui n’a jamais été approvisionné par l’État du Mali. Ainsi donc, la création du CNCM, avec plusieurs missions qui touchent à la fois la production, le développement, la formation etc., n’a pas permis de résoudre la question cruciale du financement du secteur cinéma.

Il s ‘est agi, dès lors, de mener la réflexion sur un nouveau mécanisme de financement qui va au-delà du compte d’affectation spéciale au trésor pour la promotion et l’extension du cinéma. Le Fonds d’Appui à l’Industrie Cinématographique a ainsi été porté sur les fonts baptismaux pour “soutenir les projets des cinéastes et des professionnels des métiers du cinéma, créer des infrastructures adaptées, dotées d’équipements modernes, renforcer les capacités des acteurs et professionnaliser les différentes filières du cinéma et de l’audiovisuel. En somme, le projet vise l’émergence d’une véritable industrie cinématographique, moderne et compétitive dans notre pays”.

Théoriquement, ce fonds jette les bases d’une véritable industrie cinématographique à l’image des grands pays du cinéma et exprime, avec brio, la volonté politique de l’État malien à valoriser le secteur. Malheureusement, et comme toutes les initiatives au Mali, les actions n’ont pas suivi. Le fonds n’a jamais été doté.

Poser les jalons d’un Maliwood…

Sous la direction de Samba Gadjigo et Sada Niang, un ouvrage collectif, intitulé modestement « Hommage à Ousmane Sembène », paru aux éditions papyrus Afrique (Août 2010), reprenait une indignation toute africaine de ce grand homme de culture qui disait : « Pour faire un film, il faut aller en France ; pour faire de la musique, il faut aller en France ; pour écrire un livre, il faut aller en France… nous sommes fatigués de tendre la main ». Cette exaspération du lien entre la France, ancienne colonisatrice, et les pays africains dans le domaine culturel est encore aujourd’hui d’actualité, surtout pour ce qu’il est du cinéma.

Avoir un Maliwood, en écho à Hollywood, Bollywood ou encore Nollywood, revient à mettre en place toute une batterie de mesures pour le secteur du cinéma. Maliwood peut exister, à condition d’avoir une politique d’ensemble comme ce fut le cas aux États-Unis. « L’industrie du film américain a été assisté pendant des décennies par des schémas de crédit-impôt, des commissions sur les films, une logistique de représentation à travers non seulement le département d’État mais aussi le département du Commerce, une politique de devises etc. » (Cf. Toby Miller in Diversité Culturelle et Mondialisation de Armand Mattelart).

Cet appui visait à faire de l’industrie du cinéma le fer de lance de la volonté politique, au sortir de la seconde guerre mondiale, de vendre “l’American Way of life”. L’enjeu était de briser l’hégémonie que depuis 1870, les européens exerçaient dans le domaine des médias sur les flux mondiaux d’information. Maliwood devra être pensé comme un support unique au développement du Mali, partant chaque investissement de l’État dans ce secteur devient structurant et susceptible de donner une cohérence à la fois à la philosophie de production des films qu’à la quantité de films produits.

Des bases pour soutenir la naissance de cette véritable industrie existent. Les modèles d’inspiration, à l’image du Nigéria ou des pays voisins comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal, ne manquent également pas. Il faut cependant des mesures fortes, inscrites dans le temps et l’espace, inspirées de nos réalités sociales et orientées vers les défis structurels du Mali. Disons-le, sans ambages, le cinéma malien se meurt. Faute essentiellement de financement certes, mais aussi de manque de structuration et surtout d’un leadership éclairé.

10 mesures fortes pour sauver le cinéma malien…

  1. Une nouvelle vision politique et un plan intégré de développement du secteur, avec des objectifs clairement identifiés et des moyens bien définis.
  2. Une nouvelle orientation managériale du secteur, portée par une rupture avec la gouvernance actuelle.
  3. L’alimentation du Fonds d’Appui à l’Industrie Cinématographique (FAIC), en respectant la dotation initiale de 6 milliards sur les trois prochaines années.
  4. Le développement quantitatif et qualitatif des contenus avec pour objectifs, sur les dix prochaines années, la production chaque année d’au moins 20 productions compétitives.
  5. La promotion d’un marché local avec la construction de salles de cinéma dans les grandes villes à l’intérieur du pays et la tenue d’un rendez-vous annuel sur le marché intérieur du cinéma malien.
  6. La mise en œuvre d’un plan de formation global pour le renforcement des compétences au bénéfice des acteurs, techniciens et d’autres opérateurs du secteur (producteurs et distributeurs).
  7. Le développement d’un mécanisme interne de financements alternatifs de l’industrie du cinéma et orienté vers les défis structurels du Mali.
  8. La structuration du secteur avec la mise en place d’une commission paritaire chargée de la réorganisation systémique de toute l’industrie nationale.
  9. L’adoption de textes réglementaires en vue de la professionnalisation du secteur, notamment sur les métiers de la cinématographie et les modalités de déclaration d’exercice.
  10. La matérialisation de toutes les conventions de partenariat ou de coopération dans le domaine du cinéma.

Une tribune de Fousseyni MAIGA & Yacouba KEBE

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