Invitée Culture de RFI, l’artiste malienne Rokia Traoré, répond à nos questions alors qu’elle est en pleine tournée avec son cinquième albumBeautiful Africa. Elle se produit ce jeudi 8 août à Sète, dans le cadre du festival Fiest’A Sète.
RFI Musique : Grâce à votre musique, qui est un mélange de sons traditionnels et de sons modernes, beaucoup de gens ont découvert la musique africaine. Est-ce que c’était l’objectif, au départ, de faire découvrir cette musique ?
Rokia Traoré : Je n’avais pas vraiment d’objectif, d’autant que je suis arrivée sans aucune prétention, juste le plaisir de faire de la musique et d’essayer des choses que j’imaginais. Je pensais devenir journaliste et écrire sur la musique. Je ne savais pas que j’aurais l’opportunité d’être musicienne un jour, et que je pouvais, d’ailleurs, être musicienne. Je ne pensais pas avoir une voix, même si je composais beaucoup de chansons et que j’écrivais des textes. Je pensais les donner à un musicien un jour. Donc voilà, c’est arrivé comme ça et quand je fais des projets, aujourd’hui encore, c’est sans aucune prétention. C’est avec l’envie de découvrir, c’est la curiosité de réaliser ce que j’imagine et puis d’être tout simplement, une part de l’Afrique dynamique et actuelle. Parce qu’en Afrique, il n’y a pas que le chant des griots et les musiques liées au passé – ou les arts d’ailleurs, liés au passé – ça vit, il y a une dynamique, on est des êtres vivants.
Quand est venu le déclic ?
Tout a commencé quand j’ai fait de l’animation radio. Des auditeurs appelaient régulièrement et le directeur m’avait dit : “je devrais t’embaucher comme chanteuse plutôt qu’animatrice” parce qu’on appelait pour dire qu’on aimait ma voix. Et on a commencé à me dire : “tu devrais chanter” et à l’époque, j’avais ma guitare, donc je jouais et je faisais des chansons à la maison. Et puis à un moment, j’ai fait partie d’un groupe de rap et on a fait un clip – c’était le premier groupe de rap malien – et je me suis retrouvé à un moment, j’avais 19 ans, avec la possibilité de faire un premier album.
Comment vos influences telles Ella Fitzgerald par exemple, se mélangent-elles avec vos racines maliennes ? Quel rapport entre ces grandes voix que vous écoutiez régulièrement, vos influences rock, et ces racines ?
J’ai du mal à déterminer quel est le lien, puisque pour moi, il est évident. Le blues de la voix de Tara Bouaré (ndlr : chanteuse malienne des années 70) ou celui de Billie Holiday, même si elles chantent dans des langues différentes, qu’elles n’ont rien à voir culturellement, ce sont des chants et des voix qui me touchent au même endroit et de la même manière dans mon être. C’est difficile de déterminer ce, exactement, en quoi on est touché par une musique.
Vous pensez aujourd’hui que la musique africaine n’est pas reconnue à sa juste valeur ?
Le meilleur de cet art-là et de cette culture est en Europe. D’une part, ça ne circule pas en Afrique, d’autre part, ce qui est en Europe, n’est pas mis en valeur. Les guerres, les famines, intéressent beaucoup plus les médias et je pense que cela intéresse plus le grand public et qu’on ne prend pas le risque de frustrer et de perdre des clients. Donc, on leur présente ce qu’ils veulent et voilà.
Qu’est-ce qui manque en Afrique pour que cet art africain, ces artistes africains puissent s’épanouir aujourd’hui ?
Une volonté des dirigeants africains de mettre l’art et la culture en valeur et de respecter les gens qui sont dans ces métiers, d’arrêter de nous voir comme des bouffons. On n’est pas là pour amuser la galerie et le rôle des artistes pour l’Afrique et son développement est très important. À l’étranger, l’image positive de l’Afrique passe, essentiellement, à travers l’art et la culture africaine. Et il est important aujourd’hui qu’on nous reconnaisse ça et qu’on laisse plus d’espace et de moyens aux artistes, dans leur pays.
C’est à Bamako que vous avez composé les morceaux de Beautiful Africa. Comment avez-vous vécu ce qui s’est passé au Mali ?
Avec la partie malienne du groupe, on devait partir pour une tournée et c’est le soir de notre départ que le coup d’État a éclaté. Nous ne sommes pas partis. Donc, Beautiful Africa, c’était bien plus tard, au moment où j’avais enfin l’envie et la force de chanter ce que je ressentais par rapport à la situation au Mali. C’est triste, il y a des parts de responsabilités partagées, mais ce n’est pas terminé, ça va prendre du temps de panser la plaie et de faire la part des choses dans ce mélange de leaders religieux qui ont un intérêt à défendre, de leaders politiques, et la population prise au piège… Comme les gouvernements en Afrique, en général, ne donnent pas l’impression de porter la population et d’être là pour elle. C’est triste et c’est une situation extrêmement délicate, qui prendra au moins autant de temps, si ce n’est plus à être résolu, que le temps que ça a pris à se mettre en place.
Dans une de vos chansons, vous dites : “Je rêve Afrique”. Quel est votre rêve Afrique aujourd’hui ?
Mon rêve, c’est tout ce que je suis en train de faire. Mon rêve, c’est aussi la réalité, qui me fait tellement du bien, que pour moi, c’est de l’ordre du rêve. Alors ça fait bizarre parce que je suis malienne et je parle de ce que je fais au Mali, à Bamako, malgré tout ce qui se passe. Mais je trouve qu’il y a un potentiel énorme, que cela vaut le coup de s’accrocher et de ne pas laisser cette population dans cet état et à la merci de tous ces gens, qui en plus parle d’amour pour le Mali, pour l’Afrique. Quand on voit leur train de vie… Ça d’ailleurs, c’est dégoûtant, parce qu’évidemment, ce sont des gens qui roulent dans les voitures les plus chères et qui ont de l’argent – qui vient de je ne sais où – et leurs disciples vont jusqu’à dire que c’est de l’argent qui tombe du ciel, parce que ce sont presque des saints quelque part… je me dis : “Ciel ! Si l’au-delà se passe comme il est censé se passer. En enfer, il n’y aura pas assez de place !”
Par Anne Verdaguer
RFI
Ma question s’adresse à Rokia: ” Qu’est-ce qui t’es arrivé sur la scène à Bamako la nuit du réveillons passé, un verre de trop” ? J’ai cru te voir imiter une ivrogne essayant en vain de chanter et de gratter sur une guitare sans corde. 😀
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