Le Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM), en partenariat avec la Fédération nationale du cinéma de l’audiovisuel du Mali (Fénacam) a tenu la 2e édition du rendez-vous du cinéma malien. C’était le 14 décembre 2022 au Conservatoire des arts et métiers multimédia Balla Fasséké Kouyaté. L’objectif de cette rencontre est de permettre aux jeunes générations de connaître les succès de l’invité, les difficultés rencontrées et sa vision du secteur d’activité.
Après avoir visionné un extrait d’un des films du doyen Cheick Oumar Sissoko, à savoir “Guimba, un tyran”, une époque, Cheick Oumar Sissoko a dit sentir beaucoup d’émotion parce que plusieurs acteurs de ce film sont décédés comme Michel Sangaré, Balla Moussa Kéita, Tito le Nain, etc., mais il a trouvé que c’est un travail bien fait par les techniciens maliens. C’est de la richesse culturelle qu’on voit dans ce film. Le cinéaste a dit évoquer dans ses films des questions d’urgence tout en démontrant la richesse culturelle du Mali. “Je parle précisément de l’école malienne, la déperdition scolaire, l’exode rural, les violences scolaires, l’excision, l’immigration. Ce sont des situations qui ne permettent pas l’émancipation de la femme. Dans le film ‘Niamaton’, il y a des enfants qui n’arrivent pas à aller à l’école à cause de l’Etat, la question du pouvoir. J’ai besoin de montrer la richesse du continent, pendant 3 ans, nous avons essayé de trouver cela et nous avons choisi Djenné et le plateau Dogon”, a-t-il expliqué.
Parlant des violences basées sur le genre, il a déclaré l’avoir constaté dans le Bélédougou quand il tournait son film sur l’exode rural. “Il y en a dans notre société parce que son choix de cinéma s’est porté sur les questions qui bloquent le développement du continent”. C’est pour cette raison qu’il a quitté les sciences pour le cinéma à cause de la politique.
“J’ai été président du Syndicat des étudiants maliens en France, après président du Syndicat africain des étudiants en France dans les années 70 avec des meetings, marches et conférences. Nous travaillions à l’éveil de conscience et c’est là que j’ai choisi le cinéma parce que le professeur en science ne peut qu’enseigner les mathématiques qu’à une quarantaine de personnes et ses idéaux passent à la trappe. Mais l’image permet de contribuer à l’éveil des consciences”, a schématisé le cinéaste.
Sur ce plateau, Cheick Oumar Sissoko a préféré la casquette de cinéaste au titre de ministre en tant que secrétaire général d’un organisme international de cinéma. Comme maux du secteur aujourd’hui, il a évoqué le manque de production, le manque de salles de cinéma et regretté que 90 % des films projetés dans les salles de cinéma du Mali et vénérés sur les chaines de télévisions soient des films venus de l’extérieur que nos populations regardent en longueur de journée.
“S’il y a une capacité de critique, nos enfants dans les villes et campagnes regardent ces images de violence, de sexe, de banditisme, de corruption. Toute chose qui va les amener à un changement de mentalité parce que fixé sur cette culture de violence. Ils vont finir par inscrire leur destin dans cette violence aujourd’hui et demain et c’est grave. Malheureusement, nos Etats ne comprennent pas l’importance de la culture. Ils ne s’y investissent pas, alors que la culture c’est le fondement de notre humanité, sans elle, nous ne sommes rien et cela, malgré ce que le Mali représente à travers la musique, les arts plastiques, la danse et le cinéma”, a martelé le doyen.
Cheick Oumar Sissoko a signalé que l’Etat, à travers le Centre national de cinématographie du Mali, appelé autrement dans le passé, a contribué à la production de tous les films dans le temps parce qu’il y avait les meilleurs techniciens, cadreurs et ingénieurs de sons dans ce Centre dans les années 80.
L’icône du cinéma malien a rappelé que le premier film fait par des Maliens c’est “Bambo” et c’était en 1966 par les élèves du lycée Technique de Bamako. De passage, il soulignera “qu’il n’y avait pas d’acteurs professionnels à cette époque parce qu’il n’y avait pas d’école de formation. Les acteurs étaient pris à travers leur physique, leur façon de parler et on leur attribuait les rôles qui leur convenaient”.
Le doyen conseillera aux jeunes cinéastes d’être sérieux, de ne pas faire la grosse tête, d’être des passionnés du métier. “J’ai constaté qu’aujourd’hui, tout le monde est réalisateur, le chef opérateur, les comédiens, même le passant, alors que chacun à un rôle spécifique à jouer. Je demande aux réalisateurs de respecter tout le monde sur les plateaux afin qu’on les respecte aussi. La question de langue est importante aussi parce qu’elle évolue comme les cultures. Le bambara parlé en 1980 et celui d’aujourd’hui est un peu différent, les mots changent. Il faut beaucoup se balader surtout dans les marchés, car les personnes y vont, donc on entend et voit beaucoup dans les marchés”, a estimé l’invité.
Pour terminer, il a demandé aux jeunes cinéastes de lire pour bien connaitre nos sociétés, car un film est une histoire humaine où des rapports sociaux doivent donner une impression du réalisme. Il a ajouté qu’il faut trouver du financement, car eux ils ont eu la chance parce qu’il y avait des guichets de financements dont l’Union européenne, l’OIM et beaucoup de fondations et télévisions.
Dr. Boureïma Fofana, directeur général du Conservatoire des arts et métiers multimédia Balla Fasséké Kouyaté, a rappelé que sa structure est le creuset de la culture malienne, la pépinière qui forme les futures cinéastes du Mali, donc un honneur et un plaisir pour lui de recevoir le rendez-vous du cinéma malien. Il précisera que cette rencontre entre dans le cadre de la pédagogie parce que les étudiants ont beaucoup appris de l’invité.
Pour Fousseyni Maïga, directeur général du CNCM, le choix du Conservatoire s’explique par le fait qu’ils veulent être plus proches de cette pépinière de jeunes techniciens, acteurs et comédiens qui apprennent déjà les bases du métier de cinéma pour faciliter leur mobilisation.
Marie Dembélé